Les insectes en alimentation animale et humaine - La Semaine Vétérinaire n° 1751 du 10/02/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1751 du 10/02/2018

DÉCRYPTAGE

DÉCRYPTAGE

Auteur(s) : TANIT HALFON  

Depuis le 1 er janvier 2018, les insectes et les produits dérivés d’insectes sont autorisés, sous certaines conditions, dans l’alimentation humaine. Ils l’étaient déjà pour les poissons, ainsi que pour les animaux de compagnie et à fourrure.

Avec plus de 9 milliards de personnes sur terre en 2050, selon les estimations de l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture, se pose l’épineuse question de la sécurité alimentaire. Pour certains, l’une des solutions repose sur l’élevage et la consommation d’insectes par les animaux et les êtres humains. Les partisans ne manquent pas d’arguments. En effet, l’élevage d’insectes semble un marché prometteur. Ces petits animaux sont une source de protéines de haute qualité, mais aussi de matières grasses, de fibres et d’oligo-éléments, leurs taux de croissance et de conversion alimentaire sont élevés, avec une faible production de gaz à effet de serre et d’ammoniac. Pourtant, jusqu’à récemment, le sujet intéressait peu l’Union européenne. Il faut attendre 2015 avec le règlement n° 2015/22831 pour que les insectes soient enfin intégrés officiellement dans la catégorie des nouveaux aliments (“novel food”) pour l’homme. Leur mise sur le marché était toutefois déjà possible pour l’alimentation de certains animaux. L’Europe deviendra-t-elle entomophage ?

1 bit.ly/2BTHFQK.

Remerciements à M. Derrien, secrétaire général de l’International Platform of Insects for Food and Feed (Ipiff), à Mme Amsler, référente nationale en alimentation animale au bureau des intrants et de la santé publique en élevage, et à Mme Lavoignat, du bureau de la coordination en matière de contaminants chimiques et physiques, pour leurs précisions.

À ce jour, la France compte une quinzaine de sociétés solidement implantées, dont environ deux tiers en alimentation animale et un tiers en alimentation humaine. En général, les entreprises fabriquent des farines d’insectes qu’elles vendent ensuite à des formulateurs (fabricants d’aliments industriels). Ces derniers les incorporent dans un aliment composé comprenant d’autres ingrédients.
Alimentation humaine
Un flou juridique avant 2015
Toute denrée alimentaire dont la consommation humaine était négligeable au sein de l’Union européenne avant le 15 mai 1997 correspond à un “nouvel aliment”. Avant 2015 régnait une certaine incertitude quant à l’appartenance des insectes à cette catégorie, telle que définie par le règlement européen n° 258/971. Pour sa part, la France, se fondant sur la portée sanitaire du texte, considérait que les insectes, toutes formes confondues (entiers ou en morceaux, transformés ou non), étaient couverts par ce règlement, et devaient donc faire l’objet d’une autorisation préalable avant commercialisation. D’autres pays, comme la Belgique, la Finlande, les Pays-Bas et le Royaume-Uni, jugeant qu’ils n’entraient pas dans le champ d’application de la réglementation, toléraient la commercialisation d’insectes entiers sur leur territoire, sans qu’il soit nécessaire de demander une autorisation préalable. Par exemple, en Belgique2, dix espèces d’insectes ont pu être mis sur le marché depuis 2014.

Une reconnaissance officielle en 2015
Depuis le 1er janvier 2018, les insectes entiers et les préparations à base d’insectes sont inclus officiellement dans la liste des nouveaux aliments. En pratique, le nouveau règlement (UE) n° 2015/2283 harmonise les conditions de mise sur le marché, en centralisant la procédure. Jusqu’à présent, la procédure d’autorisation était semi-nationale. La demande devait être faite auprès de l’autorité nationale du pays auquel la commercialisation était destinée. L’autorisation n’était alors accordée qu’après un avis positif de l’autorité sanitaire du pays (Anses3 en France), mais aussi des autres États membres, toujours consultés, l’habilitation étant alors valable pour l’ensemble du territoire européen. Néanmoins, dans plus des deux tiers des cas, le processus d’évaluation des risques était dupliqué au niveau européen (Efsa4) en raison d’objections d’États membres. De plus, aucun délai réglementaire n’était fixé. Aujourd’hui, les opérateurs doivent déposer un dossier de demande d’autorisation directement auprès de la Commission européenne. Après un avis favorable de l’EFSA et l’obtention d’une majorité qualifiée des États membres, le dossier est validé. Les délais d’évaluation sont clairement définis : neuf mois au maximum pour l’Efsa et sept mois pour la Commission. L’aliment autorisé est alors inscrit sur une liste de l’Union. À ce jour, selon l’Ipiff5, trois ou quatre dossiers seraient sur le point d’être soumis à la Commission européenne. En France, jusqu’à présent, aucun dossier n’avait encore été déposé auprès des autorités nationales. Par conséquent, à ce jour, aucun insecte, qu’il soit produit dans l’Hexagone, dans un autre État membre ou dans un pays tiers, ne peut être mis sur le marché français en vue de la consommation humaine.

