Qui veut encore de ce modèle économique ? - La Semaine Vétérinaire n° 1728 du 15/07/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1728 du 15/07/2017

ENTREPRENEURIAT

ÉCO GESTION

Auteur(s) : SERGE TROUILLET 

Plus d’une quinzaine de vétérinaires sont présents sur le territoire d’une petite ville d’environ 5 000 habitants, dans la Creuse ! Leur histoire, toutefois, préfigure le crépuscule d’un modèle économique à repenser, et qu’ils portent jusqu’à ses plus extrêmes limites.

Au milieu des années 1990, La Souterraine est une petite ville accueillante, dynamique, au nord de la Creuse. Avec environ 5 000 habitants, elle est la deuxième ville la plus peuplée du département, derrière la préfecture, Guéret. La vie y est paisible, enfin, pas pour tout le monde ! La plus vieille association de vétérinaires de la région vient d’exploser. Ses trois associés se séparent. Chacun reprend son indépendance, au sein de son propre petit cabinet, sur le territoire communal. Tandis qu’ils s’approchent tous de la fin de leur carrière, ils instaurent, par cet éclat, un usage de l’association entre loups solitaires que ne renieront pas leurs successeurs… Pour autant, c’est la fin d’une époque.

Tout commence en 1996 avec l’arrivée du couple de vétérinaires Alain Lecat et Gemma Del Pino Monge. Lui est belge flamand ; elle, espagnole. La Souterraine se trouve à mi-chemin de leurs racines respectives. Sur la suggestion de Rafaël Standaert, un confrère belge installé tout près, au Grand-Bourg, ils reprennent le cabinet de l’un des trois anciens associés. Puis, après le départ à la retraite du second, s’associent, en 1999, avec le troisième. L’heure n’est plus à la division. Alain Lecat porte une vision rassembleuse de sa profession.

Visionnaires et entrepreneurs

Sont alors embauchés Gerd Formesyn, qui avait fait un remplacement, ainsi que son épouse, Els Stalmans, venue le rejoindre… et donc pousser les murs du petit cabinet de centre-ville, dont la cheminée s’effondre pendant la tempête de 1999. Il en résulte la création de La Licorne, une vraie clinique mixte de 400 m2 avec l’intégration d’une activité canine des plus modernes. Alain Lecat en évoque la philosophie : « Mon idée était de mutualiser les compétences, de les diversifier en se formant chacun dans une spécialité, de bâtir un pôle de référence qui rompe avec l’approche individualiste propre à notre profession. »

En 2003, lorsque l’associé le plus âgé prend sa retraite, Gerd Formesyn et Els Stalmans deviennent à leur tour associés, et Wouter De Loor, un étudiant belge venu faire un stage, est embauché. La structure se développe considérablement. Car l’esprit d’entreprise des vétérinaires sostraniens sait capter l’air du temps. La canine n’est plus le fait des seuls estivants. Elle s’étale sur toute l’année, comme la rurale avec le désaisonnement des vêlages. Ajoutez à cela le développement de l’équine et la diversification des services proposés par la clinique, notamment en orthopédie, la prospérité de La Licorne est au rendez-vous imaginé par son promoteur.

Les vieux démons de la profession

Mais c’est sans compter sur le surgissement des vieux démons propres à nombre de vétérinaires libéraux : la difficulté, voire l’incapacité, de trouver les moyens de faire vivre ensemble une association. Trop de fortes personnalités ; un désir farouche de liberté ; une inaptitude à composer, à surmonter les dissensions ! En 2007, Gerd Formesyn, son épouse et le salarié Wouter De Loor quittent La Licorne. Pour Alain Lecat et son épouse, le coup est rude, tant financièrement, professionnellement, que moralement. Sa belle idée s’effondre : « Chacun est libre, bien sûr, et travailler en association n’est jamais simple pour des natures indépendantes comme nous. Mais quel gâchis économique que de disperser les moyens humains, matériels et financiers sur trois cliniques ! Globalement, tout coûte trois fois plus cher à tout le monde. »

Car Gerd Formesyn et son épouse, qui ont dû abandonner leurs parts de La Licorne en raison de la clause de non-concurrence – « mais sont tout de même partis avec leur dû de la répartition des bénéfices, ainsi qu’avec la moitié du matériel et des stocks de médicaments », nuance Alain Lecat –, créent leur propre clinique à La Souterraine en 2009. Au prix de semaines de 80 heures, réalisant eux-mêmes les aménagements intérieurs du bâtiment grands animaux, entretenant seuls les 2,5 hectares de terrain de leur structure, ils développent leur activité jusqu’à ce que leur salarié Wouter De Loor ne parte lui aussi avec un autre salarié et la moitié du chiffre d’affaires, pour s’installer un peu plus loin, en 2013. L’histoire se répète. Et même d’autant plus pour Gerd Formesyn qui s’est séparé de son épouse-associée un an plus tôt !

Canine et rurale maintenues

Tous accusent ces coups durs, mais aucun ne fléchit. Chacun retrousse ses manches, offre de nouveaux services, sacrifie sa vie de famille. Alain Lecat se forme en ostéopathie, en acupuncture, en physiothérapie ; il crée une annexe à Châteauponsac, à 25 km. Sa structure compte cinq vétérinaires, dont trois associés. Gerd Formesyn a trois salariés, dont un mi-temps, ainsi qu’un saisonnier ; son chiffre d’affaires progresse chaque année, et il espère retrouver d’ici deux ans celui d’avant le départ de Wouter De Loor. Quant à ce dernier, il compte aujourd’hui six vétérinaires salariés. Lui aussi maintient la rurale, développe la canine et surtout l’équine, où il assure le suivi des inséminations des juments, les échographies, les castrations et la dentisterie, dans trois grands haras. Et il a racheté le cabinet de Bessines-sur-Gartempe, à 20 km.

Rien n’entame son optimisme : « Le client est roi. Nous sommes à son écoute, et toujours disponibles ; personnellement, je ne prends jamais de vacances. Notre croissance à deux chiffres chaque année est à ce prix. » Gerd Formesyn ne fait pas moins ; pour autant, il ne dédaignerait pas de pouvoir souffler un peu de temps en temps : « L’idéal serait d’embaucher un mi-temps en rurale, susceptible d’alléger un peu mes gardes ! »

Un modèle essoufflé

Seul l’aîné d’entre eux, Alain Lecat, affiche son inquiétude réelle pour l’avenir : « Avec plus d’une quinzaine de diplômes pour une si petite ville, il est étonnant que l’on s’en soit tous sortis. Mais à quel prix, il faut bien l’avouer ! Le marché n’est pas extensible à l’infini, et l’environnement économique n’est plus aussi porteur. Le monde agricole souffre ; la menace de liquidation de l’entreprise GM&S, dont on parle tant actuellement, serait une catastrophe localement ; même les Anglais, avec l’affaiblissement de la livre, voient leurs revenus diminuer. »

Et de pointer l’essoufflement d’un modèle économique pas assez ouvert, perclus de réglementations, grevé d’incertitudes et entretenu par des praticiens libéraux qui ont trop le nez dans le guidon pour penser son évolution : « La rurale n’intéresse plus personne, même nos compatriotes belges, et les autres étrangers ne restent pas. Nous nous voyons comme des dinosaures avant la chute de la météorite fatale ! En attendant, et je ne suis pas pressé de la voir arriver, c’est l’ensemble de la profession qui doit se remettre en cause si elle veut continuer à remplir ses missions, notamment dans les zones rurales. Nous sommes des contre-exemples absolus pour les jeunes. »

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