Fentanyl, ce soulagement qui fait peur - La Semaine Vétérinaire n° 1750 du 03/02/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1750 du 03/02/2018

MÉDICAMENTS VÉTÉRINAIRES

ACTU

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL  

Les usages détournés des analgésiques opioïdes, tels que le fentanyl, inquiètent au niveau mondial. En France, ces détournements ne concernent pas les spécialités utilisées en médecine vétérinaire.

Les opioïdes sont sous le feu des projecteurs. Ces analgésiques qui permettent de soulager la douleur peuvent être détournés de leurs usages en toxicomanie, pour leurs effets euphorisants. Ces substances sont aussi identifiées comme étant la source de nombreux décès causés par des overdoses. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) estime en effet que 69 000 personnes meurent chaque année d’une overdose d’opioïdes et que plus de 15 millions de personnes à travers le monde sont dépendantes de ces produits. En Europe aussi, le sujet retient l’attention des autorités. À en croire l’Observatoire européen des drogues et des toxicomanies (OEDT), les problèmes liés aux opiacés de synthèse à forte teneur en principe actif sont à la hausse. « La réglementation de ces substances est envisagée au niveau européen et plusieurs autres substances de cette famille font actuellement l’objet d’un examen », indique l’OEDT dans son Rapport européen sur les drogues 2017 1. Le fentanyl, dont les propriétés sont au moins 80 fois plus puissantes que celles de la morphine, est particulièrement pointé du doigt. En France, cet analgésique est bien connu en médecine vétérinaire. Cette substance est en effet utilisée par les vétérinaires en tant qu’anesthésique, notamment lors de chirurgies douloureuses. Contrairement à l’Amérique du Nord, l’Hexagone reste encore épargné par ce phénomène. En effet, selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), peu de signalements impliquent le fentanyl. L’utilisation très réglementée de ce produit en médecine humaine et vétérinaire explique en partie ce constat. Comme la kétamine, le fentanyl est classé sur la liste des stupéfiants, ce qui réduit fortement les risques de détournement.

La France épargnée

Les vétérinaires praticiens connaissent bien le fentanyl, qu’ils utilisent dans la prise en charge de la douleur. En médecine humaine, cet antalgique opioïde est « indiqué dans le traitement des accès douloureux paroxystiques chez les patients adultes déjà traités par des morphiniques pour des douleurs chroniques d’origine cancéreuse », rappelle l’Agence nationale de sécurité du médicament (ANSM). Les professionnels de santé sont mis en garde sur les risques de mésusage de ces substances. Le risque de détournement existe, mais la France reste épargnée par ce phénomène. Pour Bernard Leroy, président de l’Institut de recherche anti-contrefaçon de médicaments (IRACM) et membre du conseil de l’Organe international de contrôle des stupéfiants (OICS) des Nations unies, le marché illicite du fentanyl n’est pas développé en France. « Les Français en ont peur. Il y a quelque chose de culturel. Les Français sont plutôt dans un état dépressif et consomment plus de l’alcool et du cannabis », développe-t-il. Même son de cloche du côté de l’OFDT, qui indique dans un rapport publié en décembre 20172 que « de janvier 2012 à mai 2017, 16 intoxications par des fentanyloïdes, dont deux overdoses mortelles (ocfentanyl), ont été enregistrées. Seulement huit de ces cas impliquaient le fentanyl ». Toutefois, l’observatoire relève des signaux ponctuels de détournement par des usagers de drogues, en particulier sous forme de patchs. « En dépit d’une légère hausse, en 2016, des saisies d’opioïdes de synthèse (incluant des fentanyloïdes, mais aussi d’autres molécules) sur des personnes, celles-ci ne représentent que 1 % du total des saisies », ajoute l’OFDT. Interrogé sur l’origine des produits détournés, l’observatoire indique que ces signalements ne concernent pas les médicaments vétérinaires. Les consommateurs se procurent généralement des médicaments à base de fentanyl sur un marché illégal ou en présentant en pharmacie des ordonnances falsifiées ou volées. Internet constitue également un vecteur important de vente de médicaments falsifiés. Pangea X3, une vaste opération internationale menée sur Internet pour lutter contre les médicaments illicites, permet de confirmer ce constat. Lors de la dernière opération, qui s’est déroulée du 12 au 19 septembre 2017 dans une centaine de pays, plusieurs pharmacies illicites sur Internet ont été fermées pour avoir proposé du fentanyl à la vente.

