L’antibiothérapie au carrefour de son destin - La Semaine Vétérinaire n° 1718 du 06/05/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1718 du 06/05/2017

DOSSIER

Face à la montée de l’antibiorésistance, la préservation des antibiotiques est une préoccupation majeure de santé publique. Le manque de coordination des États laisse toutefois place à une lutte asymétrique contre ce phénomène, malgré la multiplication des actions locales et internationales, à l’instar du plan ÉcoAntibio 2.

L’antibiorésistance en santé animale compromet l’efficacité des antibiotiques et constitue une véritable inquiétude pour les pouvoirs publics et les instances internationales, en raison de son lien étroit avec la santé publique. Plusieurs organisations internationales – l’Organisation mondiale de la santé (OMS), l’Organisation des Nations unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE) –, agences européennes – l’Agence européenne des médicaments (EMA), le Centre européen de contrôle et de prévention des maladies (ECDC) – et même nationale – l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses) – appellent d’une seule voix à un usage raisonné des antibiotiques, dans le cadre de plans d’actions contre la résistance bactérienne ou pour l’adoption de l’approche “une seule santé”. Au niveau européen, la mobilisation ne faiblit pas, comme en témoignent les bons résultats des Pays-Bas et de la France, qui sont cités en exemple pour leur consommation contrôlée d’antibiotiques. Attendus sur cette question, des laboratoires pharmaceutiques vétérinaires annoncent vouloir développer des alternatives efficaces aux antibiotiques, qui représentent actuellement 35 % du marché de la santé animale, et misent sur la prévention. Mais la lutte contre l’antibiorésistance a aussi ses mauvais élèves, en raison notamment des pratiques intensives d’élevage en réponse à l’augmentation globale de la consommation mondiale de protéines animales. D’autres pays, tels que la Chine ou les États-Unis, avancent ainsi timidement sur ce terrain. À l’heure où la lutte contre l’antibiorésistance s’intensifie à l’échelle mondiale, ces constats peuvent laisser paraître une mobilisation à deux vitesses.

La guerre contre la résistance

Les instances internationales s’accordent à dire qu’il est de plus en plus évident qu’une prise de conscience collective est indispensable pour lutter efficacement contre l’antibiorésistance. La première liste des 12 familles de bactéries les plus menaçantes pour la santé humaine, publiée en février dernier par l’OMS1,en est la preuve. Cependant, identifier l’origine de la résistance bactérienne n’est pas chose aisée, notamment au regard des différents types d’élevage. Au niveau national, le Réseau d’épidémiosurveillance de l’antibiorésistance des bactéries pathogènes animales (Résapath) constate, dans son dernier rapport2, une tendance à la baisse de la résistance aux antibiotiques critiques, observée depuis 2006. Celle-ci n’est toutefois pas la même pour tous les antibiotiques et dans toutes les filières. « Les antibiotiques ne sont pas utilisés de la même façon dans toutes les filières. Les quantités diffèrent, les familles d’antibiotiques et le moment où ils sont utilisés aussi. Par ailleurs, la structure des filières joue un rôle sur la dynamique de la résistance. Par exemple, la résistance se diffuse différemment dans un élevage pyramidal (poulets de chair) ou dans un élevage bovin allaitant. Il est logique de ne pas avoir une uniformité des tendances de la résistance pour tous les antibiotiques dans toutes les filières », explique Jean-Yves Madec (L 94), chef du pôle antibiorésistance de l’Anses. Du côté international, à la suite de la découverte, en 2015, d’un gène mcr-1 dans des bactéries E. coli et K. pneumoniae résistantes à la colistine, décelées d’abord en Chine, puis au Danemark, au Vietnam, en Espagne et aux États-Unis chez l’homme et l’animal, des chercheurs ont appelé à restreindre l’utilisation de certains antibiotiques en médecine vétérinaire3. Alertée, l’EMA a préconisé, en 2016, de réduire de 65 % les ventes d’antibiotiques à base de colistine, tandis que les autorités chinoises ont d’abord souhaité évaluer les risques de la résistance à cet antibiotique dans les additifs destinés à l’alimentation animale. Le cas de la colistine démontre qu’en matière de lutte contre l’antibiorésistance, « il existe plusieurs types de logique », comme le rappelle Thierry Pineau, de l’Institut national de la recherche agronomique (Inra).

