Le vétérinaire face aux difficultés sociales de ses clients - La Semaine Vétérinaire n° 1748 du 19/01/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1748 du 19/01/2018

DOSSIER

Auteur(s) : LORENZA RICHARD 

Le vétérinaire rencontre parfois, dans le cadre de son exercice, des propriétaires confrontés à des situations sociales difficiles, qui peuvent conduire à de la maltraitance animale, le plus souvent par négligence. Dans quelle mesure peut-il intervenir pour aider ces personnes, que ce soit en cas d’urgence ou pour prévenir les mauvais traitements ? Actuellement, de nouveaux rôles se dessinent pour le praticien.

La maltraitance animale est le plus souvent liée à de la négligence (manque de soins, de nourriture, etc.) dans un contexte social difficile. Certains éleveurs ou propriétaires d’animaux de compagnie confient au vétérinaire les problèmes qu’ils rencontrent à un moment de leur vie : difficultés professionnelles, souci de santé ou accident nécessitant une hospitalisation, départ en maison de retraite, divorce, veuvage, etc. Les situations sont nombreuses et peuvent aboutir à l’isolement, à une perte du lien social, à des conduites addictives, à des dépressions, jusqu’à des tentatives de suicide. Le praticien peut suspecter une situation compliquée sur le plan personnel et/ou financier chez un client, lorsque, par exemple, celui-ci délaisse son troupeau, appelle moins la clinique ou ne paie plus ses factures. Dans ce cas-là, il ne s’agit pas, pour le vétérinaire, de prendre en charge le problème humain, mais, en tant que garant de la bientraitance animale, de prévenir le délaissement des animaux, ou de signaler d’éventuels mauvais traitements déjà constatés.

En ce qui concerne la prévention de la maltraitance par les propriétaires d’animaux de compagnie, chaque confrère dispose dans son carnet d’adresses de coordonnées de sociétés de protection des animaux qu’il peut contacter pour une prise en charge ou un placement en famille d’accueil, en attendant que le contexte s’améliore. Dans certains cas, des associations peuvent réaliser une enquête afin de déceler un risque de maltraitance. Des conseils sont alors délivrés ou une procédure juridique est enclenchée, et la direction départementale de la protection des populations (DDPP) en est également informée. « Il n’est pas question pour le vétérinaire de se transformer en assistante sociale, mais de prévenir la maltraitance animale », précise François Courouble, président de la commission bien-être animal de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV).

Vétérinaire sentinelle et lanceur d’alerte

Pour Ghislaine Jançon, membre du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, ces derniers jouent deux rôles, inscrits dans le Code de déontologie vétérinaire. « Le premier est celui de sentinelle : les praticiens libéraux et sanitaires qui interviennent régulièrement dans un élevage jouent un rôle prioritaire dans le cadre du bien-être animal en prévenant tout type de maltraitance. » Celui-ci est pédagogique, avec la délivrance de conseils inscrits dans le protocole de soins, le bilan sanitaire d’élevage ou le registre d’élevage, et il est important pour prévenir toute situation pouvant mener à une souffrance des animaux. « C’est également le rôle du vétérinaire des animaleries, des refuges ou des fourrières d’animaux de compagnie d’aider le responsable de l’établissement à identifier des problèmes de bien-être et d’y remédier », indique notre consœur.

Le second rôle est celui de soins : « Tout vétérinaire a l’obligation légale et déontologique de respecter l’animal, de faire passer son intérêt avant tout, de limiter toute souffrance à un animal en péril et d’effectuer une prescription adaptée à la santé et à la protection de son bien-être. »

L’article L.203-6 du Code rural et de la pêche maritime (CRPM) mentionne l’obligation législative de signaler les cas de maltraitance animale, qui pourraient avoir des conséquences graves pour les personnes ou les animaux, à la DDPP : « Sans préjudice des autres obligations déclaratives que leur impose le présent livre, les vétérinaires informent sans délai l’autorité administrative des manquements à la réglementation relative à la santé publique vétérinaire qu’ils constatent dans les lieux au sein desquels ils exercent leur mission si ces manquements sont susceptibles de présenter un danger grave pour les personnes ou les animaux. » Dans ce cadre, le vétérinaire sanitaire a l’obligation d’établir un signalement sous peine de poursuites pénales, civiles ou disciplinaires. Il est alors relevé du secret professionnel imposé par le Code de déontologie. Cela n’est pas le cas du praticien libéral qui n’aurait pas d’habilitation sanitaire. Cependant, étant soumis aux dispositions du Code de déontologie vues précédemment, lorsqu’il constate un problème, il doit ainsi en informer le vétérinaire sanitaire, qui, lui, peut le signaler à l’Administration.

