Responsabilité des vétérinaires : un enjeu financier de plus en plus grand - La Semaine Vétérinaire n° 1735 du 14/10/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1735 du 14/10/2017

DOSSIER

Auteur(s) : NICOLAS CORLOUER 

L’évolution sociétale du rapport de l’homme à l’animal exerce une influence considérable sur le juge dans l’ensemble des affaires qui lui sont soumis, avec un renforcement des sanctions pénales prononcées à l’encontre des personnes infligeant des mauvais traitements. Le juge reconnaît également le lien affectif liant l’animal de compagnie à son propriétaire. Dans ce cadre, le vétérinaire devient un professionnel confronté fréquemment à la mise en cause de sa responsabilité.

Face à l’évolution sociétale du rapport de l’homme à l’animal, qui se traduit notamment par une profonde évolution du statut juridique de ce dernier1, la loi estimant que « les animaux sont des êtres vivants doués de sensibilité » 2, le vétérinaire devient un professionnel confronté fréquemment à la mise en cause de sa responsabilité. Les enjeux financiers sont de plus en plus importants, tant en matière de primes d’assurance que de condamnations éventuellement prononcées par le juge. La responsabilité du vétérinaire se décline en trois grandes catégories caractérisant des problématiques très différentes, à savoir : les responsabilités pénale, délictuelle et contractuelle. En effet, il convient d’exclure la problématique du contentieux déontologique qui correspond à un contentieux disciplinaire et non en responsabilité stricto sensu.

La responsabilité pénale du vétérinaire

Si ce régime de responsabilité apparaît comme plus anecdotique, relevant de problématiques de gestion générale d’une société, il doit être évoqué afin d’éviter certaines pratiques courantes. Dans le cadre de son exercice professionnel, le vétérinaire est naturellement soumis aux règles du droit des sociétés, et le non-respect de celles-ci peut conduire un praticien dirigeant devant le juge pénal. En effet, le dirigeant d’une structure, quelle que soit sa forme juridique, peut être tenté d’utiliser les actifs de sa société à des fins personnelles, commettant ainsi un abus de confiance, transposition de l’abus de biens sociaux applicable aux sociétés commerciales (anonymes, SA ; par actions simplifiées, SAS ; à responsabilité limitée, Sarl). L’exemple classique qui illustre cette infraction est l’acquisition de véhicules par la société, utilisés à des seules fins personnelles. L’entrepreneur auteur de telles infractions encourt jusqu’à trois ans de prison et 375 000 € d’amende3. La plus grande prudence est donc requise. En réalité, de telles infractions, difficilement identifiables, sont peu poursuivies par les pouvoirs publics. Toutefois, il convient de rester vigilant, ces pratiques se révélant au grand jour en cas de liquidation d’une société ou encore, hypothèse non négligeable, lors de conflits entre associés. En outre, la responsabilité pénale du vétérinaire peut également être engagée pour les infractions à la législation du travail ou le non-respect des règles sur la pharmacie…

La responsabilité délictuelle du vétérinaire

La responsabilité délictuelle, qui contrairement à ce que le terme pourrait laisser supposer, est sans rapport avec une quelconque infraction pénale, recouvre la responsabilité du vétérinaire vis-à-vis des tiers en dehors de tout lien contractuel. Celle-ci se décline en deux aspects principaux.

L’employeur est responsable des fautes commises par ses salariés

En premier lieu, la responsabilité délictuelle du vétérinaire peut être mise en cause du fait de ses préposés4. Cette disposition, ainsi que le rappelle régulièrement la jurisprudence, implique qu’un salarié, ou préposé, du vétérinaire ne peut pas être tenu pour responsable à l’égard des tiers du dommage qui lui serait imputable, dès lors qu’il a agi sans excéder les limites de la mission qui lui a été impartie par son employeur ou commettant5. Pour que la responsabilité du vétérinaire employeur soit engagée de ce chef, plusieurs conditions doivent être réunies, à savoir l’existence :

- d’un lien de subordination entre le vétérinaire et le salarié, c’est-à-dire un pouvoir de direction, de surveillance et de contrôle ;

- d’une faute du salarié ;

- d’un acte commis par le préposé dans l’exercice de ses fonctions.