Une prescription très raisonnée

L’OFDT explique le faible usage en France du fentanyl dans le cadre d’une consommation de drogue par « la prescription très raisonnée de ces antidouleurs par les praticiens, ainsi que l’accès assez important des usagers de drogues aux traitements de substitution aux opiacés (TSO). De plus, leur puissance et le nombre élevé de cas d’intoxication dans lesquels ils sont impliqués hors de nos frontières ont marqué les fentanyloïdes d’une mauvaise réputation en France ». La réglementation sur les stupéfiants applicable en médecine tant humaine que vétérinaire permet de limiter les risques de détournements. « Le fentanyl est sous le même régime que la kétamine. Les mêmes règles s’appliquent notamment pour les commandes, la détention, la prescription et la rédaction d’une ordonnance sécurisée ou encore la tenue d’un registre comptable des stupéfiants », rappelle Hervé Pouliquen, professeur de pharmacie et toxicologie à Oniris (Loire-Atlantique). Comme pour la kétamine, les praticiens doivent rédiger une ordonnance pour les médicaments qu’ils administrent eux-mêmes4, y compris pour les animaux de compagnie. Dans une fiche professionnelle dédiée à ces médicaments, l’Ordre rappelle que pour éviter tout risque de délivrance secondaire frauduleuse, les vétérinaires ont tout intérêt à indiquer, sur l’ordonnance, Médicaments administrés ce jour par mes soins .

Une source d’inquiétude outre-Atlantique

En France, les autorités de contrôle restent vigilantes face au phénomène. « Le fentanyl est tout nouveau en France. Nous avons fait des alertes au niveau des institutions et une fiche pour sensibiliser nos unités lors de leurs interventions. Nous suivons de près ce phénomène », indique Christophe Le Gallo, de l’Office central de lutte contre les atteintes à l’environnement et à la santé publique (Oclaesp). De l’autre côté de l’Atlantique, au Canada, l’urgence est quotidienne. Une personne meurt en moyenne tous les trois jours d’une overdose de fentanyl. « Le taux d’hospitalisations liées à une intoxication aux opioïdes au Canada a augmenté de plus de 30 % de 2007-2008 à 2014-2015 », indique le Centre canadien sur les dépendances et l’usage de substances5. Le phénomène inquiète aussi les vétérinaires canadiens, bien que les cas de détournements de médicaments vétérinaires à base d’opioïdes ne soient pas répandus. « Ici, ce sont les médecins vétérinaires qui prescrivent et vendent les médicaments pour les animaux de compagnie. Le détournement de médicaments achetés en pharmacie est ainsi pratiquement inexistant. Nos associations se concentrent sur la prévention des intoxications au cannabis et très peu sur celles aux opioïdes. Toutefois, nous restons aux aguets concernant une augmentation des cas d’intoxication au fentanyl, un vrai problème en ce moment du côté humain », souligne Michel Pepin, responsable des communications de l’Association des médecins vétérinaires du Québec en pratique des petits animaux (AMVQ). L’Association des vétérinaires de la Nouvelle-Écosse, quant à elle, alerte les autorités sur les risques de détournement par des toxicomanes de médicaments vétérinaires à base d’opioïdes. Elle demande un meilleur encadrement de la prescription des médicaments à base d’opioïdes en médecine vétérinaire, sans pour autant interdire leur utilisation sur les animaux. Les vétérinaires de la province de la Nouvelle-Écosse ne sont actuellement pas tenus d’enregistrer leurs prescriptions d’opioïdes dans le système provincial de surveillance des médicaments. Les praticiens craignent que cela ne facilite l’obtention de plusieurs antidouleurs par un client mal intentionné.

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