Les libéraux bousculés par Bruxelles et le numérique - La Semaine Vétérinaire n° 1743 du 07/12/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1743 du 07/12/2017

25E CONGRÈS UNAPL

ACTU

ÉVÉNEMENT

Auteur(s) : CLARISSE BURGER  

Plateformes numériques, professions libérales réglementées et instances européennes font-elles bon ménage au sein du marché unique ? De forts enjeux économiques, fiscaux, sociaux, mais aussi déontologiques ont été débattus à l’occasion du 40 e anniversaire de l’Unapl.

Dans un marché unique en quête de croissance, les professions libérales réglementées sont au milieu du gué : avec, d’un côté, la révolution numérique qui bouleverse l’ordre établi et, d’un autre côté, un contexte politique, économique et réglementaire pas si simple à appréhender. D’une part, des plateformes en ligne se développent sur la Toile, évoluant dans certains secteurs avec un réel vide juridique, comme c’est le cas pour la télémédecine vétérinaire en France. Afin d’éviter les dérives d’“ubérisation”, l’Union nationale des professions libérales (Unapl), qui vient de fermer les portes de son 25e congrès à Paris, au Palais Brongniart, devra trouver un judicieux équilibre entre l’ouverture du marché unique (voulue par Bruxelles) et la protection de la réglementation de ses professionnels, incluant la qualité de leurs prestations. En particulier, dans le domaine de la santé.

D’autre part, les professions libérales appréhendent aujourd’hui, en France, un nouveau contexte politique, avec une série de réformes, dont celle du Code du travail qui tient enfin compte des très petites entreprises libérales et de leur spécificité (poids d’un accord d’entreprise, sécurisation du licenciement, etc.). Mais ces professionnels doivent parallèlement faire face à la stratégie des instances européennes. Car Bruxelles fait toujours la chasse aux réglementations qui pourraient entraver l’activité économique du marché unique, au détriment des citoyens européens. La Commission européenne a demandé aux États membres de réaliser le recensement des professions réglementées et de lever les éventuelles restrictions disproportionnées des États membres, notamment dans le marché des services (encadré 1).

L’an dernier, le Conseil compétitivité, qui réunit les ministres des États membres de l’Union et les membres de la Commission européenne, a d’ailleurs réaffirmé « la nécessité d’assurer une évaluation plus cohérente de la proportionnalité des exigences réglementaires et des restrictions applicables au marché des services ».

Une couche supplémentaire de réévaluation

Pour le secteur des services, Bruxelles apporte une couche supplémentaire de réévaluation, avec une nouvelle proposition de directive, le fameux “paquet services”, le test de proportionnalité d’une réglementation et la carte numérique européenne, qui semble avoir du plomb dans l’aile (encadré 2).

Alors, « faire admettre la spécificité des professions libérales est un combat qui n’est pas gagné », pour Michel Chassang, le président de l’Unapl. Pour autant, il a tenu à rappeler, à l’occasion du quarantième anniversaire de sa fondation, devant Delphine Gény-Stephann, secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances, que « le secteur des professions libérales, en plus d’être économique et social, participe d’une dimension collective et humaniste. Notre société a besoin des professionnels libéraux, et c’est encore plus vrai à l’heure de la société numérique ». Selon le président, ce secteur doit « se saisir des opportunités nouvelles qui lui sont offertes ». Tout en s’attaquant à deux autres gros chantiers : « Il reste du chemin à parcourir dans le domaine fiscal et économique. »

Un millier de professionnels libéraux des secteurs de la santé, du droit, des techniques et du cadre de vie, inscrits au 25e congrès, sont venus participer à ces débats. Preuve que tous ces enjeux sont communs aux 67 organisations de l’Unapl – incluant la numérisation de la société, la réglementation, la formation continue, le social et la fiscalité. Une chose est sûre, celles-ci doivent s’organiser pour s’emparer, sans plus tarder, des outils technologiques qui les rendront plus compétitives.

POURQUOI TESTER LA PROPORTIONNALITÉ DES RÉGLEMENTATIONS ?

Cette question a été posée à l’occasion de l’atelier “Europe”, animé par François Blanchecotte, président de la commission Europe à l’Unapl, lors du 25e congrès. L’article 59 de la directive “qualifications professionnelles” oblige les États membres – sous la direction de la Commission européenne – à faire un recensement des réglementations de toutes leurs professions libérales et à examiner les règles nationales en place.
La Commission a demandé d’évaluer ces réglementations sur la base de trois critères : la non-discrimination (en fonction de la nationalité, du lieu de résidence, etc.), la nécessité d’une règle (justifiée par une raison d’intérêt général) et enfin la proportionnalité (de l’exigence d’une règle, par rapport à un objectif). Résultats ? Les États membres peuvent mieux faire.« La qualité de l’analyse relative à la proportionnalité laisse un peu à désirer. C’était un énorme travail à effectuer avec les États membres,explique Martin Frohn, chef d’unité compétences et qualifications à la direction générale de la Commission européenne.Ainsi plus de 5 600 professions réglementées ont été recensées dans le marché unique, avec une grande diversité de règles selon les pays, dont 333 professions réglementées dans moins de cinq États membres et 103 dans seulement un État membre. »Toujours selon le chef d’unité,« une base de données recense ces éléments, mais une partie “secrète” n’est échangée qu’entre les États membres et la Commission européenne. Un tiers des examens de proportionnalité manquent et beaucoup d’entre eux sont superficiels. Et il reste des trous dans l’évaluation de la proportionnalité des réglementations existantes ».Mais Martin Frohn insiste sur l’intérêt de cette évaluation : « Ce test est un outil horizontal pour toutes les professions libérales pour protéger les intérêts publics avec des critères fondés sur la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Cela apporte une certaine discipline, ce n’est pas pour autant un outil de déréglementation. »

LE TEST DE PROPORTIONNALITÉ ADOPTÉ PAR LE PARLEMENT EUROPÉEN

Le Parlement européen a adopté en commission le 4 décembre (commission du marché intérieur et de la protection du consommateur ou IMCO), le “paquet services”, la proposition de directive qui impose aux États membres d’évaluer toute nouvelle réglementation nationale d’une profession avant son adoption. Le but de Bruxelles est d’homogénéiser les règles au sein du marché unique, dans le secteur des services, alors que l’Unapl le conteste. La députée européenne Françoise Grossetête (qui a été rapporteure de la question de la proportionnalité) a rappelé, lors du congrès de l’Unapl, que l’exercice à la Commission européenne et au Parlement européen reste complexe et difficile :« Certes, il ne faut pas entraver la liberté d’établissement, mais dans le droit existant et la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, des mécanismes sont nécessaires, et les professionnels de santé (déjà mobiles au sein du marché unique) doivent être traités différemment et exclus de cette proposition de directive. »
Par ailleurs, la carte interactive européenne des professions réglementées en Europe, élaborée sur la base des données fournies par les États membres, est censée donner, pour chaque pays, le nombre et la répartition des professions par secteur économique, les décisions de reconnaissance des qualifications et un point de contact national avec ses coordonnées. Pour l’heure, elle n’a apparemment pas le succès escompté.
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr