Les importations de la discorde, épisode 5 - La Semaine Vétérinaire n° 1748 du 19/01/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1748 du 19/01/2018

MÉDICAMENTS VÉTÉRINAIRES

ACTU

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

Des éleveurs français sont sanctionnés pour leurs pratiques occultes, dans une affaire d’importation de médicaments. La procédure prévue par la réglementation française ne leur est pas accessible. Mais cette dernière devra être mise en conformité avec le droit européen, dont la position diffère.

Nouveau rebondissement dans l’épineux dossier des importations parallèles de médicaments vétérinaires à la frontière espagnole. La cour d’appel de Bordeaux (Gironde) a condamné, le 19 décembre dernier, des éleveurs accusés d’avoir importé des médicaments vétérinaires espagnols. En application du droit européen, la juridiction reconnaît que ces derniers doivent pouvoir importer des médicaments vétérinaires, mais les éleveurs ne sauraient se prévaloir de ce droit dès lors qu’ils ne respectent pas les règles prévues par la réglementation française, visant à garantir la protection de la santé humaine et animale. En parallèle, l’Administration travaille, à la demande des instances européennes, sur un nouveau texte, afin de mettre la réglementation française en conformité avec le droit européen.

Un droit français à contre-courant

Sur le banc des accusés, les éleveurs avancent comme principal moyen de défense le retard de la réglementation française sur cette question. Le Code de la santé publique prévoit en effet que l’importation de médicaments vétérinaires ne peut être effectuée que par un établissement pharmaceutique vétérinaire. Ce qui exclut d’office les éleveurs. La cour d’appel de Bordeaux retient cet argument et se positionne dans la droite ligne de la décision rendue en octobre 2016 par la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE)1. Comme la juridiction européenne, la 6e chambre correctionnelle de la cour d’appel bordelaise signale que la France doit mettre en place une procédure simplifiée permettant aux éleveurs d’importer des médicaments vétérinaires pour les besoins de leurs propres élevages, à moins que des restrictions d’importation soient justifiées par des raisons de protection efficace de la santé humaine et animale.

Mais des pratiques occultes sanctionnées

Mais pour la juridiction d’appel, il ne suffit pas de se prévaloir d’un droit pour avoir gain de cause. Elle relève en effet que les éleveurs se sont procurés ces médicaments « sans aucun contrôle et en toute opacité », sans tenir compte des enjeux en matière de santé publique. Pour la cour d’appel, il s’agit de « pratiques occultes », qui vont à l’encontre de la réglementation française et du droit européen. Et pour cause, dans cette affaire, les éleveurs ont présenté des ordonnances délivrées « sans référence sérieuse » par des vétérinaires espagnols. Aucun diagnostic n’a été posé, aucune posologie réelle n’a été prescrite. De même, les étiquetages et les notices écrites en espagnol étaient incompréhensibles par le grand public. Autre point important, l’absence de pharmacovigilance. En l’espèce, les éleveurs avaient exclu des opérations leur vétérinaire référent pour le suivi de leur troupeau. Ils ne l’avaient pas consulté sur leurs projets d’importation ni même informé une fois les médicaments importés, de sorte que leur vétérinaire met en place un programme de soins cohérent et respecte les obligations de pharmacovigilance. En raison des risques sanitaires qui découlent de ces pratiques, la cour décide de condamner les éleveurs à des sanctions pénales s’élevant à 1 000 € pour chacun. Des sanctions douanières plus lourdes ont également été prononcées, avec des amendes (de plus de 28 000 €) qui correspondent aux montants des produits importés.

L’âpre bataille judiciaire

Cette décision constitue un nouvel épisode de l’âpre bataille judiciaire qui oppose les éleveurs et l’Administration sur la question de l’importation parallèle de médicaments vétérinaires2. En mars 2013, le tribunal de Niort (Deux-Sèvres) avait relaxé les éleveurs. Puis, en septembre 2013, c’est la cour d’appel de Poitiers (Vienne) qui les avait condamnés. En décembre 2014, la Cour de cassation a décidé, à son tour, de renvoyer l’affaire devant la cour d’appel de Bordeaux. Entre-temps, elle a été portée devant la CJUE, qui s’est prononcée sur la légalité du décret du 29 mai 2005 relative aux importations de médicaments vétérinaires. La décision de la cour d’appel de Bordeaux, de décembre 2017, devrait aussi faire l’objet d’un recours formé par les éleveurs.

1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1696 du 18/11/2016, pages 46 et 47.

2 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1706 du 10/2/2017, pages 14 et 15.

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