Ainsi, le vétérinaire est responsable des fautes commises par ses salariés dans le cadre de leur fonction. Toutefois, il convient de préciser que ce régime ne s’applique pas en matière de responsabilité pénale, dès lors que nul n’est responsable pénalement que de son propre fait6.

Le vétérinaire est reconnu comme le gardien de l’animal

En deuxième lieu, la responsabilité délictuelle du vétérinaire peut également être mise en cause du fait des animaux placés sous sa garde. Si, en principe, la responsabilité du fait de son animal incombe à son propriétaire, il existe des situations dans lesquelles il transfère la garde à d’autres personnes7. Bien que cette responsabilité ait pu donner lieu à de nombreux débats doctrinaux, la jurisprudence demeure bien établie, découlant d’un arrêt de la cour d’appel de Douai de 1938, réaffirmée de manière constante, notamment par la cour d’appel d’Aix-en-Provence le 28 avril 1970, où il est jugé que « le vétérinaire qui donne des soins à un animal s’en sert pendant qu’il est à son usage et en devient le gardien à la place du propriétaire ». De première part, ce régime implique de distinguer la notion de “garde” de celle de “dépôt”. En effet, dans le cadre d’une hospitalisation, l’animal est déposé par son propriétaire afin de recevoir des soins. Dans cette hypothèse, le vétérinaire sera responsable contractuellement des dommages subis par l’animal au titre du contrat de dépôt. A contrario, le régime de responsabilité évoqué ici implique que la personne à qui la garde est confiée, généralement le propriétaire, est responsable des dommages causés par l’animal à toute autre personne, mais aussi aux biens. De seconde part, la notion de “garde” se caractérise, selon la jurisprudence, par un pouvoir de direction et de contrôle de l’animal8. Quand le propriétaire n’est plus en mesure d’exercer son pouvoir de direction et de contrôle, la garde est transférée à un tiers et notamment au vétérinaire lorsque celui-ci le soigne.

Dans ce cadre, certaines juridictions considèrent que le vétérinaire commence à faire usage de l’animal dès lors que celui-ci se trouve dans la salle d’attente du praticien. Une telle position est particulièrement critiquable si l’on considère légitimement qu’à cet instant le vétérinaire n’a pas commencé à en faire usage. Il serait plus juste de considérer que la garde est transférée au vétérinaire dès lors qu’il est en mesure de donner des ordres, c’est-à-dire dès l’accueil du client. Cette garde du praticien ne prendra fin qu’au moment où il restitue l’animal à son propriétaire et ne sera plus en mesure de donner des ordres. D’une manière générale, le vétérinaire est toujours reconnu comme le gardien de l’animal dès l’instant où celui-ci se trouve dans la salle de consultation, et ce même lorsqu’il s’absente de cette salle, laissant le propriétaire seul avec son animal.

Par ailleurs, l’engagement de la responsabilité du vétérinaire de ce chef est très facilement démontrable, dès lors qu’il existe une présomption de responsabilité, c’est-à-dire que, même en l’absence de faute de la part du vétérinaire, celui-ci sera responsable des agissements de l’animal, cette présomption étant renforcée par le statut de professionnel du vétérinaire. Néanmoins, l’engagement de la responsabilité implique de démontrer l’existence d’un préjudice et d’un lien de causalité entre celui-ci et le fait de l’animal.

Toutefois, le vétérinaire pourra atténuer sa responsabilité, voire s’en dégager totalement lorsqu’il sera en mesure de démontrer que :

- le dommage résulte d’un cas de force majeure, c’est-à-dire un événement imprévisible et irrésistible (hypothèse très peu retenue) ;

- il découle du fait d’un tiers, par exemple, une personne qui a effrayé l’animal ;

- il est la conséquence d’un comportement fautif de la victime.

