Quels liens entre les troubles dermatologiques et l’alimentation ? - La Semaine Vétérinaire n° 1742 du 30/11/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1742 du 30/11/2017

CONFÉRENCE

PRATIQUE CANINE

Formation

Auteur(s) : GWENAËL OUTTERS  

Alimentation et dermatologie sont deux gros pôles d’activité en clientèle, au lien intuitif réel. Il convient ainsi de “penser alimentation” face à un pelage terne, un squamosis, de l’hyperkératose, du prurit chronique, des otites chroniques ou des pyodermites récidivantes. La peau est un organe vaste (1 m² pour un chien de 35 kg), premier témoin de la santé, dont les besoins sont dépendants de l’apport nutritionnel. Pourtant, les répercussions dermatologiques de carences alimentaires, chroniques, sont souvent peu perçues par les propriétaires. Quatre des six groupes de nutriments sont impliqués en dermatologie. Si les glucides n’ont pas de rôle dans le métabolisme cutané, des études menées sur le microbiote et les fibres (prébiotiques) tendent à montrer leur implication sur la santé cutanée.

Protéines et acides aminés

Les poils sont composés à 90 % de protéines et peuvent réclamer jusqu’à 35 % des besoins en acides aminés chez les chiens à pelage dense. Les acides aminés essentiels (10 chez le chien, 11 chez le chat) doivent être apportés quotidiennement et les besoins doivent être réévalués en fonction des modifications du statut physiologique ou de maladies chroniques débilitantes. Le taux de protéines indiqué sur les sachets n’est pas une garantie de qualité en acides aminés essentiels. La cystéine et la méthionine sont des acides aminés soufrés indispensables à l’élaboration de la kératine. Ils sont apportés par une alimentation contenant des protéines animales. Les tendances actuelles modifiant fortement les compositions de certains régimes pourraient faire réapparaître des troubles oubliés. Les acides aminés aromatiques, la tyrosine et la phénylalanine, interviennent dans la couleur et la pigmentation du pelage, en association avec le cuivre. Leur carence est responsable du roussissement du pelage du terre-neuve, par exemple. La glutamine et l’arginine favorisent la cicatrisation et sont souvent incluses dans les aliments de convalescence en phase postopératoire. Tous les acides aminés peuvent être apportés par l’alimentation, ce qui est préférable, cependant ils peuvent également constituer des compléments alimentaires.

Lipides et acides gras essentiels

Les acides gras de la famille des oméga 6 (précurseur : acide linoléique) et des oméga 3 (précurseur : acide alpha-linolénique ou ALA) sont dits essentiels puisque les carnivores ne peuvent pas les synthétiser : ils doivent donc les trouver dans leur alimentation. Les précurseurs vont être transformés pour synthétiser des acides gras à longue chaîne (acide arachidonique [AA] notamment pour la série oméga 6 et acides docosahéxaénoïque [DHA] et eicosapentaénoïque [EPA] pour la série oméga 3). Cependant, le rendement est faible chez le chien et très faible, voire inexistant, chez le chat, de sorte que l’apport direct des acides gras polyinsaturés à longue chaîne (AA, EPA, DHA, etc.) est parfois indispensable, en particulier dans certains statuts physiologiques, et en accompagnement de thérapeutique cutanée. Aussi, les deux familles sont en compétition car leur synthèse fait intervenir les mêmes enzymes : si une famille est surreprésentée, elle va utiliser ces enzymes au détriment de l’autre.

> L’acide linoléique (oméga 6) permet l’adhésion intercellulaire des kératinocytes. Il joue un grand rôle de barrière cutanée et empêche la déperdition de l’eau et des nutriments. Lors de carences, apparaissent rapidement une séborrhée sèche, un pelage terne et une réduction de l’élasticité cutanée, signes qui rétrocèdent à la complémentation.

> Le DHA (série oméga 3) joue un rôle important dans la résolution de l’inflammation, à la fin des phénomènes inflammatoires. Les oméga 3 ont une action anti-inflammatoire directe par les eicosanoïdes, et une action anti-inflammatoire indirecte par modification de l’expression génétique : ils calment l’érythrodermie avec une action sur le long terme. Cependant, le rendement de synthèse du DHA à partir du précurseur est très faible chez le chien et nul chez le chat.

> Rapport oméga 6/ oméga 3

Les acides gras essentiels jouent également un rôle dans l’inflammation de la peau et de l’organisme. Globalement, les oméga 3 sont plutôt anti-inflammatoires et les oméga 6 plutôt pro-inflammatoires, mais certains oméga 6 peuvent être anti-inflammatoires : c’est l’équilibre entre les deux qui va permettre de moduler la réaction inflammatoire au niveau cutané.

