Psychiatrie vétérinaire : enfin ! - La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017

ÉDITORIAL

Il y a plus de 25 ans maintenant, nous avons été quelques confrères à décider de remettre le vétérinaire au centre de la pathologie comportementale. Il fallait pour cela considérer que les troubles observés puissent être envisagés comme des maladies et donc affirmer l’existence d’une souffrance comportementale, de processus et d’états psychopathologiques. Nous suivions sans le savoir les traces d’anciens comme Abel Brion (ex-directeur de l’École nationale vétérinaire d’Alfort), qui avait écrit en 1964 un ouvrage appelé Psychiatrie animale, en collaboration avec Henri Ey, psychiatre humaniste de grand renom, qui soutenait déjà l’idée d’une psychopathologie animale.

Des débuts sous les moqueries…

Comme l’écrit John Stuart Mill : « Tout grand mouvement doit faire l’expérience de trois étapes : le ridicule, la discussion et l’adoption. »

Nous avons bien connu la première étape où évoquer l’idée de la maladie mentale chez l’animal faisait a minima sourire l’interlocuteur quand il n’éclatait pas franchement de rire. Aujourd’hui, ils existent encore, ceux qui, confits dans un anthropocentrisme grotesque, déclarent que l’animal ne peut pas être fou, tellement il est important de pouvoir revendiquer un propre de l’homme, fut-il aussi néfaste que l’exclusivité de la folie, mais ils sont devenus largement minoritaires. Nous pouvons dire que nous avons passé la première phase. Nous avons travaillé depuis ces longues années en établissant une psychopathologie et une nosographie des maladies comportementales du chien et, plus récemment, du chat. Aujourd’hui, ces travaux s’étendent aux nouveaux animaux de compagnie (NAC) et aux chevaux. Mais nous avons aussi et surtout travaillé pour démontrer que la psychiatrie vétérinaire est une discipline médicale vétérinaire “normale”, qui sait dialoguer avec les autres, comme l’ont montré les congrès communs avec les dermatologues, les internistes, les neurologues. Bien avant que cela ne soit à la mode, nous avons travaillé dans l’axe d’“une seule médecine, une seule santé”. Cela passe aussi par la pathologie comparée et la naissance d’une société de psychiatrie comparée, sous les prestigieuses et bienveillantes égides de Boris Cyrulnik et d’André-Laurent Parodi.

… à une reconnaissance internationale

Tout cela s’est fait au sein de deux associations, Zoopsy, créée depuis le départ pour porter le flambeau de cette psychiatrie vétérinaire ouverte et comparée, et le Gecaf de l’Afvac1, qui forme les vétérinaires aux bases des troubles du comportement. Main dans la main, ces deux partenaires continuent à proposer une formation à l’évaluation de la dangerosité et, bientôt, jetteront ensemble les bases d’une formation au bien-être en pratique vétérinaire.

Mais les disciplines, pour exister, ont aussi besoin de titres et de certifications. Après avoir contribué pendant plus de 10 ans au diplôme interécoles de vétérinaire comportementaliste, nous avons aujourd’hui mis en place un diplôme d’université de psychiatrie vétérinaire, appelé demain à se transformer en master. Il est le fruit d’une collaboration entre l’université Claude-Bernard-Lyon-1 (la faculté de médecine), VetAgro Sup campus vétérinaire et Zoopsy. La troisième promotion est en cours. Déjà plus de 35 diplômés peuvent se réclamer de la notion de “psychiatrie vétérinaire”.

Cette année 2017 nous a donné le plaisir intense de voir, au niveau international, plusieurs confrères anglo-saxons adopter à leur tour ce terme jusque dans le titre de leur conférence, au congrès mondial de Copenhague (Danemark). Cette reconnaissance internationale existait déjà avec l’existence d’un collège européen, qui permet à quelques-uns d’entre nous de porter le titre de “spécialistes en médecine du comportement” et de voir avec enthousiasme une jeune génération s’engager dans la filière.

Les nouvelles générations ont adopté la notion de psychiatrie vétérinaire

Alors oui, nous avons abordé la deuxième phase. Aujourd’hui, il y a beaucoup de discussions autour des concepts, mais elles sont fécondes et bienvenues. Beaucoup de centres de référés accueillent un psychiatre vétérinaire et aux États-Unis, les deux spécialités qui permettent à ces centres de se différencier sont l’oncologie et la psychiatrie.

C’est aussi un grand plaisir de voir que, dans les nouvelles générations de vétérinaires, les notions de psychiatrie vétérinaire et de bien-être sont déjà adoptées. C’est pour elles que nous travaillons, pour que les vétérinaires puissent prendre la place qui leur revient dans ces domaines.

Il reste encore de l’ouvrage : par exemple, faire adopter comme sixième vérification indispensable d’une consultation l’évaluation du bien-être et de l’équilibre comportemental. La nutrition a accédé à ce statut à juste titre, mais qui pourrait nier qu’il est au moins aussi important de vérifier la stabilité émotionnelle d’un chien ou d’un chat, avec toutes les conséquences connues sur la santé et le bien-être, non seulement de l’animal, mais aussi de ceux qui l’entourent ?

Alors le but sera atteint et notre grand mouvement pour une psychiatrie vétérinaire sera enfin arrivé à maturité.

1 Groupe d’étude en comportement des animaux familiers de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie.

CLAUDE BÉATA (L 83)

est spécialisé en médecine du comportement des animaux de compagnie et diplômé du Collège européen de médecine vétérinaire comportementale (ECVBM). Pionnier de la psychiatrie vétérinaire, cofondateur de Zoopsy et, plus récemment, du diplôme universitaire de psychiatrie vétérinaire, il défend l’existence de maladies mentales chez l’animal.

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