Soigner l’animal, soigner l’homme, soigner la Terre - La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017

ACTU

Une vocation née d’une crise écologique

Mars 1978, un petit garçon devant sa télévision assiste à un événement qui va le bouleverser et déterminer le cours de sa vie : le pétrolier Amoco Cadiz vient de s’échouer au large des côtes bretonnes. Sur l’écran, un oiseau englué dans le pétrole lourd bat vainement des ailes, fait désespérément quelques mètres puis disparaît, définitivement, englouti sous l’épais linceul qui recouvre la mer. La force des images, un profond sentiment de tristesse, d’impuissance et de révolte ne font que confirmer et renforcer le désir, déjà présent et peut-être alors un peu naïf, de sauver la planète. Par où commencer ? Comment faire ? Prendre soin des animaux, ces autres terriens victimes des exactions de l’homme, est la voie qui s’impose alors. Devenir vétérinaire devient une évidence.

Cependant, c’est la volonté de soigner tous les animaux qui est motrice dans ce choix de vie, du plus petit des reptiles au plus gros des mammifères, du gecko à la girafe, en passant par le toucan, le manchot, le tamarin et l’otarie. Les hasards de la vie, les rencontres opportunes, un timing étonnamment favorable me conduisent à exercer dans un parc zoologique.

Le zoo, lieu d’éveil aux merveilles de la biodiversité et de prise de conscience environnementale

En basculant dans l’ère de l’anthropocène, la Terre vit aujourd’hui ce que l’on qualifie désormais de sixième extinction. Les bouleversements générés par l’activité humaine partout sur la planète se produisent sur une telle échelle et à une telle vitesse que les espèces, animales et végétales, n’ont pas le temps de s’y adapter et disparaissent, les unes après les autres.

De fait, le zoo, qui abrite de nombreuses espèces aujourd’hui en danger d’extinction, est devenu le lieu où il est possible d’appréhender de manière privilégiée les enjeux environnementaux qui pèsent aujourd’hui sur notre avenir commun. L’expérience de la rencontre avec l’animal, accompagnée d’un discours pédagogique idoine, et replacée dans le contexte global des nécessaires actions de conservation in situ, permet de faire naître le désir essentiel de préserver notre Nature.

Par ailleurs, en tant que praticien et citoyen du monde, comment ne pas faire le lien entre le tigre de Sumatra soigné au zoo et ses congénères sauvages ? Comment s’arrêter au sort d’un seul individu quand c’est l’espèce entière qui est en souffrance ? Par cohérence, mais aussi par responsabilité, engager sa vie sur le chemin de la médecine zoologique revient à s’engager sur celui d’une médecine de la conservation qui dépasse l’individu pour revêtir une dimension holistique. Soigner un animal au zoo fait naître le profond désir de prolonger son action auprès de ses congénères sauvages et donc de soigner la Terre, de manière peut-être dérisoire, mais ô combien riche de sens.

Changer soi-même pour changer le monde

Or, si exercer sa médecine sur des animaux emblématiques, ambassadeurs d’espèces menacées, permet d’appréhender avec acuité le sort de notre planète, comment faire pour ne pas être dépassé par l’étendue de la tâche qui nous attend pour changer le cours des choses ?

En effet, le constat de l’ampleur de la crise écologique et climatique que nous traversons peut légitimement faire naître un profond désarroi et faire le lit d’un pessimisme destructeur. Et comment pondérer justement ces bouleversements écologiques quand, dans le même moment, nous traversons une crise de valeurs, une crise économique, politique et sociétale ? Comment faire face ? Ne pas baisser les bras ? Que faire ?

En commençant par accepter ce constat pour mieux y faire face et trouver les ressources nécessaires et appropriées pour avancer. Puis pour chacun, faire notre part, prendre soin de l’humain altruiste, nourrir notre côté optimiste et non notre côté défaitiste. Petits gestes, grandes conséquences : nos choix de consommation, notre mode de vie ont généré le monde dans lequel nous vivons. Modifier certaines de nos habitudes mortifères va de manière identique contribuer à transformer le monde et le rendre plus vivable pour nos enfants, qui vont en hériter. Enfin, éduquer par tous les moyens, tous les médias, toutes les opportunités, montrer l’exemple et incarner le changement que l’on appelle de ses vœux pour une Terre préservée. Pour changer notre monde, nous devons changer nous-mêmes. Si soigner l’animal, c’est soigner la Terre, cela nous invite immanquablement à la nécessité impérieuse de soigner l’homme, à l’aider à se reconnecter à la Nature, à retisser le lien dans la trame du vivant dont il fait partie pleinement, à sortir d’une vision du monde anthropocentrique et court-termiste dévastatrice pour retrouver une juste place dans l’interconnexion des êtres vivants qui peuplent notre Terre.

Je souhaite que mes enfants grandissent sur une Terre où vivent encore l’étourneau de Bali, l’ours polaire et le rorqual bleu. C’est ma responsabilité. C’est mon intention.

CYRIL HUE (A 96)

a commencé sa carrière dans la recherche sur les mammifères marins. Depuis 2000, il est responsable du service animalier du Zoo de La Flèche (Sarthe), pour lequel il met en place et coordonne diverses actions de conservationin situ. En 2014, il participe à l’émission Une saison au zoo, qui met en lumière le travail quotidien de l’équipe animalière du zoo, soigneurs et vétérinaires. En 2015, c’est le début d’une nouvelle aventure avec Une saison chez les bonobos, une série d’émissions dédiées aux actions de conservation menées par le zoo.

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