E-santé : Le vétérinaire dans la nouvelle chaîne de connaissance - La Semaine Vétérinaire n° 1732 du 23/09/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1732 du 23/09/2017

DOSSIER

Déjà bien présente dans le secteur des animaux de rente, l’e-santé se développe dans l’univers des animaux de compagnie. Numérisation de données, gestion d’objets connectés, télémédecine et big data font partie de cet univers en pleine évolution. Les vétérinaires ont une place à (re)prendre, en attendant la labellisation de certains outils et services et les solutions au vide juridique relatif, par exemple, à l’exercice de la télémédecine vétérinaire, sur lequel se penche le CNOV.

Le collier intelligent connecté de la jeune société Jagger & Lewis permet de veiller au bien-être du chien qui le porte1. Il détecte les changements d’attitude de l’animal comme ses comportements quotidiens. Avec un message marketing on ne peut plus clair : « Pour être prévenu quand quelque chose ne va pas, même en votre absence. » Vétérinaires, ingénieurs, chercheurs et développeurs ont contribué à cette innovation. Le directeur de recherche de cette jeune entreprise, Claude Béata (L 83), est vétérinaire, membre du Collège européen de médecine comportementale et président du conseil scientifique du congrès de l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac), intitulé cette année : « Vétérinaire 2.0 : la mutation »

Pourquoi et comment s’impliquer dans le développement de l’e-santé animale ? « Ces nouveaux outils peuvent nous faire passer d’une médecine qui répare à une médecine préventive, explique Claude Béata. Ils nous fournissent en effet de nouvelles données de suivi et de traitement médical des animaux. Grâce au collier connecté, je peux notamment m’appuyer sur des données chiffrées qui montrent au propriétaire que son chien hyperactif a réellement baissé son niveau d’activité. » Des résultats qui interviennent à la suite des recommandations données au préalable, en consultation à la clinique. Ces outils technologiques seront aussi utiles pour mieux suivre l’efficacité de traitement contre la douleur, par exemple, chez le chien arthrosique. « On peut prévenir rapidement un propriétaire que son chien boit davantage, ce qui aidera son vétérinaire à dépister plus précocement de nombreuses affections, telles que le diabète, etc. », précise Claude Béata.

Toutefois, ces nouvelles technologies ne sont apparemment pas encore très prisées par les professionnels, qui restent sceptiques. Un sondage paru en juin dernier sur Lepointveterinaire.fr montre que 43 % des vétérinaires considèrent les objets connectés dédiés à la santé des animaux de compagnie comme des gadgets inutiles, s’en remettant à leur sens clinique et aux autres outils déjà disponibles.

Des outils 2.0 pas encore labellisés

Cette méfiance s’explique par plusieurs raisons, selon Claude Béata. Quand les premiers objets connectés sont apparus, il y a déjà quelques années sur le marché des animaux de compagnie, « tout le monde s’est d’abord précipité dessus ! Malheureusement, on s’est alors un peu brûlé les doigts. Parce qu’ils étaient compliqués, qu’on manquait de formation pour les utiliser, parce qu’ils n’étaient pas toujours fiables dans leurs mesures. Dans un marché peu mature et sans labellisation, il est encore difficile de distinguer ce qui est de l’ordre du gadget de ce qui est réellement utile et fiable ».

De plus, le succès commercial de tels objets technologiques s’avère très différent d’un produit à l’autre ! C’est notamment le cas des premiers objets connectés américains. La société qui avait lancé le tracker d’activité Voyce® a fait faillite, avec 6 millions de dollars de passif ! En revanche, la start-up à l’origine du capteur canin Whistle®2 a été acquise par un grand groupe de l’agroalimentaire, Mars. « Un groupe qui a, par ailleurs, racheté tout un réseau de cliniques vétérinaires aux États-Unis », ajoute Claude Béata.

