Stress post-traumatique : Des chiens au secours des malades - La Semaine Vétérinaire n° 1730 du 09/09/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1730 du 09/09/2017

DOSSIER

Auteur(s) : DOSSIER RÉALISÉ PAR NATACHA ASENSIO 

En France, la limite entre chien d’assistance (service dog) et chien de thérapie est encore floue, même au sein du corps vétérinaire. De même, le trouble de stress post-traumatique (TSPT) et les services qu’un chien dressé peut apporter aux personnes en souffrance sont très mal connus dans notre pays. Embarquement pour les États-Unis à la rencontre d’une association d’aide aux personnes atteintes de TSPT, dont l’activité témoigne des avancées en matière d’assistance canine.

Selon une étude menée par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), plus de 10 % de la population mondiale a été confrontée à un événement traumatique. L’OMS estime également à 3,6 % la prévalence du trouble de stress post-traumatique (TSPT) dans le monde. Aux États-Unis, pays où la sensibilisation à ce trouble prend un essor important, on l’évalue à 7,6 %. S’inspirant du succès des chiens guides d’aveugles, certaines associations ont vu le jour sur le sol américain. Leur but ? Dresser des chiens qui pourraient assister les victimes de cette maladie encore méconnue.

Le trouble de stress post-traumatique

Surnommé shell shock, ou “obusite”, durant la Première Guerre mondiale, le TSPT (en anglais PTSD pour posttraumatic stress disorder) est une maladie mentale qui peut toucher toutes les catégories de population. Mal étudié, il peut faire suite à un événement traumatisant, quelle qu’en soit sa nature. Agression, torture, viol, accident, catastrophe naturelle, guerre ou attentat, l’élément traumatisant peut déclencher chez certaines personnes un trouble grave duquel résultent des altérations de la vie quotidienne.

Incapables parfois de sortir de chez eux ou de mener une vie de famille normale, les personnes souffrant de TSPT considèrent l’inconnu comme une menace. Insomnies, crises de claustrophobie, cauchemars, reviviscences traumatiques, crises de colère, dépression, troubles de la mémoire, anxiété chronique et hypervigilance : le stress post-traumatique, encore sous-diagnostiqué, modifie la perception du monde et peut conduire au suicide.

OFP : fonctionnement interne

Operation Freedom Paws (OFP) est une association caritative située au sud de San Francisco qui sélectionne principalement des chiens de refuge de moins de 2 ans, afin de les dresser pour devenir chiens d’assistance pour les victimes de TSPT. Ici, du Vietnam à l’Irak, les vétérans des armées américaines se mêlent aux civils.

La particularité de ce dressage, et ce qui en fait également une thérapie, est que la personne à laquelle OFP attribue un chien doit se présenter chaque semaine au centre afin de participer de façon active à l’entraînement de l’animal.

Les membres d’OFP doivent enseigner à leur chien différentes tâches, mais également apprendre à décrypter les variations comportementales de leur animal. Sous l’égide de Mary Cortani, présidente de l’association, et d’anciens élèves devenus instructeurs, adhérent et chien s’habituent l’un à l’autre.

D’autres associations ont un fonctionnement différent : certaines, par exemple, apprennent aux animaux une série de tâches prédéfinies (allumer la lumière, appeler les secours, etc.), puis les confient à une victime de TSPT.

Pour Mary Cortani, donner l’occasion à ses élèves de comprendre leur chien, de recevoir les conseils d’anciens membres et d’enseigner eux-mêmes les tâches que le chien devra accomplir avec eux par la suite est une étape clé dans la thérapie qui précède l’action d’assistance du chien.

Le simple fait d’enseigner aux victimes de TSPT à employer le renforcement positif est un défi dans certains cas !

Les rôles du chien

Sécuriser sans inquiéter

Les chiens de service doivent apprendre à sécuriser leur partenaire humain. Un caractère calme, imperturbable, est nécessaire pour ne pas aggraver l’hypervigilance dont les personnes atteintes de TSPT sont victimes. Ceci passe par la désensibilisation à des stimuli comme les pétards.

