Déconstruction de quelques idées reçues sur le comportement du chat - La Semaine Vétérinaire n° 1752 du 16/02/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1752 du 16/02/2018

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : LORENZA RICHARD  

Le chat est souvent vu comme une espèce solitaire, voire sociale et territoriale, mais ces considérations sont basées sur un savoir davantage empirique que scientifique, et les dernières observations ne semblent pas les confirmer. Le chat pose des défis aux éthologistes. C’est un dynamiteur de concepts, car il est opportuniste et pragmatique, dans sa tolérance intraspécifique, son utilisation de l’espace, ses relations avec l’humain et son comportement alimentaire, à la fois chasseur et “mendiant”. Il convient ainsi de déconstruire trois mythes à propos du chat : celui du savoir, celui de la socialité et celui de la territorialité.

Peu de connaissances

Il apparaît nécessaire de promouvoir la recherche sur le comportement du chat et son bien-être, car elle est encore rare. Elle permettrait de remplacer le savoir empirique, reposant sur une collection d’anecdotes sur cette espèce, par un savoir scientifique. Le savoir empirique se base sur des récits irréfutables et non critiquables, car subjectifs, issus d’expériences individuelles, sans comparaisons possibles ni données (« Mon chat… »). Le savoir scientifique doit s’en nourrir, mais s’appuyer sur des analyses, afin d’obtenir des résultats probabilistes (à partir d’expériences cumulées), réfutables et critiquables, mais objectifs. Il pourra ainsi générer de nouvelles questions et étayer des connaissances encore discutées. Cela tient à une différence fondamentale entre les chiens et les chats : la problématique du chien avec l’humain est d’ordre relationnel (c’est pourquoi il existe des chiens de garde, guides d’aveugles, courants, etc.), alors que celle du chat est écologique : l’humain fait partie de son environnement.

Espèce ni solitaire ni sociale

Le concept d’espèces grégaires s’oppose à celui d’espèces solitaires. Les espèces sociales représentent une sophistication adaptative par rapport aux grégaires. La socialité est un trait apparu de façon convergente dans le règne animal par l’intermédiaire de la sélection naturelle. Bien qu’elle présente une grande diversité d’expressions, elle ne s’applique qu’à des interactions entre individus d’une même espèce. Il en résulte la formation de groupes permanents autour de mêmes individus non apparentés et appartenant à plusieurs générations, et qui coopèrent. Cependant, les groupes de chats sont le plus souvent constitués d’individus issus de la même famille, rassemblés par opportunisme, autour de ressources alimentaires. Par exemple, à Rome, un groupe de 25 chats environ vit dans le Cimitero acattolico. Ils vivent généralement à distance les uns des autres. Parfois deux chats peuvent se tenir l’un contre l’autre. Les interactions entre animaux sont rares. L’espèce semble ainsi à la fois non strictement solitaire et non sociale.

Espèce non territoriale

Enfin, il semblerait que la notion de territoire ne soit pas vérifiée chez le chat. s’agit d’un domaine vital (ou une partie de celui-ci) défendu par un individu et donc pour son usage exclusif. Le chat le défendrait essentiellement par des signalisations qui devraient être répulsives (marquage urinaire, griffades). Toutefois, le chat semble davantage disposer seulement d’un domaine vital. De plus, il existe un large chevauchement des domaines vitaux des chats, et celui des mâles est quatre fois plus important que celui des femelles. Le marquage urinaire et le frottement ne sont pas situés à la périphérie du domaine vital, mais sont davantage réactionnels et non répulsifs. Ces comportements ne seraient ainsi pas à rattacher à une fonction territoriale chez le chat, mais plutôt à une familiarisation avec son domaine vital (l’autotoilettage semble lié à une appropriation olfactive de l’environnement, par exemple).

Contribuer au bien-être du chat passe ainsi par le fait de le considérer pour ce qu’il est : libre, plus apprivoisé que domestiqué, et à la fois casanier et prédateur.

Bertrand Deputte Éthologue et professeur émérite d’éthologie à l’ENVA. Article rédigé d’après la présentation faite lors du colloque L’animal en marche, à Nanterre (Hauts-de-Seine), les 30 septembre et 1 er octobre 2017.

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