Cellules départementales opérationnelles (CDO)

Concernant les animaux d’élevage, un travail a été réalisé dans le cadre du Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale (Cnopsav) par un comité d’experts en bien-être animal. Il se traduit par l’obligation de mise en place de cellules départementales opérationnelles (CDO) en 2018. Ce dispositif s’inscrit dans le plan proposé par l’ancien ministre de l’Agriculture, Stéphane Le Foll : “Stratégie de la France pour le bien-être des animaux 2016-2020 - Le bien-être animal au cœur d’une activité durable.” Les CDO ont deux fonctions : la prévention et le traitement de l’urgence (article page 45). « Elles ont vocation à traiter de façon transversale la maltraitance animale et, surtout, le problème humain qui est derrière, afin de trouver une solution, explique Ghislaine Jançon. Celle-ci peut aller d’une aide sociale temporaire et de conseils, jusqu’au retrait des animaux et à l’accompagnement de l’éleveur dans une reconversion professionnelle. » Les cellules seront plus ou moins importantes dans les départements, selon le nombre de cheptels, et les vétérinaires seront sollicités en appui, pour un avis technique ou en mandatement.

Un vétérinaire peut en effet être mandaté dans le cadre d’une procédure d’urgence ou d’un appel d’offres. Il est choisi pour ses compétences particulières dans le domaine d’intervention (expertise technique pour une espèce particulière, par exemple). Il reçoit une lettre de mission précise dans un élevage qu’il ne connaît pas et qu’il découvre alors. L’expertise vétérinaire est réalisée sur un ou plusieurs jours. Elle consiste en une visite de l’exploitation (le vétérinaire ou le praticien mandaté peut être accompagné d’une assistante sociale ou de tout autre interlocuteur tel qu’un gendarme dans certains cas) et une discussion avec les vétérinaires traitant et sanitaire. « On connaît ces élevages où les problèmes persistent depuis des années malgré les conseils à répétition des vétérinaires, avec lesquels le dialogue est parfois rompu, remarque François Courouble. Le confrère mandaté peut apporter un regard extérieur, à l’éleveur comme à ses confrères, qui permet de dénouer la situation. » Il rédige alors un rapport d’expertise avec des préconisations de pistes d’amélioration.

Complémentarité et transparence

« Le ministère place le vétérinaire au cœur du dispositif des CDO, et cela n’est pas à prendre à la légère : nous avons notre rôle d’expert à jouer dans la société, et la protection animale fait partie intégrante de la santé publique vétérinaire », soutient notre confrère.

« Le vétérinaire n’est pas à l’aise avec l’idée d’informer d’une situation à risque de maltraitance, car il est difficile de savoir ce qui arrivera aux personnes signalées, constate-t-il. On peut ne pas oser parler d’un problème ou proposer de l’aide quand un éleveur menace de se suicider, par exemple, mais si on ne fait rien, il y a un risque que la situation tourne mal et l’entourage peut nous en vouloir de ne pas avoir réagi. Les confrères doivent être conscients que cette démarche de signalement est réalisée dans le but d’aider les gens. »

Pour Ghislaine Jançon, « il convient d’instaurer une complémentarité entre les différents vétérinaires (libéral, sanitaire et mandaté), car elle constitue un élément important d’amélioration de la surveillance de la maltraitance animale, ainsi qu’une transparence vis-à-vis de l’éleveur, afin de conserver sa confiance. L’Ordre pense qu’il convient d’être attentif à la transparence avec l’éleveur : de la même façon que les règles sont claires entre les acteurs pour la surveillance des maladies contagieuses, les éleveurs doivent savoir que les vétérinaires constituent un réseau de bientraitance animale. »

