Les vétérinaires : nouvelles sentinelles de la criminalité contre les espèces sauvages ? - La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017

ACTU

Longtemps considérés comme un épiphénomène d’ordre environnemental, la collecte et le commerce illicites des espèces sauvages sont aujourd’hui reconnus par l’Organisation des Nations unies (ONU) comme l’une des formes de criminalité transnationale parmi les plus lucratives et destructrices, mêlant corruption, falsification de documents, blanchiment de capitaux, évasion fiscale ou assassinats. Piloté par des organisations criminelles dont certaines sont aguerries aux trafics de stupéfiants, d’armes ou d’êtres humains, le pillage systématique de la biodiversité met en péril la survie de nombreuses espèces d’ores et déjà menacées, déstabilise des écosystèmes clés, sape les efforts de développement et de bonne gouvernance de nombreux pays, et soulève des questions tant d’ordre sécuritaire lorsque cette activité illicite se révèle constituer l’une des sources de revenus d’organisations terroristes régionales que d’ordre sanitaire. Estimée brasser plusieurs dizaines de milliards d’euros par an, la criminalité liée aux espèces sauvages alimente une demande mondialisée pour les spécimens sauvages aux fins d’animaux de compagnie, de mets alimentaires, de souvenirs pour touristes, de bibelots de luxe ou d’ingrédients de la médecine traditionnelle asiatique.

D’envergure mondiale, cette criminalité affecte de nombreuses régions dont l’Union européenne et ses États membres devenus non seulement l’une des zones principales de transit de spécimens illicites entre l’Afrique et l’Asie, mais aussi la source du trafic de civelles et un marché consommateur majeur d’animaux de compagnie exotiques. En 2016, les douaniers français ont saisi 976 animaux vivants, soit une augmentation de 140 % par rapport à 2015, mais cette saisie ne représente que le sommet de l’iceberg. Chaque année, des centaines d’animaux vivants sont illégalement introduits et/ou commercialisés sur le territoire français, les trafiquants usant de techniques de contrebande complexes et sophistiquées ou de permis falsifiés. Parmi les espèces phares de cette criminalité figurent des serpents, les tortues grecques, les tortues étoilées de Madagascar, les singes magot (le mammifère le plus trafiqué en Europe), dont 200 en moyenne seraient, chaque année, importés frauduleusement en France, en provenance du Maroc ou d’Algérie, ou encore les perroquets gris du Gabon dont les facultés à apprendre et à retenir les sons ou à imiter le langage humain en ont fait des oiseaux de compagnie très prisés en Europe, aux États-Unis et au Moyen-Orient. Autrefois abondantes dans les forêts humides de basse altitude d’Afrique occidentale et centrale, les populations de gris du Gabon sont désormais en déclin dans au moins 14 des 18 pays de l’aire de répartition de l’espèce, celles-ci y ayant chuté de 50 % à 90 %. Si la destruction de leur habitat en est l’une des causes, l’exploitation illégale dont ces oiseaux ont fait l’objet y concourt également. Entre 1975 et 2013, plus de 2 à 3 millions de spécimens sauvages ont été capturés au mépris des quotas fixés et 40 % à 60 % d’entre eux sont morts lors du transport, souvent par asphyxie. Certains des perroquets survivants, capturés hors-quota, ont alors été “blanchis” sur le marché légal des spécimens issus d’élevage.

La criminalité liée aux espèces sauvages inquiète par son ampleur, sa nature polymorphe, sa cruauté à l’égard des animaux qui en sont victimes et l’irréversibilité de certains de ses impacts. Négligée par la classe politique jusqu’en 2013, méconnue du grand public, celle-ci est longtemps restée “l’affaire” des agents chargés du respect de l’environnement, confrontés seuls et sans moyens proportionnés à un adversaire aux multiples profils et sous-estimé. Mais l’urgence à inverser la tendance a fait émerger la nécessité d’apporter une réponse certes mondiale, mais surtout collective et plus inclusive. Ainsi, des ONG1 comme l’International Fund for Animal Welfare (Ifaw), des compagnies aériennes, des transporteurs, des sites de vente en ligne sont devenus des acteurs de premier plan du dispositif de lutte contre cette criminalité tentaculaire. Pour défaire un réseau criminel organisé, il n’existe pas de meilleure arme que celle de lui opposer un réseau d’acteurs pluridisciplinaires. Et les professionnels de la santé animale y ont pleinement leur place. Des vétérinaires comme nouvelles sentinelles de cette criminalité, est-ce possible ? Maillons essentiels du dispositif de lutte, à mon sens, la question mérite d’être posée.

1 Organisations non gouvernementales.

CÉLINE SISSLER-BIENVENU

est la directrice France et Afrique francophone de l’International Fund for Animal Welfare (Ifaw), le Fonds international pour la protection des animaux.

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