Le monde de l’agriculture s’ouvre peu à peu aux outils et services 2.0. Jean-Pierre Chanet, ingénieur de recherche à l’Institut national de recherche en sciences et technologies pour l’environnement et l’agriculture (Irstea) et président de l’Association francophone d’informatique agricole (Afia), rappelle qu’est d’abord apparue l’identification électronique, puis les transactions du e-commerce, puis les robots de traite dans les années 2000. Et le suivi du bien-être et de la santé des animaux au sens large. Actuellement, les capteurs sur les vaches sont en cours de développement. Par exemple, un capteur d’activité de température permet de mieux détecter les chaleurs, ce qui est utile pour la reproduction. On mesure aussi le PH du rumen. De gros progrès ont également été faits sur l’insémination et la surveillance des vêlages. En outre, bien disposés à des endroits stratégiques d’un bâtiment, des balances enregistrent ce que chaque vache mange. Quant aux abreuvoirs connectés, ils mesurent la quantité d’eau ingérée. « Ce sont des éléments importants à maîtriser pour connaître la qualité du lait. Grâce à cela, on peut aussi parfois s’apercevoir qu’une vache est malade, et l’isoler, elle et son lait, avant de la soigner. C’est ce que l’on appelle l’élevage de précision », souligne cet ingénieur de recherche.

Les professionnels face aux nouvelles technologies

Ces outils devraient finir par se généraliser à l’ensemble des élevages laitiers. Mais cela dépendra de divers facteurs, d’ordre économique et sociétal notamment. « Les agriculteurs ont, par exemple, investi dans des robots de traite pour baisser leurs charges », explique Jean-Pierre Chanet. Toutefois, appréhender et adopter les nouvelles technologies reste complexe pour certains professionnels. Selon une enquête récente de l’hebdomadaire La France agricole 3, des professionnels décident actuellement de les abandonner, pour revenir à la traite classique. L’une des premières raisons serait le renouvellement de ces premiers robots. La suivante serait d’ordre économique : « Compte tenu de la baisse du prix du lait, certains agriculteurs ne veulent pas en acheter de nouveaux. Ils disent parfois préférer se rapprocher de leurs animaux, via une traite classique, où ils peuvent les observer. » Enfin, les freins au changement sont aussi pointés par l’enquête : les difficultés de certains agriculteurs à appréhender ces équipements derniers cris sont réelles. Ils s’en détournent « pour baisser la surcharge mentale : trop de difficultés à trouver des pièces, trop de temps passé à recartographier les mamelles, trop d’alertes SMS à gérer également », mentionne notamment l’enquête.

Les créateurs de produits innovants doivent prouver qu’ils apportent une réelle valeur ajoutée à l’agriculteur : gain de temps, augmentation de qualité de vie de l’éleveur et de l’animal, etc. « Sans aucune labellisation, les agriculteurs ont souvent du mal à repérer les offres valables et restent donc prudents. » Attention aussi à ne pas mettre les outils avant les projets, avertit également l’auteur et journaliste scientifique, Vincent Tardieu, dans son ouvrage Agriculture connectée : arnaque ou remède ?.

Un besoin d’accompagnement indépendant

Il soulève, dans son livre, la question du manque d’accompagnement indépendant des agriculteurs pour les aider à d’abord établir un diagnostic sur leurs besoins réels. Enfin, la question du coût reste primordiale. Des solutions appropriées sont à l’étude : la mutualisation des achats ou même l’abonnement à des services technologiques, sans pour autant acheter du matériel (comme l’on s’abonne pour disposer d’électricité ou d’eau) pourront à l’avenir apporter une réponse à ce réel frein…

À terme, les outils et services technologiques devraient être encore plus intelligents. L’ingénieur Jean-Pierre Chanet travaille notamment à rendre les capteurs davantage performants dans leur sélection d’envoi d’alertes importantes. Il faudra aussi résoudre les problèmes de remontées d’informations vers un portail central, avec des données numériques compatibles entre elles. Il n’existe en effet pas de standardisation des données entre les différents fabricants. D’où l’utilité d’un système capable de comprendre une température codée sur un chiffre et une décimale (par exemple, 37,2) ou celle issue d’un autre fabricant qui, lui, n’indique pas de décimale (et note donc uniquement 37). « Cette standardisation est utile pour pouvoir faire des comparaisons fiables entre différentes données d’éleveurs », résume-t-il.