DES AIDES

Le Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL) propose à tous les confrères, adhérents ou non, qui le sollicitent de les accompagner dans les questions qu’ils peuvent se poser dans le cadre professionnel, notamment lors de problématiques sociales en lien avec la détention d’animaux. « Nous sommes peu sollicités pour ce genre de situation, mais l’expérience des administrateurs nationaux et le réseau des délégués locaux accompagnent les confrères et consœurs qui le demandent, explique Jean-Yves Gauchot, vice-président du SNVEL. De même, nos experts (juristes, spécialistes communication réseaux sociaux, experts-comptables, avocats) sont mis à contribution le cas échéant. »
D’après un sondage réalisé récemment par le syndicat, pour objectiver la part des soins gratuits ou à tarif préférentiel que les confrères offrent à leurs clients démunis, « plus de quatre vétérinaires sur dix consacrent une part significative aux associations de protection animale et/ou aux gens nécessiteux. Le plus souvent, elle représente entre 1 et 5 % de leur chiffre d’affaires. »
En productions animales, nous avons lancé, avec les organisations professionnelles agricoles (OPA), une réflexion pour que les dettes des praticiens soient considérées comme prioritaires, au motif, d’une part, que les soins vétérinaires sont une obligation déontologique et, d’autre part, qu’ils sont indispensables au maintien d’une qualification sanitaire et d’une valeur économique des animaux.
Enfin, le SNVEL avait, par le passé, tenté sans succès de fédérer une action collective de toutes les actions sociales des différents organismes de la profession. La démarche était sans doute soit trop ambitieuse, soit trop précoce, mais cela mériterait d’être à nouveau exploré.


ASPECTS PERMETTANT DE SUSPECTER UNE DIFFICULTÉ SOCIALE POUVANT IMPACTER LE BIEN-ÊTRE DES ANIMAUX D’ÉLEVAGE

- Humain : informations sur une situation personnelle difficile de l’éleveur ou du propriétaire, connues par le vétérinaire ou le technicien d’élevage, par l’assistante sociale de la Mutualité sociale agricole (MSA), par les associations d’aide aux éleveurs en difficulté, etc.
- Gestion des animaux :données vétérinaires (bilan sanitaire, arrêt des appels, évolution des produits achetés, etc.), problème d’identification ou de prophylaxie, divagation, absence de stock alimentaire adapté, données de l’Observatoire de la mortalité des animaux de rente (Omar), résultats zootechniques, etc.
- Économique : impayés (honoraires vétérinaires, par exemple), retard de cotisation MSA, etc.

INSTRUCTION TECHNIQUE SUR LES CELLULES DÉPARTEMENTALES OPÉRATIONNELLES

Le ministère de l’Agriculture précise la conduite à tenir en présence d’un cas de maltraitance animale, avec la création des CDO. Explications. L’instruction technique du ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation DGAL/SDSPA1/2017-734 du 12 septembre 2017 complète l’ordre de méthode du 10 juillet 2015 (DGAL/SDSPA/2015-593) définit la mise en place, dans un délai d’un an (d’ici septembre 2018), de cellules départementales opérationnelles (CDO) dans tous les départements, qui fonctionneront toutes sur le même mode. Le but est de prévenir et de lutter contre la maltraitance animale. Cette instruction s’inscrit dans le cadre de la feuille de route 2016-2020 en faveur du bien-être animal initiée dès 2016 par le ministère de l’Agriculture.