La difficulté résidera dans l’apport de la preuve que l’une de ces conditions est bien remplie.

Compte tenu de la gravité des blessures qu’un animal peut infliger, le praticien doit donc se montrer vigilant.

La responsabilité contractuelle du vétérinaire

La responsabilité contractuelle du vétérinaire est aujourd’hui la principale source de contentieux entre le praticien et ses clients. En effet, ces derniers recherchent la réparation de leurs préjudices en cas d’échec du protocole thérapeutique.

En dehors de la faute professionnelle dans l’acte de soins lui-même susceptible de conduire à une condamnation civile en réparation du préjudice, mais également ordinale pour faute professionnelle, une véritable problématique du recueil du consentement éclairé du propriétaire de l’animal se pose aujourd’hui et constitue une source contentieuse importante. Il convient donc de revenir sur ces éléments.

Le contrat de soins

À titre liminaire et pour rappel, la mission du vétérinaire s’effectue dans le cadre d’un contrat : le contrat de soins. La responsabilité contractuelle qui en découle évolue dans le même sens que la médecine humaine en application d’un arrêt aux termes duquel « la responsabilité des vétérinaires est soumise aux mêmes règles que celle des médecins » 9.

Une telle approche est critiquable. En effet, la médecine vétérinaire est économiquement responsable, c’est-à-dire qu’une dimension économique entre nécessairement en considération dans le choix du propriétaire dans le protocole thérapeutique. Or, cette dimension ne se retrouve pas en médecine humaine, ne permettant donc pas une transposition simple des règles applicables pour les médecins par le juge. Une différenciation devrait donc être opérée.

En premier lieu, il convient de revenir sur les fondements de cette responsabilité. La prise en charge d’un animal par un vétérinaire se traduit par un contrat de soins, d’où l’existence d’un lien contractuel, impliquant des obligations réciproques. En effet, le propriétaire est tenu de renseigner le vétérinaire sur l’ensemble des troubles de l’animal et de s’acquitter du prix des prestations réalisées, alors que le vétérinaire s’engage à mettre en œuvre l’ensemble des moyens nécessaires pour soigner l’animal.

À défaut de respecter ses obligations, une partie au contrat engage sa responsabilité contractuelle10.

L’obligation de moyens et de résultat

Cette obligation du vétérinaire de soigner l’animal est une obligation de moyens, c’est-à-dire qu’il n’est pas dans l’obligation de sauver l’animal (obligation de résultat), mais seulement de mettre en œuvre l’ensemble des moyens à sa disposition pour tenter de le sauver. Cette obligation de moyens découle d’une jurisprudence ancienne et bien établie, reconnue d’abord en médecine humaine11 et étendue à la médecine vétérinaire : « Attendu que les règles relatives à la responsabilité des médecins sont applicables à l’art vétérinaire, avec des tempéraments qu’imposent les différences de techniques inhérentes à celles du diagnostic et des modes opératoires ; que le vétérinaire ne contracte, vis-à-vis de son client, d’autre obligation que celle de donner des soins consciencieux, conformes aux données acquises de la science et de la technique. » 12 Cette obligation de moyens n’est pas absolue. De première part, dans certaines hypothèses, elle peut être renforcée. Celle-ci s’applique aux vétérinaires spécialistes, le juge considérant qu’une spécialisation permet au praticien de posséder des connaissances plus poussées et plus précises qui renforcent son obligation. De seconde part, dans d’autres hypothèses, le vétérinaire sera tenu à une obligation de résultat, notamment lorsque l’acte pratiqué n’implique aucun aléa thérapeutique. Une telle obligation de résultat existe notamment pour certaines analyses biologiques, où, compte tenu de l’évolution de la technologie, le vétérinaire n’est plus soumis à un aléa thérapeutique et garantit donc le résultat.

Dans toutes les hypothèses, l’engagement de la responsabilité nécessitera la démonstration d’un préjudice, d’une faute et d’un lien de causalité entre les deux. Ce régime est, par conséquent, contraignant pour le propriétaire, dans la mesure où la preuve de la faute n’est pas évidente à rapporter. Pour cette raison, celui-ci sera tenté de se prévaloir du défaut d’information.

