Le porcelet sera-t-il encore castré en France ? - La Semaine Vétérinaire n° 1739 du 09/11/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1739 du 09/11/2017

EUROPE

PRATIQUE MIXTE

L'ACTU

Auteur(s) : TANIT HALFON  

Faute de consensus entre les professionnels, l’abandon au 1 er janvier 2018 de la castration chirurgicale des porcelets par l’ensemble de la filière porcine ne sera pas envisageable. La coopérative Cooperl fait bande à part, 80 % de ses éleveurs ayant arrêté de castrer.

Tenir les délais voulus par Bruxelles n’est pas réalisable », reconnaît Philippe Le Coz, vétérinaire praticien et président de la commission porcine de la Société nationale des groupements techniques vétérinaires (SNGTV). Six ans après la signature de l’appel de Bruxelles à abandonner la castration chirurgicale du porcelet au 1er janvier 2018, la France semble à la traîne. « Au point mort » même, selon Didier Delzescaux, directeur général d’Inaporc. Pourtant, une première étape de maîtrise de la douleur chirurgicale, demandée par Bruxelles, avait été franchie dès 2012, la France ayant choisi d’utiliser des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) en phase post-chirurgicale pour la viande de label Le Porc Français (anciennement Viande de Porc Français, près de 90 % des viandes de porc et 50 % des jambons cuits). Aujourd’hui, les réflexions portent sur de meilleures alternatives à la castration à vif, comme l’emploi d’anesthésiques, seule la coopérative Cooperl Arc Atlantique ayant franchi le pas de l’arrêt pur et simple de cet acte chirurgical.

Gare à la mauvaise odeur

Un des principaux freins à l’abandon de la castration est l’absence de méthodes analytiques fiables, reconnues par toute la filière et facilement utilisables pour détecter les carcasses odorantes en abattoir. Valérie Courboulay, ingénieur d’études à l’Ifip, Institut du porc, explique : « À ce jour, la seule technique mise en œuvre passe par l’odeur. Un morceau de gras est chauffé et un opérateur, spécifiquement formé, différencie la “bonne” de la mauvaise odeur de la viande. Cette méthode n’est pas fiable à 100 %, et fait courir le risque d’un rejet possible de la viande par le consommateur. » Car la viande du mâle entier, à la première cuisson, peut dégager une certaine odeur et un goût trop fort pour le consommateur français. Un risque que la filière n’est pas prête à courir. Didier Delzescaux rappelle d’ailleurs qu’une étude menée par l’Ifip avait évalué entre 4 et 8 % les carcasses à risque d’odeur en France. « Avec 24 millions de cochons en France et 12 millions de mâles, si la production de mâles entiers se généralisait, on oscillerait donc entre 480 000 et 960 000 carcasses à risque, ce qui n’est pas négligeable ! » Aujourd’hui, excepté à Cooperl, les carcasses des mâles entiers sont donc considérées d’office à risque et intègrent des filières moins rentables. Pourtant, comme nous l’explique le ministère en charge de l’agriculture, une étude du groupe d’experts de la Commission européenne avait montré que le nez humain était la méthode la mieux corrélée à la perception des odeurs sexuelles par le consommateur.

Scission au sein de la filière

Les réticences à abandonner la castration ne touchent pas l’ensemble des acteurs de la filière porcine. Cooperl Arc Atlantique, coopérative agricole regroupant 2 700 éleveurs, produisant un quart de la viande de porc française, compte 80 % d’adhérents qui ne castrent plus, les 20 % restants entrant dans des programmes de production pour lesquels le mâle entier est proscrit (certains labels, le bio, etc.). « Dès 2013 et après des recherches poussées, nous avons été capables d’en gérer tous les aspects technico-économiques », souligne Anne Lacoste, chargée de ce dossier au sein de la coopérative. Carcasses plus maigres, efficacité alimentaire (moins d’intrants, de surfaces agricoles et d’effluents), amélioration du bien-être animal, les avantages ne manquent pas. Les années d’expérience de la coopérative ont aussi montré que le mâle entier n’était pas plus agressif. « Certains comportements de chevauchement peuvent être le reflet d’un inconfort, les conditions d’élevage devant alors être améliorées », explique Anne Lacoste. Côté odeur, un travail sur la génétique et l’alimentation a permis d’abaisser entre 3 et 5 % le taux de carcasses odorantes, détectées par la méthode du nez humain. Un système viable, la structure de la coopérative allant “de la fourche à la fourchette”, permettant l’élaboration de sa propre grille de paiement, où seuls les mâles odorants sont pénalisés. « Depuis le lancement de cette filière, le taux de réclamations clients, consommateurs compris et tous motifs confondus, n’a pas augmenté, précise Anne Lacoste, tous les consommateurs n’y étant de toute façon pas sensibles. »

D’autres voies possibles

« Pourquoi ne pas envisager une deuxième étape incluant l’utilisation d’anesthésiques locaux ou généraux par les éleveurs ? , interroge Philippe Le Coz. Cette décision est forcément politique, car elle implique un changement de la réglementation en vigueur. Se pose aussi un problème de responsabilité, l’emploi d’anesthésiques ne venant pas sans risque (accidents, suicides si détournement d’usage avec certains produits) » À ce sujet, l’Ifip présentera en 2018 un bilan de l’ensemble de ses travaux menés sur la castration, notamment la comparaison entre l’emploi d’une anesthésie locale et celui d’un AINS seul. Une solution envisagée par l’Inaporc, qui en discute avec la Direction générale de l’alimentation. D’autant plus que la viande de mâle entier n’est pas forcément acceptée à l’export vers certains pays tiers, comme le Japon.

Une autre voie possible est celle de l’immunocastration. Mais la crainte d’une mauvaise acceptabilité par le consommateur et le risque d’amalgame avec la viande aux hormones freinent son usage. Abattre plus tôt l’animal, comme c’est le cas en Espagne, par exemple, ne semble pas non plus envisageable, le marché français fonctionnant dans une optique de valorisation maximale des carcasses, comme nous l’explique Didier Delzescaux. Philippe Le Coz souligne que « de manière générale, l’interprofession ne saurait prendre une décision sans un certain consensus avec les principaux pays producteurs européens ». Face à un risque de distorsion de concurrence avec les autres pays producteurs de l’Union européenne, une coordination au niveau européen semble indispensable.

QUE DIT LE MINISTÈRE DE L’AGRICULTURE ?

Contacté par notre rédaction, le ministère en charge de l’agriculture explique que, pour des raisons techniques, l’objectif de l’abandon pur et simple de la castration semble difficile à atteindre et l’évolution des pratiques passera plutôt par une maîtrise de la douleur lors de l’acte chirurgical. Une réflexion sur les règles de prescription-délivrance avec, en premier lieu, les vétérinaires, est menée en ce sens. Cet engagement politique, acté dans le plan d’action 2016-2020 en faveur du bien-être animal (action 9), repose surtout sur les professionnels de la filière porcine, comme nous le précise le ministère : « L’État n’impose pas de moyens pour atteindre l’objectif de l’arrêt des castrations à vif des porcelets. Les moyens employés sont à la discrétion des professionnels. » À ce jour, hormis l’initiative de Cooperl, aucune alternative n’est privilégiée par la filière. Dans ce contexte, « s’il ne revient pas à l’État de résoudre ce conflit, il apparaît opportun d’organiser une médiation entre l’interprofession, les groupements d’éleveurs, les abatteurs et les distributeurs, pour restaurer le dialogue entre tous ces acteurs ».
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