Bilan sur les pratiques actuelles de vaccination en élevage bovin - La Semaine Vétérinaire n° 1742 du 30/11/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1742 du 30/11/2017

ENQUÊTE

Auteur(s) : PAR ANNE-LAURE GILLE ET YVES MILLEMANN  

Alors que la vaccination tient une place importante dans les mesures préventives qui permettent de réduire l’usage des antibiotiques en élevage, bovin notamment, deux études de terrain ont été réalisées en parallèle, dans le cadre d’une thèse de doctorat vétérinaire, pour dresser un bilan des protocoles de vaccination.

Le plan ÉcoAntibio 2017, lancé en France fin 2011 afin de contribuer à la maîtrise de l’antibiorésistance, se termine. L’objectif, comme l’indiquait le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, était notamment de réduire de 25 % l’usage des antibiotiques vétérinaires en cinq ans. Ce plan, fondé sur la participation de la profession vétérinaire, n’impliquait pas de s’affranchir totalement de ces médicaments, mais recommandait une rationalisation et une optimisation de leur emploi au travers de prescriptions raisonnées. L’importance des mesures préventives a ainsi été accentuée, dont la vaccination qui y tient une place prépondérante. Dans la fiche d’action 15 de l’axe 2 du plan ÉcoAntibio 2017, il était question de promouvoir l’utilisation de vaccins ou d’autovaccins. Plus récemment, le premier axe du plan ÉcoAntibio 2021 prévoit de « développer des mesures de prévention des maladies infectieuses et de faciliter le recours aux traitements alternatifs », en précisant, dans l’action 3, que « l’usage des vaccins sera encouragé pour prévenir l’apparition des maladies infectieuses » (ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation, 2017). La vaccination apparaît donc bien aujourd’hui comme une alternative majeure à l’utilisation des antibiotiques.

Pour alimenter cette réflexion, deux études de terrain ont été menées en parallèle : l’une à destination des vétérinaires praticiens à activité rurale ou mixte, l’autre à l’intention des éleveurs bovins. Ces enquêtes avaient pour objectif, dans un premier temps, d’établir un bilan des protocoles de vaccination actuellement utilisés dans les élevages bovins français, pour ensuite déterminer comment optimiser les protocoles vaccinaux et améliorer la prévention.

Principaux résultats et discussion

Au total, 216 éleveurs ont pris part à l’enquête (taux de participation : 3,6 %) et 54 vétérinaires ont rempli le questionnaire en ligne (taux de participation : 2,6 %).

La répartition géographique des vétérinaires (figure 2) diffère de celle des éleveurs, ce qui rendra délicat la comparaison des résultats obtenus dans les deux enquêtes. Par ailleurs, quasiment autant d’élevages laitiers (49,54 %) que d’élevages allaitants (46,57 %) ont été pris en compte (figure 3). De même, les proportions de clientèles laitières, allaitantes ou mixtes des vétérinaires sondés étaient similaires (figure 4).

Taux de vaccination

Il ressort de la première enquête que 79,34 % des éleveurs (169 sur 213) vaccinent et 8,45 % (18 sur 213) l’ont déjà fait. Les vétérinaires, quant à eux, devaient estimer le taux de vaccination au sein de leur clientèle (figure 5).

44,44 % des 54 vétérinaires ayant répondu au questionnaire estiment que moins de 20 % de leur clientèle vaccinent régulièrement et 11,12 % pensent que plus de 60 % de leurs clients le font occasionnellement.

L’enquête à destination des éleveurs révèle que la durée moyenne de vaccination dans les élevages où celle-ci est en cours est de 12,47 ans. Dans les élevages ayant vacciné mais ne le faisant plus, cette durée descend à 6,5 ans.

