Il est grand temps de se soucier de notre enseignement - La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1745 du 21/12/2017

ACTU

Octobre 2017 a vu se produire ce qui en soi constitue un non-événement, mais dont les conséquences pour l’enseignement vétérinaire ne sont peut-être pas si anodines qu’il n’y paraît –l’accréditation par l’Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire (AEEEV) d’une faculté vétérinaire espagnole privée.

Nulle amertume ou corporatisme d’institutions étatiques dans mon approche, mais le simple constat que, comme pour bien d’autres domaines, former de jeunes vétérinaires peut devenir un business, qui plus est juteux, puisque, dans le cas présent, en la même ville d’environ 800 000 habitants se côtoient deux facultés vétérinaires privées et une publique !

Plus gênant est le constat suivant : un tel établissement rentre plus d’argent en frais de scolarité payés par ses étudiants que le budget total annuel d’une école vétérinaire française ! Hors ces dernières, “titre 2” compris (salaires des fonctionnaires qui y œuvrent), ne sont financées qu’à environ 50 ‰ de leur budget par l’État et les dits frais de scolarité (c’est du moins la situation alforienne et, je l’imagine, équivalente ailleurs).

Ajoutons à cela le fait que, chez nous, l’organisation du seul concours d’entrée représente environ 50 % de la subvention annuelle de fonctionnement d’une école vétérinaire, que le coût des classes prépas est à lui seul très supérieur aux budgets cumulés de celles-ci… Et, peut-être, comprend-on un peu mieux le mal-être chronique d’écoles vétérinaires françaises dont, pour chacune, le nombre d’enseignements chercheurs fonctionnaires atteint à peine celui observé dans un lycée de banlieue.

Bref, c’est ainsi, faisons avec, constatons que les budgets des écoles de nations comme les Pays-Bas ou l’Autriche disposent de dotations quatre à cinq fois supérieures aux nôtres, et continuons dans nos écoles nationales vétérinaires (ENV) de faire face aux sempiternels “y a qu’à, faut qu’on” émanant de vétérinaires jeunes ou moins jeunes qui, par essence, trouveront toujours l’herbe plus verte ailleurs…

Ce faisant, la toute récente enquête Vetfuturs France fait ressortir en positions une et deux les souhaits suivants :

- « former, accompagner à la technicité, au mana gement » ;

- « mieux préparer les jeunes diplômés aux réalités pratiques du métier. »

Avec une enième réforme du cursus, les enseignants-chercheurs de nos écoles font tout leur possible pour aller dans un sens qui réclame indéniablement plus de personnels dédiés et plus de moyens sonnants et trébuchants. Et très franchement, il serait bon qu’un jour notre profession s’en soucie autrement qu’en développant ses propres circuits de formation à finalité lucrative et d’image tant collective qu’individuelle, en aidant directement ou indirectement ses écoles autrement que par des mots.

Il y va de l’avenir d’un enseignement vétérinaire français dont au final nous n’avons pas à rougir, sauf à considérer qu’il est préférable de voir se développer un avenir qui passe par le site Espagne-facile.com, lequel continuera d’expliquer combien il est simple de devenir vétérinaire dès lors que « tout étudiant titulaire du bac peut entrer à l’université privée ».

Le futur immédiat passe certes par une remise en cause totale du cursus pré-ENV, mais il passe aussi par une implication forte et réelle de l’ensemble des composantes d’une profession à laquelle je suis fier d’appartenir, qui ne conduise pas en tout cas à une monétisation systématique de l’appréciation de compétences.

Cerise sur le gâteau, les tout derniers jours de novembre nous apprennent que deux universités qui pourtant ont fait leurs preuves depuis des décennies, Uppsala en Suède et Berlin en Allemagne, perdent leur accréditation européenne AEEEV... Il est vraiment grand temps de ne pas laisser s’effondrer un enseignement vétérinaire pas seulement français, mais européen, qui n’aura commis comme erreur que de croire en sa mission plutôt que de rechercher le profit !

DOMINIQUE GRANDJEAN(A 80)

est professeur à l'École nationale vétérinaire d'Alfort, responsable de l'unité de médecine de l'élevage et du sport et chef du département élevage pathologie des équidés et carnivores. Il est aussi colonel de la brigade de sapeurs-pompiers de Paris, conseiller technique cynotechnie et conseiller risque biologique de la zone de défense et de sécurité de Paris. Du 14 au 22 mars 2018, il dirigera sur les pistes savoyardes la course internationale de traîneaux à chiens, Lekkarod, dont il est le fondateur.
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr