On n’arrête plus les œufs au fipronil - La Semaine Vétérinaire n° 1729 du 02/09/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1729 du 02/09/2017

ALIMENTATION

ACTU

ÉVÉNEMENT

Auteur(s) : TANIT HALFON 

Partie des Pays-Bas et de Belgique, la crise touche désormais une dizaine de pays européens, ainsi que Hongkong.

Au 24 août, 60 établissements français de la filière œuf étaient touchés par l’affaire du fipronil : 18 établissements de transformation d’œufs ou d’ovoproduits, deux centres de conditionnement d’œufs, ainsi que 40 grossistes. Soit plus de 3 millions d’œufs et plus de 100 tonnes d’ovoproduits reçus en provenance de Belgique ou des Pays-Bas. En parallèle, 32 produits sont retirés de la distribution incluant, entre autres, des brownies, des muffins et des gaufres. Une liste qui ne fait que s’allonger depuis le début de la crise : au 17 août, seuls 17 produits (des gaufres) étaient comptabilisés. L’affaire grossit, et reflète particulièrement l’intensité des échanges qui ont lieu au sein de l’Union européenne, basés sur la libre circulation des marchandises, des services, des capitaux et des personnes. Des échanges qui dépassent aussi les frontières des États membres, la Suisse et Hongkong se trouvant dans le lot des pays atteints. Mais cette histoire débute d’abord aux Pays-Bas et en Belgique, où les éleveurs de la filière avicole ont eu recours depuis plusieurs mois à un produit “miracle” contre le pou rouge… riche en fipronil, substance illicite pour cet usage.

Une fraude aux Pays-Bas et en Belgique

L’ampleur de la contamination s’explique par la problématique du pou rouge, fléau chez les poules pondeuses (encadré ci-dessous). D’après une étude1, basée sur les données de 11 pays d’Europe, 83 % des élevages européens seraient touchés par l’acarien, une prévalence qui monte à 94 % aux Pays-Bas, en Belgique et en Allemagne. En France, elle est évaluée à 67 %. Pas étonnant alors qu’un grand nombre d’éleveurs aient fait appel à l’entreprise néerlandaise, Chickfriend. Depuis plusieurs mois, elle commercialisait, auprès d’exploitations belges et néerlandaises, un produit antiparasitaire (Dega-16 ou Cooper Boost), acheté à un fournisseur belge, Poultry-Vision, et semblant plutôt efficace contre le pou. Le problème : le fipronil, molécule introduite illégalement dans le mélange, alors que son usage est interdit pour le traitement des animaux destinés à la consommation humaine (encadré ci-dessous). Une enquête, menée par la Belgique et les Pays-Bas, est en cours afin de déterminer les responsabilités de chacun dans la fraude.

Une communication défectueuse

Début juin, une notification de la part d’une casserie à l’autorité sanitaire belge, l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA), fait état d’une teneur anormale en fipronil dans les œufs. Une enquête dans plusieurs élevages de poules pondeuses établit alors le lien potentiel avec le produit frauduleux. Sur son site, l’AFSCA affirme avoir tenté de contacter dès le 19 juin les autorités néerlandaises, afin d’obtenir des renseignements sur Chickfriend. Ses tentatives s’étant révélées infructueuses, une demande officielle via le système européen antifraude AAC-FF est adressée le 6 juillet. Le 7 juillet, l’Agence néerlandaise en charge de la sécurité alimentaire et sanitaire (NVWA) débute son inspection auprès de la société de service incriminée. Une enquête dans les élevages traités met alors en évidence la présence de fipronil, provoquant le blocage de 180 exploitations au 30 juillet. Ce n’est que le 20 juillet que les autorités belges informent les membres du réseau RASFF (encadré page 11) de la présence d’œufs et de viandes de volailles (conventionnels et bio) contenant des taux élevés de fipronil. La France n’est pas, à ce moment-là, concernée par l’alerte, l’introduction de denrées contaminées sur le territoire n’ayant pas été identifiée. Elle le devient les 5 et 6 août via deux alertes émises par les Pays-Bas à son intention.

Une dizaine de pays européens touchés

À ce jour, 17 pays européens, dont la Suisse, sont touchés par la crise (carte page 11). Les exportations se chiffrent en milliards, en témoignent les données de l’AFSCA. Sur son site, l’agence informe qu’environ 1,2 milliard d’œufs de consommation ont été exportés en 2016, dont 23,6 % hors Union (surtout Moyen-Orient et Afrique). S’ajoutent 23 000 tonnes de produits à base d’œufs, dont 2,6 % hors Union, le plus gros importateur, ici, étant Hongkong. Pour l’instant, seuls quatre pays, les Pays-Bas, la Belgique, la France et l’Allemagne ont rapporté l’utilisation du produit frauduleux dans des élevages de poules pondeuses. En France, cela ne concerne qu’une seule exploitation du Pas-de-Calais, celle-ci ayant prévenu les autorités françaises dès le 28 juillet. Sur la proposition de Vytenis Andriukaitis, commissaire européen à la santé, une rencontre entre les ministres concernés par l’affaire, ainsi que les représentants des agences sanitaires des États impliqués, est prévue.

1 bit.ly/2xucsxU.

Sources : AFSCA, NVWA et Alim’agri.

LA LUTTE CONTRE LE POU ROUGE

Dermanyssus gallinae, appelé communément pou rouge, est un acarien rencontré fréquemment dans les élevages avicoles. Hématophage, il se nourrit sur plusieurs hôtes et se réfugie, en dehors des repas, dans les coins et les interstices des bâtiments, sous des fientes sèches, dans des amas de plumes, etc., le rendant difficilement accessible aux acaricides. Il pose particulièrement problème dans les élevages de poules pondeuses, où le maintien en bandes est plus long (les poulets de chair sont abattus plus jeunes) et les traitements sont limités (limite maximale de résidus [LMR] pour les œufs).
Doté d’une grande résistance dans le milieu extérieur (survie possible des adultes plusieurs mois sans hôte), il entraîne de multiples conséquences sanitaires et économiques : déclassement des œufs tachés, irritations cutanées, modifications comportementales/stress (agitation, agressions, picage, hausse de la prise alimentaire, chute de la ponte, etc.), vecteur potentiel d’agents pathogènes bactériens et viraux (salmonelles, virus de la maladie de Newcastle, etc), anémie, voire augmentation de la mortalité. L’éradication est vaine, la lutte consistant à en limiter son développement. Pendant le vide sanitaire, plusieurs produits sont disponibles, dont des acaricides de synthèse (organosphosphorés, pyréthrinoïdes) et des produits “naturels” (huiles essentielles, silice, soufre, etc.). Leur utilisation doit être associée à une action mécanique (dépoussiérage, nettoyage), pour éliminer un maximum de poux. En présence de volailles, outre les produits naturels, l’éleveur a accès à certains insecticides (spinosad-LMR œufs 0,2 ppm, pas de temps d’attente ; phoxime LMR œufs 60 g/kg, temps d’attente 12 heures), à appliquer sur le matériel et les surfaces, sans aucune pulvérisation sur les animaux. L’idéal est de bien choisir le moment du traitement, qui dépend du taux d’infestation de l’élevage, au lieu de le faire régulièrement “en aveugle”. Son estimation, viades outils de monitoring, a pour objectif de gagner en efficacité et de limiter les risques d’apparition de résistance. Des moyens complémentaires de lutte sont aussi possibles ou en cours de recherche (programme lumineux, phéromones répulsives, acariens prédateurs, etc.).
Sources : Le Point Vétérinaire n° 266 (bit.ly/2wPFgDT), Itavi (bit.ly/2wGIPfm).

QU’EST-CE QUE LE RASFF ?

Le système RASFF (Food and Feed Safety Alerts) permet un partage d’informations relatives à la sécurité alimentaire entre ses membres (28 États membres, Commission européenne, EFSA1, Norvège, Liechtenstein, Islande et Suisse). Plusieurs types de notifications peuvent être envoyés. L’alert est émise dans les cas où le risque sanitaire est sérieux et nécessite une action rapide. L’information est relative aux risques moins urgents (par exemple, le produit n’a pas encore atteint le territoire). La border rejectionse rapporte aux produits contrôlés aux frontières de l’Union et de l’Espace économique européen (EEA), et dont l’entrée a été refusée. Enfin, les news regroupent les informations jugées intéressantes par les autorités compétentes. Dans cette crise, l’alerte du 20 juillet était une information, la France n’étant pas identifié dans cette notification comme un pays visé.

1 Autorité européenne de sécurité des aliments (European Food Safety Authority), bit.ly/2voTkEo.

LA GESTION FRANÇAISE DE LA CRISE

Lors de sa conférence de presse de rentrée, lundi 28 août, Stéphane Travert, ministre de l’Agriculture et de l’Alimentation, a affirmé que les autorités compétentes mettaient tout en œuvre pour assurer la bonne gestion de la crise du fipronil :« Réactivité, rigueur et transparence »sont les trois piliers pour la confiance des consommateurs « dans la qualité et la sécurité des produits français ».
Dès le 5 août, les établissements concernés par les produits contaminés ont été avisés par la Direction générale de l’alimentation (DGAL), à des fins d’autocontrôles. Les contrôles officiels, eux, ne commenceront que le 8 août, d’abord sous la forme de questionnaires, d’inspections de terrain et d’analyses d’œufs dans des élevages de poules pondeuses, afin de savoir si le produit falsifié aurait pu être utilisé. Au 18 août, sur les 2 900 questionnaires envoyés (correspondant aux élevages avicoles répertoriés par l’Agreste, le service de statistiques du ministère de l’Agriculture), 2 200 retours n’ont pas signalé d’usage du produit, information confortée par 350 inspections. En parallèle, plus de 750 prélèvements d’œufs et d’ovoproduits sont en cours de réalisation dans des points de vente et des entreprises ayant reçu des produits suspects. De plus, au 25 août, plus de 520 autocontrôles ont été effectués, 34 s’étant révélés positifs. La DGAL, sollicitée par nos soins concernant la gestion de la crise, n’a pas répondu à temps pour la publication de l’article.


Il est à noter que l’analyse d’échantillons témoins d’un fabricant de poudre d’œuf en Belgique avait révélé des traces de fipronil en septembre 2016 (un échantillon positif sur 14), puis entre janvier et mai 2017 (10 échantillons positifs sur 35), le taux ne dépassant pas la limite maximale de résidus (LMR = 0,005 mg/kg). Ce n’est qu’à partir de juin que plusieurs dépassements de la LMR ont été notés par l’Agence fédérale pour la sécurité de la chaîne alimentaire (AFSCA).

Le produit frauduleux a été appliqué directement sur les poules pondeuses par les éleveurs belges et néerlandais. En France, la seule exploitation concernée l’a utilisé pendant le vide sanitaire.

Un nouvel insecticide est pointé du doigt : l’amitraze. Autorisé comme antiparasitaire chez les ruminants, les porcs et les abeilles, mais interdit pour la filière avicole, il aurait été utilisé dans environ une dizaine d’élevages de deux départements, uniquement en période de vide sanitaire. Une évaluation des risques par l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses), liée à la présence de la molécule dans les œufs, est en cours.

LE FIPRONIL, UNE MOLÉCULE RÉGLEMENTÉE

Le fipronil est autorisé depuis 1994 dans la lutte contre les insectes (ravageurs de culture, fourmis, puces, etc.). En France, la commercialisation et l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant du fipronil destinés au traitement du sol contre les taupins et les charançons, et de semences traitées avec la molécule, sont interdits via arrêtés depuis 2005 (6, 15 et 19 avril 2005). De plus, l’incorporation de la molécule aux médicaments vétérinaires pour les animaux d’élevage destinés à la consommation humaine est prohibée, à cause de sa toxicité possible pour la santé humaine, notamment pour l’enfant en bas âge. En revanche, son emploi en tant que biocide est autorisé, notamment pour des produits antifourmis ou anticafards, ainsi que pour des antiparasitaires d’animaux de compagnie (traitement des infestations de puces, de tiques et de poux), du fait de l’absence, avec cet usage, d’exposition directe ou indirecte du consommateur via l’alimentation.
Au niveau européen, la vente et l’utilisation de semences traitées par des produits contenant du fipronil sont interdites en raison de leur impact sur les abeilles (régulation n° 781/2013 du 14 août 2013). Restent autorisées les semences pour des cultures sous serre et celles de poireaux, d’oignons, d’échalote et du groupe de légumes des Brassica(choux) destinées à être plantées en champs et récoltées avant la floraison. Les semences traitées avaient obtenu une dérogation pour pouvoir être semées jusqu’au 28 février 2014. Avant ce règlement (CE), l’utilisation du fipronil était permise par la Commission européenne en tant qu’insecticide au traitement des semences, notamment sur les cultures de colza, de tournesol, de maïs et de pomme de terre, cultures attractives pour les abeilles et pouvant être destinées à l’alimentation animale. La limite maximale de résidus (LMR)1 du fipronil (et son métabolite fipronil sulfone MB43136) pour les œufs d’oiseaux et leurs tissus (muscles, tissus adipeux, foie, reins, autres abats) est définie à 0,005 mg/kg (base de données des pesticides de la Commission européenne).

1 La LMR garantit que la consommation théorique d’un aliment contenant le résidu concerné ne dépasse pas la valeur toxicologique de référence (aucun risque pour la santé sur le court et le long terme).

Sources : Official Journal of the European Union (bit.ly/2iEdBj8), arrêté du 15 avril 2005 (bit.ly/2iFYNRa), Anses (bit.ly/2wfjmbH et bit.ly/2wO91AV).
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