En matière de vaccination, le vétérinaire semble être un conseiller privilégié, puisque 93,01 % des éleveurs (173 sur 186) le citent comme une source importante de renseignements. Par ailleurs, au sein d’une même structure, les vétérinaires ont généralement tendance à discuter de leurs protocoles de vaccination (42 sur 53, soit 79,25 % des praticiens sondés) et à les harmoniser : les protocoles sont identiques dans 83,02 % des cas (44 sur 53).

La mise au point de la vaccination se heurte souvent à de nombreuses difficultés. Ainsi, pour s’assurer de sa pleine efficacité, un protocole strict d’utilisation est nécessaire. Il est donc impératif que les vétérinaires établissent et exposent à leurs éleveurs des protocoles de vaccination.

Contre quoi vacciner ?

Les 187 éleveurs répondants vaccinent principalement contre les broncho-pneumonies (60,43 %), les diarrhées néonatales (48,66 %), le virus de la diarrhée virale bovine (BVD, 44,91 %), la fièvre catarrhale ovine (FCO, 42,78 %) et, dans une moindre mesure, les entérotoxémies (15,51 %).

Les vétérinaires sondés ont, dans leur clientèle, au moins un éleveur qui vaccine contre les broncho-pneumonies infectieuses enzootiques ou BPIE (dans 98,04 % des cas), les gastro-entérites néonatales (GENN), la FCO et les entérotoxémies (dans 92,16 % des cas), ainsi que la BVD (dans 80,39 % des cas) (figures 6 et 7).

Les examens complémentaires sont primordiaux dans la mise en place de la vaccination : 60,86 % des éleveurs de l’enquête (112 sur 184) affirment les avoir fait réaliser avant d’entreprendre la vaccination. 51,92 % des 52 praticiens répondants incitent toujours leurs clients à réaliser des examens complémentaires avant la mise en place de la vaccination et 46,15 % les conseillent selon les circonstances.

Avec quoi vacciner ?

Pour ce qui est du choix du vaccin (figure 8), une gamme conséquente de produits est disponible sur le marché français. Cette diversité rend, certes, le choix difficile, mais également plus adapté à la situation de l’élevage concerné.

Ainsi, les critères sont multiples, mais le fait que la primovaccination se fasse en une seule injection, le prix, le délai d’acquisition de l’immunité et la disponibilité du vaccin sont des aspects déterminants.

Qui vacciner ?

Au sein de l’étude, 94,44 % des vétérinaires (51 sur 54) précisent à leurs clients quels animaux vacciner. Et, dans 83,33 % des cas, les éleveurs (150 sur 180) ont déclaré qu’ils en avaient été effectivement clairement informés par les praticiens. 76,92 % rappellent aux éleveurs de ne pas vacciner leurs animaux malades (Pastoret, 1999) et 83,62 % des éleveurs déclarent exclure de leur protocole les sujets présentant des signes cliniques ou de la fièvre.

Il était ensuite question de déterminer ce que conseillaient les vétérinaires, en fonction de l’affection. Ainsi, pour les broncho-pneumonies, sur 49 vétérinaires ayant donné leur avis, 89,9 % préconisent la vaccination des jeunes (figure 9). 53,06 % conseillent de vacciner les veaux de moins de 2 semaines ; 73,45 %, ceux de 2 semaines à 1 mois ; 77,55 %, ceux de 1 à 6 mois et 48,98 %, les taurillons.

Pour les gastro-entérites néonatales, 100 % des vétérinaires conseillent a minima de vacciner les femelles reproductrices et 94,52 % des éleveurs (69 sur 73) suivent cette indication pour les vaches et les génisses en gestation. Ainsi, 96,61 % (57 sur 59) vaccinent les femelles gestantes contre les coronavirus lorsqu’elles sont dans le dernier tiers de gestation. De même, 96,36 % (53 sur 55) attendent le troisième tiers pour le faire contre les rotavirus. Et 88,24 % (15 sur 17) vaccinent les femelles gestantes contre les colibacilloses dans leur dernier tiers de gestation.