Connaître sa place

Le chien, par des réunions dans des lieux publics (restaurants, centres commerciaux), apprend quelle est sa place, comment se tenir dans des lieux exigus comme les toilettes publiques. Il doit aussi maîtriser la navigation dans une foule et savoir comment mener l’élève vers une sortie en cas d’accès de claustrophobie, par exemple, ce qui est spécifique au TSPT.

Pas à pas, le couple humain-chien apprend de concert à réaliser ces tâches.

Selon la politique d’OFP, ce dernier ne doit pas devenir un chien de défense. Aboyer ou manifester un signe d’agressivité envers un inconnu pour le repousser parce que sa présence inquiète l’élève, par exemple, est réprouvé par Mary Cortani. L’animal apprendra seulement la consigne du blocage (donnée par l’ordre « Bloque-moi »), qui permet à la personne souffrant de TSPT de créer un petit espace sécurisé devant ou derrière elle. Une autre consigne, « Surveille mes arrières », sert à placer le chien dans le dos de son maître, lui donnant une impression de sécurité : il n’est pas obligé de se retourner pour vérifier qu’aucune menace ne se trouve derrière lui. Établir un lien de confiance est donc primordial.

Alerter la personne victime de TSPT

Lors d’une attaque de panique, une crise de colère, une crise de douleur ou en cas de flash-back, le chien d’assistance doit savoir réagir. Il peut, en certains cas, reconnaître les signes précurseurs de ces épisodes, phénomène que l’on peut comparer à la détection “précoce” d’une crise d’épilepsie par les chiens d’épileptiques. L’animal a à sa disposition tout un panel de comportements pour “ramener sur terre” (grounding, en anglais) son partenaire. On peut observer le “regard prolongé” (staring), le “coup de museau” ou “de patte” (nudging), la vocalisation (qui cesse dès que l’humain retrouve un état normal), mais aussi le saut sur la personne ou la saisie entre les crocs de la main ou du bras, si l’individu souffrant de TSPT traverse une crise intense. Le chien apprend à mobiliser tous ces comportements en fonction de l’intensité des symptômes de son partenaire.

Au début de l’entraînement, l’instructeur remarque le changement de comportement de l’animal, le signale et l’explique à l’élève qui “entraîne” le chien, puis il aide cette personne à retrouver son calme. La réaction du chien à une crise, si c’est celle qui est attendue, est renforcée positivement par son maître. Petit à petit, on peut voir les élèves humains comprendre les réactions de leur chien : l’animal fait tout d’abord prendre conscience à son partenaire de son état de crise, puis, par un contact, le ramène à la réalité. Au cours des premières séances, la présence d’un instructeur et d’une psychiatre ou d’une psychologue travaillant à OFP est nécessaire afin de gérer des crises graves. Durant six semaines d’observation, trois crises majeures (flash-back, panique ou colère) ont été observées, puis apaisées par l’intermédiaire de ces professionnels.

Obedient disobedience

La comparaison entre les chiens guides d’aveugles et les chiens d’assistance d’OFP peut ici être établie : ils doivent apprendre à désobéir à leur maître lorsque la circonstance l’exige. Il s’agit de la désobéissance obéissante.

Lors des entraînements, les instructeurs permettent aux élèves chiens d’intégrer ce principe en demandant aux élèves humains de les récompenser lorsque leur partenaire à quatre pattes désobéit. Des commandes simples sont données au cours des sessions, de façon parfois répétitive. Il suffit que l’une des personnes souffre trop d’une blessure de guerre, par exemple, ou entre dans un état de peur intense au passage d’un hélicoptère (évoquant l’évacuation sur le terrain militaire d’un blessé grave), pour que l’on voie le chien cesser totalement d’obéir aux ordres donnés, se figeant.

