La profession vétérinaire et les maladies émergentes - La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017

ACTU

Le samedi 19 août 2006, je reçois un appel téléphonique d’un collègue du laboratoire belge du Coda-Cerva1, le Dr Kris de Clercq, qui veut une confirmation, par les méthodes que mon laboratoire a développées pour identifier le virus de la fièvre catarrhale ovine (FCO). Le dimanche matin, le résultat de la PCR2 est sans appel : virus de la FCO (le type 8 sera identifié un peu plus tard).

Pour les consœurs et les confrères sortis des écoles vétérinaires après 2006, cet épisode peut sembler assez banal, car ils ont toujours connu la présence de ce virus en Europe et en France. En revanche, pour tous les autres, cet événement sanitaire a été un réel coup de théâtre. Après des campagnes de vaccination obligatoire, le virus de sérotype 8 a été éradiqué d’Europe du Nord. En 2012, la France recouvre un statut indemne. En 2015, nouvelle surprise avec la détection du même virus dans l’Allier. Le 6 novembre 2017, nouvelle situation étonnante : détection du virus de sérotype 4 en Haute-Savoie !

Ces épisodes illustrent les défis auxquels les vétérinaires sont confrontés depuis quelques années : l’intensification des échanges internationaux et les modifications climatiques. Un sérotype viral qui circulait depuis des années dans une partie du monde se retrouve importé en Europe (à cause du commerce mondial) et trouve des conditions favorables à son amplification et à sa dissémination (conséquences du réchauffement climatique).

Au début des années 2000, il était de bon ton de dire que la plupart des maladies infectieuses majeures en santé animale avaient été éradiquées en Europe et qu’elles ne représentaient plus une menace pour cette région du monde.

En 2000, le virus de la FCO de sérotype 2 émergea en Corse et le virus West Nile provoqua une épizootie dans le sud de la France. La réglementation française concernant la FCO et l’infection par le virus West Nile (arrêté ministériel sur les méningo-encéphalomyélitesvirales des équidés) précisait que tout animal infecté devait être abattu. La philosophie qui avait conduit à l’élaboration de ces textes était bien que la probabilité d’introduction sur l’Hexagone de ces virus était si faible que l’on ne pouvait imaginer que des épizooties de l’ampleur de celles que nous avons connues puissent survenir. Heureusement que ces textes ont été modifiés, faute de quoi des centaines de milliers d’animaux auraient été abattus !

Ainsi, les exemples d’introductions inattendues et d’émergences improbables en France et en Europe se sont intensifiés ces dernières années : l’épizootie de fièvre aphteuse en 2001 en Angleterre, l’infection par le virus de la peste porcine africaine dans le nord de l’Europe, la découverte d’un nouveau virus jamais décrit jusqu’alors (le virus de Schmallenberg), les foyers de virus influenza aviaires hautement pathogènes… Il est à noter qu’en médecine humaine, des événements similaires ont accaparé les virologistes et infectiologues : virus chikungunya, Zika, Ebola, coronavirus du Sras et du Mers3

La profession vétérinaire va être de plus en plus confrontée à ces émergences et réémergences. Il est donc plus que nécessaire de disposer d’un maillage vétérinaire capable de détecter le plus rapidement possible les premiers cas. Il est intéressant de constater que les performances techniques et technologiques des laboratoires ont évolué en quelques années de façon impressionnante (l’identification et la caractérisation génétique d’un virus sont maintenant possibles en quelques heures), alors qu’un agent infectieux peut échapper aux capteurs épidémiologiques sur le terrain pendant une durée de plusieurs semaines. On demande au laboratoire de diagnostiquer le plus rapidement possible une infection virale, et ce 24 h/24, 7 j/7, alors que le même virus peut circuler dans le pays depuis plusieurs mois (exemple du virus de la FCO de sérotype 8 en Belgique, en Allemagne et aux Pays-Bas). Le clinicien joue aussi un rôle majeur : il doit être capable de maîtriser les volets du diagnostic différentiel en évoquant des hypothèses étiologiques de maladies auxquelles il n’a jamais été confronté et qui souvent sévissent dans des pays lointains. Comment ne pas penser aux consœurs et aux confrères qui ont suspecté la fièvre aphteuse un jour de 2001 dans un abattoir anglais, le virus West Nile en 2000, alors qu’il n’avait pas été rapporté depuis plus de 30 ans dans la région, la FCO dans l’Allier, alors que la France était indemne depuis trois ans…

Il est donc fondamental que la désertification vétérinaire (et médicale, car le problème est le même en médecine humaine) des campagnes soit enrayée le plus vite possible, que des moyens soient accordés aux acteurs de l’épidémiosurveillance des maladies, que les vétérinaires soient formés à ces notions et que la France et ses instituts de recherche, comme l’Inra, le Cirad, l’Anses4, puissent affirmer leur positionnement européen et international, tant il est clair que la dimension nationale aujourd’hui seule ne suffit plus dans la lutte et le contrôle des maladies animales.

1 Centre d’étude et de recherches vétérinaires et agrochimiques.

2 Polymerase chain reaction.

3 Syndrome respiratoire aigu sévère et syndrome respiratoire du Moyen-Orient.

4 Institut national de la recherche agronomique, Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement, Agence nationale de sécurité sanitaire.

STÉPHAN ZIENTARA (N 87)

dirige l’unité mixte de recherche (UMR) en virologie à l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) de Maisons-Alfort (Val-de-Marne). Cette entité de recherche en santé animale et publique vétérinaire est placée sous la tutelle conjointe de l’Institut national de la recherche agronomique (département de santé animale), de l’Anses (laboratoire de santé animale) et de l’École nationale vétérinaire d’Alfort. Au sein de cette UMR, il est également responsable des laboratoires de référence à l’échelle internationale, européenne ou nationale.
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