Au sein des schémas vaccinaux prescrits, les reproducteurs semblent les plus concernés par la vaccination contre la fièvre Q et contre la BVD : en effet, tous les vétérinaires préconisent a minima leur vaccination.

Pour les entérotoxémies, les avis des praticiens sont plus partagés. Cela se ressent également sur le terrain dans les pratiques des éleveurs. Les recommandations des vétérinaires vont surtout vers la vaccination des jeunes (57,44 %), en particulier des veaux de 1 à 6 mois et des taurillons.

Pour la FCO, 92 % des éleveurs (69 sur 75) vaccinent uniquement les animaux mis à la vente. Les vétérinaires recommandent, dans 12,77 % des cas (6 sur 47), de vacciner les taurillons, probablement destinés à la vente, mais, dans 34,04 % des cas (16 sur 47), ils préconisent plutôt de vacciner l’ensemble du troupeau.

Par ailleurs, pour la vaccination contre les mammites, sur 17 vétérinaires, 41,18 % préconisent de vacciner tout le troupeau (c’est-à-dire les vaches en lactation et celles taries, mais également le troupeau de renouvellement) ; 35,29 %, les vaches taries et celles en lactation ; 11,76 %, uniquement les vaches en lactation ; et 11,76 %, uniquement les vaches taries.

Quand vacciner ?

Dans 75,93 % des cas, les vétérinaires (41 sur 54) précisent systématiquement à quel moment doit avoir lieu la vaccination. L’enquête à destination des éleveurs a permis d’estimer que le pourcentage de vétérinaires leur ayant précisé le moment pour la faire s’élève à 81,71 % (143 sur 175).

Cette décision prend en compte plusieurs facteurs. Notamment, pour certaines maladies, la date de vaccination peut être définie en fonction de la période la plus à risque. En effet, la connaissance de l’étiopathogénie et des facteurs de risque de la maladie permettent de déterminer cette période et de vacciner avant, de façon préventive (Baillargeon, 2014 ; Popoff, 2012). La plupart du temps, les éleveurs ont recours à cette stratégie. Elle est notamment adoptée pour les entérotoxémies, les GENN et les BPIE par plus de 85 % des participants à l’enquête : plus de trois quarts des éleveurs sondés vaccinent contre les BPIE et les GENN en automne ou en hiver et la moitié d’entre eux le font contre les entérotoxémies au printemps (figure 10).

Certains, qui n’ont pas l’habitude de vacciner, commencent à le faire lorsque la maladie se déclare. C’est la tendance, par exemple, s’agissant de la teigne.

En plus de ces critères de saison, d’autres entrent en jeu, complètent ces informations et permettent de fixer plus précisément la date de vaccination. La période de reproduction tient une place prépondérante dans la décision : 87,88 % des vétérinaires (29 sur 33) et 65,03 % des éleveurs (106 sur 163) en tiennent compte. La date de mise en lot semble aussi primordiale, puisque c’est un critère pour 60,61 % des praticiens (20 sur 33) et 46,36 % des éleveurs (70 sur 151).

En ce qui concerne les animaux de commerce, 83,78 % des vétérinaires (31 sur 37) prévoient la vaccination en tenant compte de la date de vente, voire d’exportation souhaitée par l’éleveur. Cependant, ce critère est moins essentiel aux yeux des éleveurs, puisqu’il intervient dans respectivement 39,73 % (58 sur 146) des cas (figure 11).

Enfin, certains rassemblements d’animaux influencent également le choix du moment opportun de la vaccination (figure 12).Seulement, peu d’éleveurs sondés (35 sur 149, soit 23,49 %) tiennent compte de ces dates.

Où vacciner ?

La généralisation de la vaccination chez le naisseur plutôt qu’au centre d’allotement la rendrait plus efficace, en grande partie à cause du délai d’acquisition de l’immunité (Belbis et coll., 2017). La question du lieu de vaccination s’adressait donc plus particulièrement aux élevages allaitants, qui, dans cette étude, étaient majoritairement naisseurs ou naisseurs-engraisseurs (96 sur 100). Ainsi, 97,67 % des éleveurs (84 sur 86) déclarent qu’elle a eu lieu chez le naisseur, donc elle se fait en effet préférentiellement dans l’élevage de départ.