Un exemple intéressant a été celui de l’un des instructeurs, qui démontrait aux autres membres comment faire traverser un parcours d’agility à sa chienne. Cette dernière réussit parfaitement, puis se fige sur un tremplin, les muscles tendus. Elle fixe son maître, qui se met en colère. Malgré les ordres répétés de façon très autoritaire, la chienne ne bouge pas, les yeux rivés sur son maître. C’est à Mary Cortani d’interpeller ce dernier pour lui demander ce qu’il pense de l’attitude de sa chienne. L’instructeur réalise qu’il est trop nerveux, s’apaise et, sur les conseils de Mary, félicite sa chienne. Celle-ci se détend aussitôt physiquement et termine le parcours d’agility.

Connaître son chien

Mary Cortani a travaillé avec des chiens militaires avant de se lancer dans l’aventure OFP : elle sait interpréter le langage corporel canin et encourage les jeux de recherche olfactive afin d’étudier le comportement canin. Au cas par cas ou en groupe, elle aide ses élèves à discerner des signes de stress mineur ou majeur, des signes d’invitation au jeu, etc.

Cet apprentissage est à la fois bénéfique pour l’humain, qui peut interpréter des signes de désobéissance obéissante, par exemple, mais aussi pour l’animal, dont le partenaire humain pourra détecter des signes de mal-être plus rapidement !

Redécouvrir l’inconnu

La personne souffrant de TSPT se replie sur elle-même et refuse peu à peu le contact avec l’extérieur. L’obligation éthique d’emmener l’animal dehors ou de venir aux cours d’OFP entraîne une motivation à sortir de chez soi : un bouleversement très difficile, mais certains vétérans témoignent que leur chien leur permet de mieux entrer en contact avec des membres de leur famille, ou même des inconnus.

Autres types de chiens d’assistance

En France, on retrouve les chiens guides d’aveugles et les “Handi’chiens”. Les bases d’entraînement pour chiens d’assistance aux épileptiques ont été posées en 2016.

Aux États-Unis, aux côtés des trois types de chiens présentés ci-dessus, figurent également des chiens d’assistance aux malentendants, aux diabétiques, aux cardiaques, aux personnes atteintes de sclérose en plaque, aux autistes et aux allergiques.

Ne pas confondre

Aux États-Unis, la législation concernant les chiens de travail et les autres catégories est bien définie.

- Est considéré comme un service dog(chien guide ou chien d’assistance) tout animal qui a appris des tâches permettant d’améliorer la vie de personnes atteintes d’une maladie mentale ou physique. Ses droits et devoirs sont décrits dans l’Americans with disabilities act ou ADA, “lois sur les Américains handicapés”.

- Le chien de thérapie bénéficie d’un entraînement pour participer à des programmes dans des structures afin de diminuer le stress chez des enfants, des malades, des autistes ou des personnes âgées. Il n’a pas les mêmes privilèges (accès à des zones publiques) que le chien d’assistance.

- L’animal de support émotionnel apporte un confort émotionnel à une personne atteinte d’un trouble psychiatrique diagnostiqué par un médecin. Il peut bénéficier de tolérance en ce qui concerne la location d’un studio, par exemple : le propriétaire peut voir outrepassée sa politique d’interdiction d’animaux.

- L’animal de compagnie ne bénéficie d’aucun statut particulier, hors les lois de protection animale et il n’est pas requis qu’il soit bien dressé.

Chiens d'assistance et loi

Aux États-Unis, il existe des lois spécifiques pour les agressions visant les chiens de service ou de travail.

De même, les règles définissant le rôle des chiens de service et de thérapie sont inscrites dans l’ADA. Les droits et les devoirs de ces animaux y sont décrits.

En France, les chiens guides d’aveugles et les “Handi’chiens” bénéficient d’un statut particulier de par la loi de 1987. Renforcées par la loi du 11 février 2005, ces lois décrivent principalement les droits de ces chiens (entrée dans les lieux publics). L’Institut français de zoothérapie, quant à lui, a créé une charte de déontologie décrivant les droits et les devoirs des intervenants en thérapie assistée par l’animal, englobant le respect dû au chien de thérapie.

Éthique et travail animal : un débroussaillage nécessaire

Le stress du chien de travail, d’assistance ou de support émotionnel est encore mal étudié.

