Ne nous privons pas de la phénoménale force de formation et de motivation que représentent les praticiens ! - La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017

ACTU

J’adore la jeunesse ! Surtout lorsque cela concerne les jeunes vétérinaires et leur place dans la vie active de demain. Des pistes de réflexion m’interpellent depuis de nombreuses années. Elles peuvent sembler triviales, voire provocatrices. Il faut n’y voir qu’une volonté d’aborder les vrais problèmes sans langue de bois et un profond attachement à ma profession.

Les vétérinaires doivent prendre leur place dans la société

Depuis sa création, la profession vétérinaire cherche sa place dans la société. Elle ne l’a jamais vraiment trouvée. Selon les époques, les attentes, les sensibilités du moment… le curseur penche vers le médecin des animaux ou vers l’ingénieur des productions animales. De l’IRM1 sur un nouvel animal de compagnie (NAC), en passant par les défis de la sécurité alimentaire ou les grands enjeux environnementaux, le vétérinaire peut-il, doit-il, prétendre avoir une place dans tous ces domaines ? Si oui, quel pouvoir et quelle indépendance lui resteront-ils demain face aux enjeux politiques, aux lobbies économiques et financiers qui se mettent en place ?

Une formation initiale remise en question

Former un véto coûte très cher à la société, et quand 30 % des jeunes ne sont plus ou pas inscrits à l’Ordre cinq ans après l’obtention de leur diplôme et que de très nombreux confrères ne trouvent pas de collaborateurs, ne doit-on pas se poser des questions sur le positionnement de la profession, les modalités de recrutement, de formation, les modes d’exercice que l’on propose pour l’avenir, etc. ? Si la profession n’est pas capable de répondre correctement à ces questions, ce sont les politiques qui trancheront. Quelle sera alors la place octroyée à la formation concernant les animaux de compagnie ?

Les politiques vont-ils :

- considérer longtemps que c’est à l’État de financer la formation de vétérinaires devenus des “techniciens de santé animale pour animaux de compagnie”, dirigés et contrôlés par des groupes financiers et des investisseurs que seul meut le profit ?

- privatiser cette formation pour recentrer l’utilisation des deniers de la nation vers les secteurs agricoles économiquement stratégiques ?

En cette période où tout va vite, où les excès sont légion, nos jeunes confrères prennent de plein fouet ces nombreuses problématiques dès leur sortie de l’école : préparation insuffisante, mal adaptée et/ou anxiété de la vie active, décalage entre la vocation initiale et la réalité du terrain, inadéquation entre les objectifs personnels et les exigences du métier (horaires, responsabilité, rémunération, etc.).

Des problématiques identiques à celles des générations antérieures

En 470 av. J.-C., Socrate écrivait : « Nos jeunes aiment le luxe, ont de mauvaises manières, se moquent de l’autorité et n’ont aucun respect pour l’âge ». Pour l’essentiel, les questionnements d’aujourd’hui ne sont pas très différents de ceux des générations en place. Les jeunes doivent passer du monde de l’adolescence (aujourd’hui sans doute plus longue et ultraprotégée) à celui du monde des adultes qui n’a jamais été facile. Alors, la situation actuelle et l’évolution de notre profession ne seraient-elles pas plutôt la conséquence de l’attitude des vétérinaires en place ? N’a-t-on pas la jeune génération que l’on mérite, celle qu’on a éduquée avec de multiples réformes qui, dès le primaire, ne font pas des petits Français les champions européens ? Les jeunes vétérinaires ne devraient-ils pas être encouragés à prendre leurs responsabilités, “comme des grands” ? Quelle est la bonne approche pour connaître la vraie vie ? :

- faire dans les écoles des jeux de rôles et de la réanimation sur des peluches sophistiquées ?

- étudier la césarienne bovine et les problématiques agricoles au milieu de la plus grande métropole française ?

- ou être en situation réelle, sur le terrain, avec un bon encadrement pour savoir appréhender des situations complexes allant de la gestion d’un risque sanitaire majeur à la gestion d’une carpe koï qui dépérit ?

Si le savoir est indispensable et s’apprend facilement dans les livres, c’est beaucoup moins vrai pour le savoir-être et le savoir-faire.

Les praticiens peuvent-ils, aujourd’hui encore, être source de progrès ?

Avant, on avait la chance du “compagnonnage” à la française, historique dans notre profession, et l’innovation des praticiens de terrain qui ont toujours tiré la profession vers le haut. Les praticiens ont toujours été le moteur de la médecine des animaux de compagnie. Le train est parti, au milieu du XIXe siècle, de quelques vétérinaires parisiens comme Leblanc ou Frégis. Ce sont encore les praticiens qui ont établi les bases de la médecine des NAC ou de la psychiatrie canine et eux qui ont, au niveau de l’Europe, permis l’explosion de la spécialisation et son ouverture “à l’anglo-saxonne” vers la pratique, sans discriminer les structures privées.

Tous les jours, j’ai la chance de côtoyer des jeunes consœurs et confrères très motivés, demandeurs d’un travail en équipe, mais qui se sentent mal préparés aux responsabilités (professionnelles mais aussi sociétales et administratives).

Dans notre expérience, ou dans la toute récente étude de Vet4Vets2, l’indépendance, le maintien de la liberté et de l’autonomie de chaque structure restent les maîtres mots de leurs souhaits.

Mais la génération en place écoutera-t-elle le chant des sirènes de la finance, ceux de ses propres intérêts égoïstes ou sera-t-elle capable de se battre pour maintenir ce qui peut garantir la qualité du service que nous devons à la population, c’est-à-dire l’indépendance professionnelle ?

L’opportunité du compagnonnage

Beaucoup de jeunes adhèrent toujours au concept de compagnonnage parce qu’ils savent que c’est le meilleur moyen d’entrer dans la vie professionnelle, de découvrir et de se passionner pour son métier. En canine, les succès de l’internship des centres hospitaliers vétérinaires ou celui du tutorat en médecine rurale montrent que cette voie du compagnonnage est moderne, utile, efficace et complémentaire des formations académiques. Pourquoi se priver de cette phénoménale force de formation et de motivation que représentent les praticiens ? À la fin de sa carrière, Gustave Eugène Frégis, lors de son discours devant la société de médecine vétérinaire pratique, conclut en disant : « Nous avons tort d’être vieux, ils ont raison d’être jeunes. » Alors ne gâchons pas leur avenir, ne vendons pas notre âme au diable et transmettons notre savoir (pardon, messieurs les sémanticiens, notre savoir-faire et notre savoir-être) !

1 Imagerie par résonance magnétique.

2 vets4vets.fr.

JEAN-PHILIPPE CORLOUER (T 79)

est associé au centre hospitalier vétérinaire Frégis (Arcueil, Val-de-Marne), où il manage une équipe de 100 personnes. Président du Syndicat national des centres hospitaliers vétérinaires (SNCHV) et observateur de la profession, il se positionne régulièrement sur son avenir et ses mutations, pointant du doigt certaines menaces comme la financiarisation des structures.

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