Affaire Lactalis : une souche bactérienne persistante ? - La Semaine Vétérinaire n° 1747 du 13/01/2018
La Semaine Vétérinaire n° 1747 du 13/01/2018

SANTÉ PUBLIQUE

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : CLOTHILDE BARDE  

Contacté par la rédaction, Simon Le Hello, coresponsable du centre national de référence des E. Coli, Shigella et Salmonella à l’Institut Pasteur et chargé de l’étude de la souche bactérienne qui a infecté des nourrissons via des lots de lait Lactalis, explique l’origine de cette contamination et comment éviter de telles épidémies.

Nos analyses, ces dernières semaines, confortent une hypo thèse de résurgence d’une bactérie consécutive à des périodes de travaux au premier semestre 2017, avec une possible dispersion sur le site. À ce stade, nous ne pouvons en dire plus », indiquait Michel Nalet, porte-parole de la société Lactalis, dans son communiqué de presse du 11 janvier.

En 2005, une épidémie similaire causée par la contamination de lait en poudre destiné aux nourrissons par une souche de salmonelle (Salmonella Agona) avait eu lieu sur le même site de production, qui appartenait alors à Célia et a été racheté un an plus tard par Lactalis. « Les chercheurs du centre national de référence (CNR) ont fait une comparaison entre les souches humaines décelées sur les enfants infectés en 2005 et celles trouvées sur ceux contaminés lors de cette dernière épidémie, en 2017 », explique Simon Le Hello, coresponsable du CNR des E. Coli, Shigella et Salmonella à l’Institut Pasteur et chargé de l’étude de la souche bactérienne qui vient d’infecter des nourrissons via des lots contaminés de lait Lactalis.

Des liens entre les souches de 2005 et de 2017

Les techniques de génomique actuelles étant « plus résolutives et permettant de mettre en évidence les liens entre les souches », ils ont pu démontrer par comparaison que « la souche de 2017 dérive de celle de 2005 ». Donc, « dans un esprit d’expertise, on peut en conclure que la même source est possiblement à l’origine de cette contamination de la poudre de lait ; ce ne sont pas deux événements distincts ».

L’hypothèse la plus probable, selon le bactériologiste, est que la souche de S. Agona ait persisté dans l’environnement sous forme quiescente, ce qui reste « difficile à prouver scientifiquement », mais « un tel événement a déjà été décrit au préalable dans une étude américaine, avec la persistance d’une bactérie pendant dix ans dans l’environnement et la résurgence lors de travaux en avril 2008 1 ».

La seconde explication possible serait la contamination de matières premières extérieures utilisées lors de la fabrication de la poudre de lait. Enfin, l’existence d’un porteur sain dans l’entreprise ne peut être totalement exclue. Toutefois, si l’une de ces deux dernières hypothèses était exacte, il n’est pas exagéré de penser que les sources de contamination auraient été détectées plus tôt.

Malgré la persistance probable de la souche bactérienne au sein de l’usine depuis 2005, « d’un point de vue épidémiologique, nous n’avons pas détecté d’autre épidémie qui aurait eu lieu pendant ces quelques années. La seule possibilité reste la présence de cas sporadiques isolés ». Des recherches vont être menées dans cette direction, précise le bactériologiste.

Accroître la vigilance

En ce qui concerne la réglementation en vigueur sur les contrôles obligatoires à effectuer en industrie agroalimentaire agréée (par les industriels et par la direction départementale de la protection des populations), Simon Le Hello ne peut se positionner. Toutefois, il indique que « les analyses sont toujours disponibles pour les investigations ». Lors des autocontrôles, les méthodes d’analyse des industriels doivent se conformer à une législation précise, mais le niveau de recherche d’agents pathogènes peut varier selon le contexte. « On peut tout à fait réaliser des analyses plus précises et être plus vigilant au vu de l’historique sanitaire d’une entreprise. »

Simon Le Hello souligne également le fait que « même si beaucoup de lots ont été retirés du marché, c’était surtout par principe de précaution. Ceux clairement identifiés comme responsables de la contamination l’ont été immédiatement, dès qu’une augmentation du nombre de cas sporadiques a été observée. Cette rapidité peut expliquer le faible nombre de cas concernés. » De plus, « cette contamination a principalement touché les enfants les plus jeunes ou fragiles, et comme la salmonelle ne résiste pas à la chaleur, elle a pu aussi être détruite lors de la reconstitution du lait ».

On peut se féliciter que « l’amélioration des techniques de détection bactérienne depuis dix ans ait permis de donner l’alerte plus rapidement et de gérer plus efficacement cette épidémie par rapport à celle de 2005 », conclut le bactériologiste.

1 Journal of Food Protection, vol. 76, n° 2, 2013, p. 227-230, cité dans la Revue de l’industrie agroalimentaire du 8/1/2018.

Lire aussi page 12 de ce numéro.

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