La France ne tolère aucune dérogation
Avec la nouvelle réglementation, les opérateurs déjà existants sur le marché ont la possibilité de continuer la commercialisation de leurs produits, à la condition qu’ils prouvent que leurs pratiques d’hygiène sont conformes à celles requises au niveau européen et qu’ils respectent toutes les exigences en matière de sécurité alimentaire (traçabilité des produits, respect des protocoles HACCP6, etc.). Concrètement, une période de transition a été définie. Ils disposent ainsi d’un délai de un an, jusqu’au 1er janvier 2019, pour déposer leur demande d’autorisation, afin d’être autorisés à poursuivre leur activité jusqu’à ce qu’une décision européenne finale soit prise. La France ne tolère aucune dérogation.

Une procédure simplifiée pour les aliments en provenance d’un pays tiers
L’opérateur souhaitant importer un aliment traditionnel d’un pays tiers peut choisir de notifier cette intention à la Commission européenne, plutôt que de suivre la procédure habituelle de demande d’autorisation. L’absence d’objections de la part des États membres et de l’Efsa (dans un délai maximal de cinq mois) suffit pour approuver sa mise sur le marché dans l’Union européenne.

1 bit.ly/2smKxl7.
2 bit.ly/2EZ3Kfn.
3 Agence nationale de sécurité sanitaire.
4 Autorité européenne de sécurité des aliments.
5 International Platform of Insects for Food and Feed.
6 Hazard Analysis Critical Control Point.


ALIMENTATION ANIMALE

Les protéines d’insectes autorisées en alimentation animale sont :
1. Les protéines animales transformées, ou PAT. Ce sont des « protéines animales issues entièrement de matières de catégorie 3 », traitées selon les conditions définies par la réglementation, « de manière à pouvoir être utilisées directement en tant que matières premières pour aliments des animaux (…) ». On parle aussi de farines animales dérivées d’insecte.
2. Les protéines hydrolysées. Il s’agit des polypeptides, des peptides et des acides aminés, ainsi que de leurs mélanges, obtenus par hydrolyse de sous-produits animaux.
3. Les graisses animales fondues. Ce sont « les matières grasses issues de la transformation de sous-produits animaux ».
En pratique, les catégories 2 et 3 de protéines impliquent souvent des process de fabrication coûteux et/ou diminuant ou dénaturant sensiblement les qualités nutritionnelles du produit. Par conséquent, très peu d’entreprises s’y intéressent.

L’insecte n’est pas autorisé pour nourrir l’animal de rente, hormis le poisson
En application du règlement sur l’encéphalopathie spongiforme bovine (règlement n° 999/20011), les protéines animales, dont les insectes, sont interdites dans l’alimentation des ruminants. Pour les porcs et les volailles, seules les farines de poisson sont autorisées. Depuis le 1er juillet 20172, les PAT d’insectes sont autorisées dans l’alimentation des animaux d’aquaculture. Seulement, sept espèces d’insectes issus d’élevages sont concernées : la mouche soldat noire, la mouche domestique, le ténébrion meunier, le petit ténébrion mat, le grillon domestique, le grillon domestique tropical et le grillon des steppes. Dans ce cas, les usines de transformation doivent produire uniquement des PAT d’insectes et les usines de production d’aliments les incorporant sont spécifiquement dédiées à la filière aquacole, sauf dérogation. De plus, le substrat sur lequel sont élevés les insectes doit être d’origine végétale, ou bien ne comporter que des produits d’origine animale issus de matières de catégorie 3 listés dans la réglementation. Les protéines hydrolysées et les graisses animales fondues d’insectes peuvent, en revanche, être incorporées à l’alimentation des animaux d’élevage, y compris pour les ruminants.

Les insectes sont autorisés pour les animaux non destinés à l’alimentation humaine
Les PAT d’insectes peuvent entrer dans la fabrication d’aliments pour les animaux à fourrure et les animaux familiers. De plus, par dérogation, il est possible d’incorporer des insectes directement sans transformation dans la nourriture des animaux de zoo, des animaux à fourrure, des chiens provenant d’élevages ou de meutes reconnues, des chiens et des chats de refuge ou des animaux producteurs d’appâts de pêche3.

1 bit.ly/2El1jT2.
2 bit.ly/2EjuytH.
3 bit.ly/2BUdfxs.

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