Durant six semaines d’observation au sein d’OFP, un cas de stress intense a été observé : un chien apparié depuis peu à un élève ne supportait pas de le voir perdre connaissance lors de crises de panique (aboiements, évitement, hurlements, manifestations de signes d’agressivité). Ce chien a été écarté du programme : il s’agit d’un exemple de stress aigu.

L’étude du stress subclinique des animaux de travail ou de service permettrait d’améliorer notablement leur hygiène de vie.

Une thèse vétérinaire traitant précisément des chiens d'assistance aux personnes souffrant de TSPT est en cours de réalisation : entre bibliographie et études de terrain, elle abordera de façon plus poussée le stress subclinique du chien, ainsi que les possibles améliorations de vie apportées au malade.

Références

- WHO releases guidance on mental health care after trauma, 6/8/2013 : bit.ly/2uyyaCb.

- Kessler R. C., Sonnega A., Bromet E. et. coll. Posttraumatic stress disorder in the national comorbidity survey. Arch. Gen. Psychiatry. 1995;52(12):1048-1060.

- Chapitre 5 de la 10e révision (2016) de l’ICD (OMS) : bit.ly/1RNFPRo.

- Service animals, ADA requirements : bit.ly/2aPo8k8.

- Service dog central : bit.ly/2u7ibs8.

- Loi n° 87-517 du 10/7/1987 : bit.ly/2vAOH5E.

QUATRE QUESTIONS À  CURT MORAN 1 

VÉTÉRINAIRE POUR UNE ASSOCIATION DE CHIENS D’ASSISTANCE : UN RÔLE CENTRAL

Quel est votre travail avec Operation Freedom Paws (OFP) ?
En tant que vétérinaire principal, je dois établir des protocoles de soins standards, éduquer les clients sur les soins préventifs et je suis également un support moral pour les élèves d’OFP.

Selon votre expérience personnelle, quelle aide peut apporter un vétérinaire à une association comme OFP ?
Nous offrons à l’association une réduction sur les examens cliniques et les traitements. OFP paie tous les examens, les traitements et autres soins préventifs sans demander à ses élèves d’avancer quoi que ce soit tant qu’ils se présentent ici, à la clinique, et ce jusqu’à ce que l’équipe homme-chien reçoive sa certification en fin d’entraînement.

Quels domaines pourraient être améliorés, en général, dans le monde du chien d’assistance ?
Il est nécessaire de trouver une façon d’officialiser et de prouver que le chien d’assistance a effectivement participé à un programme de dressage et est qualifié pour exercer son travail dans des zones normalement interdites aux chiens. Les fraudeurs, qui prétendent avoir un chien de service et obtiennent un faux certificat ou dossard, deviennent un réel problème, et leurs animaux, non entraînés, peuvent même représenter un danger pour autrui.

Pouvez-vous lister quelques points clés du rôle du vétérinaire au sein d’une association de chiens d’assistance ?
Nous nous devons d’être des conseillers : donner notre avis sur les soins dont peut bénéficier l’animal, apporter une tranquillité émotionnelle au client et permettre au chien de service de pouvoir faire son travail le plus longtemps possible, dans les meilleures conditions de vie. Bien sûr, fournir des soins de qualité – des tests préventifs jusqu’à la gestion des pathologies – est également un point crucial de notre travail.

1 Vétérinaire “contact” d’Operation Freedom Paws.

LE VÉTÉRINAIRE VEILLE SUR QUATRE ASPECTS ESSENTIELS

1. Santé animale : dans l’intérêt de l’animal et de son maître.
2. Éthologie : le vétérinaire doit savoir décrypter le chien, comprendre son langage et pouvoir l’expliquer (cela est d’autant plus important pour les chiens d’assistance aux personnes souffrant de trouble de stress post-traumatique).
3. Éthique et bien-être : savoir quand et comment dire stop.
4. Connaître la loi : les associations ont de bonnes bases en règle générale, mais un vétérinaire s’intéressant à ce milieu doit être au fait des lois concernant les chiens d’assistance.
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