Les vétérinaires dans la nouvelle chaîne de connaissance

Qui s’est emparé de ces nouvelles technologies adaptées à l’agriculture et à l’élevage ? Pour l’heure, ce sont majoritairement les généticiens, les nutritionnistes ou d’autres techniciens qui utilisent et conseillent les agriculteurs sur quels changements se focaliser, quelles actions entreprendre grâce aux nouvelles informations fournies par l’informatique agricole et ses nouveaux outils intelligents. « Je pense que les vétérinaires devraient davantage s’intéresser à cette nouvelle dimension numérique, analyse Jean-Pierre Chanet. Sinon, demain, peut-être qu’un marchand de robot de traite, qui a déjà équipé sa machine d’un capteur de suivi de bien-être animal, pourra, à terme, faire aussi de la détection de maladie et même préconiser un traitement à mettre en place. » Ce qui est cependant interdit par la législation actuelle entourant l’exercice du métier de vétérinaire en France… « Pour ma part, je préférerais que ce soit le vétérinaire qui apprenne à utiliser les données issues des capteurs en les intégrant à son diagnostic clinique. Car il a l’avantage d’être un expert neutre, qui en outre respecte un code de déontologie », ajoute l’ingénieur de recherche.

Ce genre d’hypothèse ne relève aucunement de la pure science-fiction : Denis Avignon, vice-président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), aime à citer le cas d’IBM, qui met déjà au service des cancérologues américains son logiciel d’aide à la décision thérapeutique, très performant, capable de raisonner comme un clinicien par le biais de son robot Watson (une sorte d’assistant permettant d’analyser les informations recueillies par les formulaires d’admission à l’hôpital et de proposer, par exemple, une liste d’examens supplémentaires ; libre aux médecins de valider ou de rejeter la décision). De nouveaux métiers allant dans ce sens sont en train d’émerger, sous l’appellation de biostatisticiens, de data scientifiques, etc. Et les vétérinaires ont donc tout intérêt à prendre leur place dans cette nouvelle chaîne de connaissance. « Le médecin comme le vétérinaire de demain auront à faire valoir le droit, la déontologie, leur respect de la confidentialité, l’humanité, leur formation professionnelle continue pour demeurer aux yeux de tous les acteurs les plus légitimes dans l’interprétation des données numériques médicales issues de l’e-santé », prévient Denis Avignon.

Les praticiens canins bientôt tous connectés ?

Si le vétérinaire n’impulse actuellement pas ces changements dans le monde agricole, la donne pourrait, en revanche, être très différente pour les animaux de compagnie. « La profession se trouve à un carrefour et doit s’adapter à ces nouveaux outils, analyse Claude Béata. J’imagine que des vétérinaires pourraient très bien à l’avenir recommander certains équipements à leur clientèle, et même en disqualifier d’autres ! Certes, nous n’aurons pas 7,5 millions de chiens connectés. Mais il y aura un petit pourcentage de propriétaires qui vont s’y intéresser et qui pourront ainsi améliorer le suivi de leur animal. » S’ils reçoivent un message d’alerte, ils vont ensuite souhaiter prendre rendez-vous avec leur vétérinaire. Ce dernier pourra choisir d’être tenu régulièrement au courant de l’évolution d’une donnée portant sur un point de santé précis, comme le niveau de léchage, et non pas sur l’ensemble des 20 critères de comportements qui sont analysés, dont “marche”, “trot”, “galop”, “se gratter”, “aboiement”, “nourriture”, “boisson”…

« En ce qui me concerne, je serai ravi quand je recevrai un premier cas de chien de ce genre, s’enthousiasme Grégory Santaner, praticien et consultant digital pour VetoNetwork. Personnellement, j’ai déjà équipé mon chat avec une litière connectée, qui le pèse plusieurs fois par jour, qui analyse sa fréquence de miction… Trop souvent, je vois des clients arriver avec un vieux chat qui est passé de 5 à 4 kg sans que cela les ait alertés ! Car ils ne se rendent pas compte de la gravité d’une telle perte de poids. S’ils étaient prévenus dès une première perte de 5 % indicateur notamment d’apparition d’une pathologie chronique , nous pourrions mieux soigner leurs animaux ! »