Seulement vacciner ?

La vaccination doit être intégrée au cœur d’une stratégie plus globale de pratiques préventives (Paton, 2016). Pour être pleinement efficace, la prévention est complétée par des mesures sanitaires et de conduite d’élevage visant à limiter les facteurs de risque à l’origine de ces maladies (Mathevet et Vialard, 2000). 96,23 % des praticiens (50 sur 53) conseillent systématiquement à leurs éleveurs de mettre en place des mesures de maîtrise des facteurs de risque en même temps que la vaccination. Il apparaît primordial de justifier cet aspect auprès d’eux, d’autant plus que 45,56 % de ceux interrogés (82 sur 180) n’ont jamais entendu parler de cela. Les autres éleveurs répondants considèrent le vétérinaire comme la principale source de renseignements sur ce sujet (figure 13).

Les objectifs du plan ÉcoAntibio semblent-il atteints ?

Sur les cinq dernières années, dans la filière bovine, l’exposition globale aux antibiotiques a diminué de 24,3 % (Anses, 2016). L’étude interrogeait donc les vétérinaires et les éleveurs sur un potentiel lien entre la vaccination et l’utilisation des antibiotiques.

Ainsi, 78,89 % des éleveurs (142 sur 180) pensent employer moins d’antibiotiques depuis qu’ils vaccinent et 84,91 % (152 sur 179) sont convaincus qu’il s’agit d’une bonne alternative à leur usage. Les vétérinaires (48 sur 51, soit 94,12 %), quant à eux, constatent qu’au sein des élevages où une vaccination a été mise en place, les éleveurs utilisent moins d’antibiotiques. Pour les participants à l’étude, la vaccination semble donc offrir une alternative aux antibiotiques.

De plus, 69,57 % des praticiens (32 sur 46) seraient prêts, si nécessaire, à préconiser les autovaccins à leurs clients. Cependant, seulement 32,79 % des éleveurs (60 sur 183) ont entendu parler de cette solution. Après leur avoir redonné une définition, 70,39 % (126 sur 179) se déclarent prêts à les utiliser.

Conclusion

Ces enquêtes apportaient des résultats avant tout descriptifs et quantitatifs. Ceux de l’enquête vétérinaire ont été apposés à ceux des éleveurs, seulement ils ne sont pas toujours comparables puisque les réponses des praticiens s’appliquent à une clientèle d’éleveurs, et non pas un éleveur comme dans la seconde enquête. Il est également important de garder à l’esprit que nous comparons, d’une part, des recommandations avec, d’autre part, des mises en œuvre, expliquant aussi en partie les autres différences observées. Enfin, les réponses proviennent de vétérinaires et d’éleveurs de régions différentes.

La double enquête a cependant permis de pointer certaines tendances en matière de pratiques vaccinales actuelles, soit présentes aussi bien dans les conseils des vétérinaires que dans les habitudes des éleveurs, soit, à l’inverse, absentes. Des points restent encore à améliorer, afin d’optimiser la vaccination et de limiter les échecs vaccinaux.

Les recommandations des vétérinaires sont déterminantes dans la mise en œuvre d’un plan de vaccination : leurs conseils semblent, dans l’ensemble, appréciés et suivis. Une offre de service pourrait être une prestation intéressante à développer par les praticiens. En effet, la mise en place d’un audit de vaccination pourrait ici trouver son intérêt, afin de conseiller au mieux les éleveurs dans sa réalisation, tout en discutant des protocoles.

Lire aussi le décryptage de ce numéro, pages 42 et 43.

Retrouvez les références bibliographiques de cet article sur bit.ly/2AEWAgT.

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