Le consentement éclairé

En second lieu, il convient de revenir sur un aspect particulier de la responsabilité contractuelle du vétérinaire, mais probablement le plus important : son obligation d’information pour permettre au propriétaire de l’animal de donner son consentement éclairé, obligation médiatisée récemment dans l’affaire Jamel Debbouze-Melissa Theuriau, à la suite du décès du cheval du couple de stars, à cause de complications dans la castration.

Cette obligation d’information provient des règles déontologiques de la profession. En effet, l’article R.242-48 du Code rural et de la pêche maritime impose aux praticiens de formuler conseils et recommandations avec clarté et explications sur l’ensemble des procédures pour recueillir le consentement éclairé du propriétaire.

De plus, la loi du 4 mars 2002 pose le principe que cette infirmation doit être « loyale, claire et appropriée ».

Enfin, la jurisprudence juge de manière constante, notamment dans l’affaire Debbouze-Theuriau, que « le vétérinaire , tenu d’une obligation d’information envers son client, se devait donc, préalablement à la castration, de l’informer de manière claire, intelligible et complète du risque d’éventration, s’agissant d’une complication grave normalement prévisible, de telle sorte que son client puisse annuler l’opération s’il ne souhaitait pas le faire courir à son animal. Il se devait également d’indiquer à son client les avantages et les inconvénients des différentes techniques chirurgicales, de manière à ce qu’il puisse donner un consentement éclairé. Il n’a donc pas correctement informé son client. Ce faisant, il a commis une faute engageant sa responsabilité » 13.

Ainsi, force est de constater que cette obligation d’information porte à la fois sur l’ensemble des complications prévisibles et connues pour chaque intervention médicale et/ou acte de soins, mais également sur une présentation de l’ensemble des techniques pouvant être mises en œuvre pour soigner l’animal, avec un exposé des avantages et des inconvénients de chacune.

Or, la preuve de l’accomplissement de cette obligation repose sur le praticien et non sur le propriétaire, car le juge procède ici à une inversion de la charge de la preuve. Une telle inversion impose donc au vétérinaire d’être particulièrement vigilant dans le recueil du consentement éclairé, mais également dans l’administration de la preuve. Le recours à l’écrit est donc ici impératif.

En conclusion, s’il apparaît que la responsabilité du vétérinaire peut être recherchée dans de nombreux cas de figure, ceux-ci peuvent être globalement anticipés, afin d’en réduire la probabilité de survenue, par la mise en place de protocoles simples dans la prise en charge de l’animal. D’autant plus que les condamnations financières se révèlent parfois particulièrement lourdes, notamment dans certaines spécialités comme la médecine équine où la valeur des équidés peut être très importante, afin de réparer le préjudice matériel et également moral du propriétaire, de plus en plus reconnu.

1 Article 2 de la loi n° 2015-177 du 16/2/2015.

2 Article 515-14 du Code civil.

3 Article 314-1 du Code pénal.

4 Ce régime de responsabilité découlant de l’ancien article 1384 du Code civil est désormais régi par l’article 1242 du même Code/ordonnance n° 2016-131 du 10/2/2016 portant réforme du droit des contrats, du régime général de la preuve des obligations.

5 Cour de Cassation, 25/2/2000, Costedoat, req. n° 97-17378 et 97-20152.

6 Article 121-1 du Code pénal.

7 Ce régime de responsabilité découlant de l’ancien article 1385 du Code civil est désormais régi par l’article 1243 du même Code.

8 Cour de cassation, 2/12/1941, Franck ; Cour de cassation, 5/3/1953, Jousselin.

9 Cour de cassation, 10/11/1893.

10 Article 1231-1 du Code civil, anciennement 1147.

11 Cour de cassation, 20/5/1936, Dr Nicolas C/époux Mercier.

12 Cour d’appel de Caen, 25/1/1941.

13 Cour d’appel d’Angers, 1/2012.

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