Le monde d’à côté

Selon une étude4 de Thomas Van Boekel, publiée en 2015 dans la revue Proceedings of the National Academy of Sciences of the United States of America, la consommation mondiale d’antibiotiques chez les animaux d’élevage a été estimée à 63 151 tonnes en 2010, dont 23 % en Chine, 13 % aux États-Unis, 9 % au Brésil et 3 % en Inde. Les chercheurs annoncent une augmentation de 67 % de la consommation mondiale d’antibiotiques d’ici 2030 et expliquent ce chiffre par « l’évolution des pratiques de production dans les pays à revenu intermédiaire, où les systèmes d’élevage extensif seront remplacés par des opérations agricoles intensives à grande échelle ». L’augmentation globale de la consommation mondiale de protéines animales et le développement des exploitations agricoles de très grande taille, où les antibiotiques sont plus utilisés, sont des facteurs à prendre en compte. Ainsi, les pratiques modernes en productions animales pourraient agir sur la pression de sélection sur les bactéries, qui deviennent résistantes. Au niveau international, des dérives ont également été constatées « dans la filière volaille où des inoculations de ceftiofur (une céphalosporine de 3 e génération) ont été pratiquées in ovo (au couvoir), de façon préventive, en grand nombre et de surcroît hors autorisation de mise sur le marché. On ne peut pas défendre cela, ce sont des pratiques qu’il faut supprimer et qui condamnent injustement l’ensemble de la profession. Sinon, le risque est d’avoir des restrictions drastiques, comme aux Pays-Bas ou au Danemark où les vétérinaires ont un arsenal thérapeutique très limité et n’ont pas le droit d’utiliser des antibiotiques de nouvelles générations. Il faut sensibiliser le vétérinaire à l’importance de ces antibiotiques », souligne Jean-Yves Madec. L’utilisation des antibiotiques présente donc des différences manifestes d’un pays à l’autre, au sein même de l’Europe.

Des usages qui varient

À la lecture du dernier rapport de l’European surveillance of veterinary antimicrobial consumption (Esvac)5 sur le suivi des ventes d’antibiotiques, les Pays-Bas, le Danemark, la Norvège, la Suède et la France peuvent faire office d’exemples dans ce domaine. Leur politique chiffrée de réduction de la consommation d’antibiotiques porte ses fruits. En France, entre 2012 et 2015, l’exposition des animaux aux antibiotiques a reculé de 20 %, tandis que celle aux antibiotiques critiques a diminué de 21 % en deux ans seulement (2014 et 2015). Autre exemple, les antibiotiques utilisés en tant que facteurs de croissance dans les aliments pour animaux. Au sein de l’Union européenne, cette pratique est interdite depuis le 1er janvier 2006. « Nous devons sensiblement réduire l’utilisation superflue d’antibiotiques si nous voulons empêcher efficacement que des microorganismes ne deviennent résistants à des traitements sur lesquels nous avons compté pendant des années. Les aliments pour animaux sont le premier maillon de la chaîne alimentaire et représentent à ce titre l’endroit propice pour tenter de réaliser cet objectif », indiquait à l’époque Márkos Kyprianoú, commissaire européen en charge de la santé et de la protection des consommateurs.Malgré les recommandations de l’OMS, du côté de la Chine, des États-Unis ou encore du Québec, par exemple, cette pratique a toujours cours. En 2012, bien avant l’élection de Donald Trump, la question avait été portée à l’agenda de la Food and Drug Administration (FDA). Il avait alors été envisagé d’interdire l’utilisation de la pénicilline et de la tétracycline à des fins non thérapeutiques, afin de contrer l’émergence de bactéries multirésistantes. Une avancée notable mérite toutefois d’être soulignée en ce qui concerne la prescription d’antibiotiques dans les élevages américains. Depuis le 1er janvier 2017, les éleveurs doivent obligatoirement faire appel à un vétérinaire afin d’obtenir des antibiotiques considérés comme importants en médecine humaine. Cette mesure permettra de réduire leur utilisation, notamment comme facteur de croissance. Mais la législation américaine n’interdit toujours pas cette pratique.