Le retard français et les freins décelés

Quelle image vont donner certains vétérinaires à leur clientèle s’ils considèrent que toutes ces innovations ne sont pas intéressantes ? Soit leurs clients s’adresseront à un autre confrère, davantage à l’écoute. Soit, au pire, ils se tourneront vers d’autres professionnels. En santé humaine, des pharmaciens disposent déjà de bornes de présentation d’objets connectés dans leurs officines4. Et à Paris, des centres axés sur le bien-être animal commencent à se développer. Demain, ces non-vétérinaires pourraient proposer des objets connectés, voire des services associés. « Les vétérinaires, qui vendent déjà moins de médicaments, ont tout intérêt à veiller à ce que ce créneau du conseil et du suivi santé ne leur échappe pas. »

De nombreux freins liés à cette évolution subsistent. « La France présente un retard structurel sur le plan numérique », considère Grégory Santaner (notamment, elle est seulement placée à la 52e position, au niveau mondial, pour la vitesse de connexion à Internet). Des logiciels adaptés au secteur des animaux de compagnie sont nécessaires. Sans oublier la question de la labellisation des outils. Il serait utile que davantage d’études scientifiques prouvées accompagnent leur lancement. Ce qui suppose d’avoir affaire à des fabricants ayant des ressources suffisantes pour réaliser des tests produits sur un large panel d’animaux. Pour ce praticien, « l’expérience usager sera également un paramètre fondamental. J’ai testé récemment un capteur qui ne pouvait pas s’accrocher à un collier de plus de 5 cm de large. Comment faire alors pour équiper un chien de grande taille ? ».

La profession aurait d’ailleurs à cet égard tout intérêt à s’organiser pour partager des retours d’expérience et se former à l’usage de ces nouveaux outils. Par ailleurs, s’il existe des textes juridiques entourant l’usage des bases de données, rien n’a été produit sur les simples données. Qui les contrôle, qui les partage et à quelle fin ? Monsanto aurait, par exemple, déjà acheté, pour des montants exorbitants, plusieurs sociétés afin de croiser différentes data agricoles. Dans quel but ? Redonner de la souveraineté aux agriculteurs ou les rendre encore plus dépendants de ses propres solutions ?

1 Jagger-lewis.com. Prix du collier seul : 99 €. Abonnement avec mise à jour des données : de 39 à 99 € par an.

2 Whistle.com.

3 Dossier « Robot de traite : quand le stress pousse à l’abandon », La France Agricole n° 3709 du 25/8/2017.

4 bit.ly/2jsyOgp.

OBJETS ET ANIMAUX CONNECTÉS : L’INTÉRÊT D’UNE CHARTE ÉTHIQUE

Dans un contexte de transformation digitale des entreprises, notamment chez les professionnels de santé publique et animale, des questions d’éthique et de réglementation se posent : faut-il dire oui à un capteur non intrusif qui se pose sur le collier d’un chien, et non à une gélule qu’on lui fait ingérer afin de pouvoir lire sa température à distance, par exemple en postopératoire, une fois de retour chez son propriétaire à domicile ? Aucun texte juridique n’apporte de réponse aujourd’hui. On ne sait pas comment se positionneront à cet égard les propriétaires, les associations de défense des animaux… ni certains vétérinaires. Pour sa part, Claude Béata, membre du Collège européen de médecine comportementale, a bien pris soin de rédiger une charte éthique pour accompagner le lancement du collier connecté dédié au bien-être du chien.
Enfin, d’autres questions juridiques se posent. Si un chat avec un trackerGPS va faire ses besoins dans le jardin du voisin où un chien le tue, son propriétaire pourrait localiser et retrouver son cadavre ! : « Et avec un animal connecté, on peut potentiellement savoir où est son maître »,dit un praticien. Sans parler du développement possible de tout ce qui relève de la cybercriminalité. La sécurisation des données demeure un autre problème de taille. Le 25 mai 2018, un nouveau règlement européen va en tout cas encadrer la protection des données détenues par les entreprises et les administrations. Il sera impératif de tenir à jour un registre décrivant celles qui sont stockées. Et lors de la collecte de données personnelles, il deviendra obligatoire de requérir le consentement de l’utilisateur en expliquant l’usage qu’il en sera fait. Sont notamment visés par ce texte les services médicaux personnalisés… Un vide juridique concerne l’exercice de la télémédecine vétérinaire : un sujet sur lequel est en train de réfléchir le Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), afin d’encadrer au mieux son développement.

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