En pratique, il faut que le rapport oméga 6/oméga 3 soit inférieur à 4 pour l’entretien et plus faible, entre 1 et 4, en cas de troubles dermatologiques : un apport excessif en oméga 6 améliorerait l’adhésion des kératinocytes sans avoir l’effet anti-inflammatoire des oméga 3 et à l’inverse, un effet anti-inflammatoire majeur ne sert à rien sans intégrité de la barrière cutanée. Cependant, les oméga 3 coûtent plus cher et sont plus difficiles à conserver que les oméga 6. Par ailleurs, aucune réglementation ne précise les taux d’incorporation de ces molécules : plus les aliments sont de basse qualité, moins ils contiennent d’oméga 3 et plus le déséquilibre est important. D’autre part, certains fabricants utilisent des “faux-amis” en incorporant des oméga 3 qui ne peuvent pas être correctement utilisés chez les carnivores (ALA : oméga 3 végétaux). Avant toute complémentation, il est nécessaire de s’assurer de l’équilibre de la ration de base : une complémentation en oméga 3 chez un animal consommant des oméga 6 en quantité excessive n’aura aucun effet.

L’huile de tournesol n’apporte pas que des oméga 6 (rapport oméga 6/oméga 3 = 650) et peut fortement déséquilibrer les rations. L’huile de lin (fort goût herbeux, 30 €/l), l’huile de colza et l’huile de noix (goût très prononcé, impossible à donner à un chat) apportent des oméga 3, mais leur utilisation est délicate chez les carnivores. De plus, elles contiennent de l’acide alpha-linolénique (précurseur), ce qui est bien, mais ne garantit pas que le chat ou le chien le transforme correctement en EPA ou DHA. À l’inverse, les huiles de poissons gras apportent directement des acides EPA et DHA, ce qui est bien plus intéressant.

Minéraux

Les minéraux participent à la croissance et à la cicatrisation de l’épiderme. Ils sont tous plus ou moins corrélés. Le calcium ralentit l’absorption des autres minéraux, en particulier le zinc. De plus, le zinc est bloqué en présence d’une grande quantité de son (céréales). Ainsi, un aliment trop riche en calcium (beaucoup d’os ou de carcasses ou aliments de mauvaise qualité) et en céréales ralentit fortement l’absorption du zinc. Les lésions cutanées associées aux carences en zinc siègent au niveau des orifices et des doigts.

Également, sans qu’il y ait de carence, certains troubles dermatologiques répondent à l’administration de zinc. Une carence en cuivre, associée à un déficit en acides aminés aromatiques, induit un pelage roux. Le fer est impliqué dans la synthèse du collagène : des troubles cutanés sont rencontrés avec les aliments végétariens puisque le fer végétal est beaucoup moins bien absorbé que le fer animal. L’iode entre dans le métabolisme de la thyroïde ; cependant, les carences sont rares à l’heure actuelle.

Vitamines

La vitamine A joue sur la kératinisation, la production de sébum et la séborrhée, en synergie avec le zinc. Le chat ne peut utiliser que la forme animale de la vitamine A. Attention, les excès de vitamine A sont responsables de spondylarthrite ankylosante : l’utilisation de l’huile de foie de morue en source d’oméga 3 est trop riche en vitamine A.

Pour l’instant, les recherches sur la vitamine D n’ont pas porté leurs fruits quant à ses effets sur la peau ; le soleil ne permet pas la fabrication de la vitamine D chez le chat ou le chien, il convient donc d’utiliser la forme animale.

La vitamine E a une activité antioxydante ; il n’y a généralement pas de carence alimentaire, mais un apport supplémentaire améliore la qualité cutanée. Les besoins en vitamine E doivent être reliés aux teneurs en acides gras polyinsaturés dans l’alimentation : plus il y en a, plus il doit y avoir de vitamine E.

Les vitamines du groupe B jouent un rôle de coenzyme pour des enzymes cellulaires et interviennent dans le métabolisme des acides gras essentiels. Elles sont fournies par l’alimentation et la flore digestive et les carences sont exceptionnelles. Une carence en vitamines B2 (riboflavine) peut induire une xérose cutanée et une chéilite. Une déficience en vitamine B3 (niacine ou vitamine PP), causée par une alimentation pauvre en nutriments d’origine animale, provoque une dermite prurigineuse accompagnée d’ulcères des muqueuses. La vitamine B5 agit avec la vitamine B3 dans la synthèse des lipides cutanés et limite la déshydratation de l’épiderme. La vitamine B8 (biotine ou vitamine H) est déficiente chez les animaux nourris avec des blancs d’œuf crus et est à l’origine d’érythème, d’une alopécie de la face, de squamosis, de leucotrichie, d’un pelage terne et cassant et de desquamation.

Claude Paolino Praticien à Six-Fours-les-Plages (Var). Article rédigé d’après une présentation faite au congrès de l’Afvac 2016, à Lille (Nord).

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