La solution est-elle réglementaire ?

Au niveau européen comme national, les initiatives législatives et réglementaires se multiplient depuis le début des années 20006 afin de maîtriser les phénomènes de résistance bactérienne tout en réduisant la consommation d’antibiotiques, à travers le plan d’action pour combattre les menaces croissantes de la résistance aux antimicrobiens de la Commission européenne et les plans ÉcoAntibio 1 et 2 en France. C’est aussi l’un des objectifs affichés du projet de règlement européen sur les médicaments vétérinaires en cours de discussion. « La nouvelle proposition limite l’utilisation d’antibiotiques pour les animaux : les vétérinaires ne doivent être autorisés à prescrire des antibiotiques qu’en dernier recours et ceux-ci ne peuvent être prescrits que par des vétérinaires qui sont en contact direct avec les animaux. La proposition suggère également de limiter l’utilisation d’antibiotiques importants pour l’homme afin de prévenir la résistance aux antibiotiques », indique le bureau de la députée européenne Michèle Rivasi. Même constat du côté de l’OIE, qui, en plus de systèmes de surveillance de l’antibiorésistance et de l’usage des antibiotiques, contribue, avec la FAO, dans le cadre du plan d’action global de l’OMS, à « créer et maintenir une base de données mondiale sur l’usage des agents antimicrobiens chez l’animal ».

Certains acteurs du monde de la santé animale craignent que cette dynamique réglementaire n’aboutisse à une réelle réduction de l’arsenal thérapeutique. « Sur le plan réglementaire, nous redoutons que l’arsenal thérapeutique se réduise du fait de l’antibiorésistance, mais aussi en raison de l’adoption d’une réglementation qui serait trop restrictive. Un exemple concret : le futur règlement européen sur les médicaments vétérinaires, qui a été adopté en première lecture par le Parlement européen. Le rapport de l’eurodéputée Françoise Grossetête nous paraissait équilibré, mais certains amendements supplémentaires prévoient des restrictions importantes, telles qu’un diagnostic clinique préalable à chaque prescription, ce qui n’est ni réaliste ni fonctionnel. Nous préférerions que soit encouragée la mise en place de contrats sanitaires d’élevage assurant une utilisation rigoureuse des antibiotiques », indique Alain C. Cantaloube, de la Fédération européenne pour la santé animale et la sécurité sanitaire (Fesass). Mais en France, le son de cloche est différent, du côté de l’administration. « Je suis de ceux qui pensent qu’il est nécessaire de conserver l’arsenal thérapeutique le plus diversifié possible pour les vétérinaires, y compris les céphalosporines et les fluoroquinolones. Mais pour le sauvegarder, il faut démontrer qu’on ne le galvaude pas », souligne Jean-Yves Madec. De son côté, Olivier Debaere, de la Direction générale de l’alimentation (DGAL), rappelle que l’objectif des plans ÉcoAntibio 1 et 2 n’est pas le “zéro antibiotique”. « Les antibiotiques ont toute leur importance dans l’arsenal thérapeutique vétérinaire, lorsqu’ils sont nécessaires tant pour la santé animale que pour le bien-être animal. Il faut donc éviter les mésusages et privilégier l’usage raisonné et les alternatives autorisées », ajoute-t-il.

Des leviers pour préserver les antibiotiques

L’innovation semble être en panne face à l’antibiorésistance. « Sur le plan des médicaments, nous devons être conscients que nous avons un arsenal thérapeutique limité, avec des perspectives d’innovation réduites. C’est un précieux capital qu’il est nécessaire de préserver. Certains industriels poursuivent les recherches dans le domaine des antibiotiques, mais peuvent se heurter à des difficultés à rentabiliser leurs investissements. Il faut donc aussi trouver des moyens afin de les stimuler », indique Thierry Pineau. De son côté, Jean-Yves Madec estime que « le premier levier est la baisse de l’usage des antibiotiques. Pour faire baisser les taux de résistance, il existe toutefois de multiples autres leviers, tels que l’hygiène, la biosécurité ou encore la vaccination. (…) Des leviers psychologiques et économiques, certes difficiles à mettre en place, sont également à explorer ».

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