Les croquettes sont-elles de la malbouffe ? - La Semaine Vétérinaire n° 1740 du 16/11/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1740 du 16/11/2017

ANALYSE

PRATIQUE CANINE

L'ACTU

Auteur(s) : CHARLOTTE DEVAUX  

À en croire différentes sorties médiatiques, les aliments industriels pour animaux sont dans le viseur de journalistes et de consommateurs. Que répondre aux questions des clients ?

Reportage sur France 51, livre grand public2 écrit par une journaliste, blogs et pages Facebook sur les croquettes dites toxiques3… On s’attendrait presque à ce que le pet food soit le sujet du prochain numéro de Cash investigation. Alors, les croquettes sont-elles un fléau pour la santé animale ?

L’industrie du pet food a vu le jour après la seconde guerre mondiale. Aujourd’hui, 810 000 tonnes de croquettes sont vendues chaque année en France, dont la moitié en supermarché. Le pet food représente 7 % du chiffre d’affaires des grandes surfaces et un total de 3,4 milliards d’euros en France en 2016. Ne nous leurrons pas, les industriels ne sont pas des philanthropes, la santé des animaux est un bénéfice collatéral, le but principal reste financier. Alors, dans ce monde de requin, tout est-il bon à jeter ?

Les croquettes : une solution nutritionnelle

Pourquoi les croquettes suscitent-elles un tel engouement de la part des vétérinaires comme des propriétaires ? Pour les professionnels de santé, elles représentent un aliment déjà équilibré, notamment en minéraux, qui a permis la disparition de la plupart des grandes pathologies nutritionnelles. Aujourd’hui, le “all-meat syndrome” est presque devenu un mythe, au même titre que la maladie de Carré. Pour les propriétaires, les croquettes sont un aliment pratique d’usage et économique. D’un point de vue environnemental, les croquettes permettent de nourrir les populations croissantes d’animaux domestiques avec les morceaux de viande aujourd’hui dédaignés par les humains, comme les abats ou les morceaux à bouillir. Ce “recyclage” évite une consommation inutile et coûteuse pour l’environnement de protéines animales. Pour autant, les croquettes sont-elles l’idéal nutritionnel de l’animal de compagnie ?

La nourriture sèche est-elle physiologiquement adaptée aux carnivores ?

Si l’aspect pratique des croquettes réside dans sa forme sèche et concentrée, c’est là aussi que se trouvent ses faiblesses nutritionnelles. Il n’est physiologique pour aucun être vivant de se nourrir d’aliments secs et concentrés, mais c’est au chat en particulier que cela pose des problèmes. Celui-ci peine à adapter sa consommation d’eau à ce type d’aliment et risque de se retrouver en déficit hydrique chronique. C’est aussi le chat qui a le plus de mal à digérer les glucides impérativement utilisés pour texturer les croquettes. Et c’est encore le félin qui, avec son très faible besoin énergétique, souffre de la forme concentrée de l’aliment, qui le condamne à une ration de 50 g par jour. C’est pour cela qu’aujourd’hui, chez le chat, le mix-feeding est prôné, avec un grand retour de la pâtée (ou de la ration ménagère) : aliment riche en eau, le plus souvent pauvre en glucides et trois à quatre fois moins calorique qu’une croquette, donc plus volumineux. Chez le chien, ce sont surtout les glucides qui vont poser problème, pas tant aux vétérinaires, mais aux propriétaires, qui voient leur chien comme un loup. L’étude menée par Axelsson en 20134 a bien prouvé que le chien différait du loup par son génome, qui lui permettait une plus grande synthèse d’amylase et donc une plus grande capacité à digérer l’amidon. Pour autant, la question de la toxicité des glucides pour le chien reste posée par beaucoup de propriétaires.

Les glucides sont-ils le mal absolu ?

Actuellement, les données suggèrent que tant que les besoins nutritionnels du chien sont couverts en protéines, en acides gras essentiels, en fibres, en vitamines et en minéraux, le reste de l’énergie nécessaire peut être apporté par des glucides pour des raisons économiques, technologiques ou environnementales, sans problème de santé pour l’animal. Une alimentation adaptée au chien ne repose donc pas uniquement sur son taux de glucides (n’en déplaise à un certain modérateur de groupe Facebook sur les croquettes toxiques), mais bien sur tout ce qu’elle apporte à côté. Malgré le fait que 80 % des chiens et des chats sont nourris avec de la nourriture industrielle, souvent assez riche en glucides (40 % en moyenne), l’espérance de vie des animaux de compagnie ne fait qu’augmenter. Peut-on penser, comme le disait David Servan-Schreiber à propos de la nutrition humaine, qu’il vaut mieux des fruits et des légumes avec des pesticides que pas du tout de fruits ou de légumes ? Les croquettes sont certainement trop riches en glucides, certainement pour des raisons économiques, mais elles apportent aussi des huiles de poisson, des vitamines et des minéraux en quantités calculées, des antioxydants et des fibres, qui ont des effets positifs sur la santé animale. Et si, aujourd’hui, l’idéal est représenté par les fruits et les légumes bio, dans l’alimentation animale, l’idéal serait le retour au “fait maison”.

Avec le “fait maison”, « je vois ce que je donne »

Face à l’opacité de la composition des croquettes, à la défiance généralisée envers l’industrie et à l’idéalisation du retour au naturel, on assiste à un retour en force du “fait maison”. De la ration ménagère séculaire à l’alimentation Barf5 en vogue, les propriétaires veulent se réapproprier la nourriture de leur animal, au même titre qu’ils essayent d’éviter l’alimentation industrielle pour leurs enfants. Si le “fait maison” présente de grands avantages nutritionnels (ration volumineuse, humide, avec une composition pauvre en glucides, si on le souhaite), elle présente aussi des risques. Le premier est celui du déséquilibre alimentaire, notamment si l’on se passe de compléments minéraux et vitaminés. Le second est le risque infectieux et surtout zoonotique si l’on donne la viande crue, avec notamment un risque de salmonellose véritablement problématique chez l’enfant en bas âge. Les autres inconvénients sont le coût élevé et l’aspect fastidieux de la préparation quotidienne.

Le vétérinaire, les croquettes et le ménager

Rien n’est parfait, il n’existe aucune solution miracle. Les croquettes de bonne qualité, riches en protéines, en acides gras essentiels, bien pourvues en vitamines, en minéraux et en fibres sont une solution pratique que, pour l’instant, les données de la science ne récusent pas. Une ration ménagère bien conduite, équilibrée, avec un risque infectieux bien géré est une alternative qui comporte d’autres avantages et contraintes. Le savoir-faire du vétérinaire reste essentiel pour guider les uns et les autres vers la solution la plus adaptée à leurs besoins.

1 Quelles croquettes pour nos bêtes ? (diffusion le 8/10/2017).

2 Vous êtes fous de leur faire avaler ça ! de Morgane Kergoat, Flammarion, 13,6 x 22 cm, 272 pages.

3 www.alertes-croquettes.com - https://www.facebook. com/groups/alertescroquettes.

4 Axelsson E. et coll. The genomic signature of dog domestication reveals adaptation to a starch-rich diet. Nature. 2013;495:360-364.

5 Biologically appropriate raw food.

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