VOLET PRÉVENTIF POUR LES ANIMAUX DE RENTE

L’enjeu de la cellule départementale préventive est de détecter de manière précoce les éleveurs rencontrant des difficultés pouvant avoir un impact sur les animaux et de trouver une solution en amont. Ce volet sera piloté par une organisation professionnelle agricole (OPA) locale en concertation avec la direction départementale de la protection des populations (DDPP). Les structures participantes sont au minimum la chambre d’agriculture, le groupement de défense sanitaire (GDS) et la Mutualité sociale agricole (MSA). Les vétérinaires pourront également être invités à participer aux travaux de la cellule préventive (groupement technique agricole, référent bien-être de l’Ordre des vétérinaires, etc.), de même que le conseil départemental, le syndicalisme agricole, les associations d’aide aux éleveurs, les techniciens d’élevage, les banques, etc. Chaque acteur mettra en commun les informations qu’il possède afin de cibler des mesures d’accompagnement à proposer, et de mettre en place un suivi pour vérifier l’amélioration de la situation (encadré ci-dessous). L’échange de ces renseignements sera soumis à une obligation de confidentialité pour chaque participant. Les instances vétérinaires locales pourront également être sollicitées pour leur connaissance technique locale, par exemple pour déterminer les seuils à prendre en compte pour certains indicateurs de risque de maltraitance animale (taux de mortalité, notamment).
La DDPP sera informée de chaque dossier en vue de l’articulation entre la cellule préventive et le volet urgence.


VOLET URGENCE POUR LES ANIMAUX DE RENTE, DE LOISIR ET DE COMPAGNIE

Les urgences sont gérées via des cellules de proximité pilotées par le préfet, le sous-préfet ou la DDPP. Elles associent l’ensemble des acteurs concernés en vue d’un traitement individualisé des cas de maltraitance. Un vétérinaire mandaté peut être sollicité par la DDPP au titre de l’article L.203-8 du Code rural et de la pêche maritime, pour intervenir dans l’élevage, établir un diagnostic et proposer des préconisations. Une instruction DGAL sur le mandatement vétérinaire en protection animale sera prochainement publiée.


1 Direction générale de l’alimentation/Sous-direction de la santé et de la protection animales.

DES ACTIONS RÉALISÉES DANS PLUSIEURS DÉPARTEMENTS

- L’instruction ministérielle sur la création des cellules départementales opérationnelles (CDO) s’inspire des actions déjà mises en place dans certains départements. Ainsi, dans le Finistère, un comité agriculteurs en difficulté existe depuis 2009. Il est piloté par la chambre d’agriculture au niveau de la prévention et la direction départementale de la protection des populations (DDPP) en cas d’urgence. Le rôle du vétérinaire traitant est primordial pour évaluer une situation dégradée afin de prendre des mesures préventives le plus tôt possible et son implication dans la prise en charge de ces situations est à l’étude. Le but est de signaler de façon précoce un problème, et de réfléchir avec l’ensemble des acteurs (chambre d’agriculture, Mutualité sociale agricole [MSA], conseil départemental, préfecture, direction départementale de la protection des populations [DDPP], etc.) à une solution humaine et financière qui permette à l’éleveur de ne pas sombrer totalement. En cas d’urgence, la DDPP, sous couvert du préfet, définit un plan d’action avec les partenaires, y compris en envisageant le retrait des animaux si nécessaire. La présence du vétérinaire sanitaire ou d’un vétérinaire mandaté par l’État est indispensable lors de cette phase.
- D’autres initiatives sont mises en place par des associations ou des organisations professionnelles dans plusieurs départements pour prévenir les problèmes de bien-être des animaux d’élevage. Par exemple, « en Saône-et-Loire, un réseau d’accompagnateurs des éleveurs en difficulté a été mis en place par la MSA, dans le cadre de comités locaux d’appui (CLA), indique François Courouble, président de la commission bien-être animal de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). Ce réseau a été initialisé avec la formation d’une dizaine d’intervenants bénévoles en 2016 et une autre dizaine en 2017, dont je fais partie. » Ils agissent, sous la responsabilité de la MSA, à trois niveaux : alerter lorsqu’un problème est constaté, accompagner sur plusieurs mois les éleveurs en difficulté (il ne s’agit pas de faire leur travail, mais de les soutenir) et apporter des compétences techniques ponctuelles (les aider à s’y retrouver dans leur comptabilité, en particulier). Ces aides sont apportées en prévention, avant l’intervention de la CDO. Cela concerne parfois des éleveurs âgés, qui sont aidés pour partir en retraite ou des éleveurs dépassés par la taille des exploitations au regard de leurs compétences. Ils sont alors redirigés vers une autre activité.
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