Forme-t-on suffisamment de vétérinaires ruraux ? - La Semaine Vétérinaire n° 1714 du 06/04/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1714 du 06/04/2017

DOSSIER

Entre des besoins mal définis par la profession et la qualité de vie revendiquée par les futurs vétérinaires, les quatre écoles nationales vétérinaires misent sur le qualitatif.

On a tendance à leur dire : “Venez chez nous, vous serez les rois du pétrole !” », raconte Yves Millemann, enseignant-chercheur en pathologie des animaux de production, responsable du département des productions animales et de santé publique à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA). « Ils ont l’embarras du choix : le type de clientèle, le lieu d’implantation, etc. Le marché est tellement tendu que l’employabilité dans le secteur des productions animales atteint 100 %. Je dois même les freiner et les inciter à soutenir leur thèse avant de se faire happer par l’activité professionnelle », ajoute-t-il. Du coup, ça râle du côté des professionnels qui peinent à recruter, et pointent du doigt le nombre de vétérinaires formés dans les quatre écoles vétérinaires. Le problème est peut-être ailleurs.

Quand un vétérinaire arrête, il en faut un et demi pour prendre la suite

« Pour la génération actuelle, le métier de vétérinaire, c’est avant tout la faune sauvage, les dauphins et les chevaux, observe Renaud Maillard, enseignant-chercheur en pathologie des ruminants à l’École nationale vétérinaire de Toulouse (ENVT). « Pour beaucoup de mes étudiants, la seule connaissance qu’ils ont du secteur rural, c’est la randonnée… au cours de laquelle ils ont croisé un troupeau de vaches ! Ce n’est pas péjoratif, c’est comme ça. Quand j’interroge 140 nouveaux étudiants réunis pour la présentation des métiers vétérinaires, 10 à 15 mains se lèvent en faveur des productions animales. Alors, quand on a réussi à en convertir 15 de plus, cinq ans plus tard, ce n’est pas si mal », se résout Renaud Maillard pour qui, au regard de l’évolution de la société, le nombre de vétérinaires formés dans ce secteur demeure insuffisant au renouvellement de la profession. « Les nouvelles générations attendent une plus grande qualité de vie. Si bien que, pour remplacer un vétérinaire, il en faut un et demi. Ce qui, mécaniquement, accroît le déficit. »

En 5e année, l’ENVT forme 28 à 37 étudiants par an aux productions animales. « Avec l’ouverture du numerus clausus il y a quatre ans, nous devrions en avoir 15 à 20 de plus cette année », précise-t-il. À ce jour, 58 étudiants auraient fait le vœu de s’orienter vers la “pure” production animale, ou la mixte. Mais, dans cette école tournée vers la production des ruminants, l’aviaire, le porc, les animaux de compagnie et l’équine, la question d’une formation “mixte”, un temps envisagée, a finalement été reportée. Ceux qui l’avaient choisie, voulant élargir leur chance de recrutement, pourront être réorientés vers une formation canine, déjà engorgée en matière de débouchés, ou l’équine, très demandée.

Le seuil d’étudiants formés dépend des moyens des écoles

À Oniris, l’un des deux sites réputés – avec l’ENVT – pour les productions animales, le seuil limite est de 40 à 45 étudiants par promotion, « de façon à mettre en œuvre correctement le programme pédagogique en fonction de nos moyens », précise Raphaël Guatteo, responsable de la 5e année filière animaux de production. Comme dans les trois autres écoles de l’Hexagone, il ne s’agit pas d’un quota imposé, mais d’un savant calcul au regard des moyens humains disponibles. C’est ce qui définit la jauge. Et tous les établissements dénoncent le manque de moyens alloués par le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt. « Une année, nous sommes montés à 49 étudiants, on a tiré la langue, reconnaît-il. Aller au-delà serait totalement impossible. Et pourtant, notre clientèle peine à obtenir des aides. Quand les étudiants finissent leur formation en septembre, ils ont déjà trouvé des postes depuis mai ou juin. » L’équine dispose de 20 à 25 places et les animaux de compagnie, de 50 à 55. « En rurale, nous sommes stables et n’avons jamais eu de mal à recruter. Nantes a toujours eu une bonne proportion des promos à se diriger vers la production animale », ajoute Raphaël Guatteo. Notamment pour des raisons géographiques. Le marché du travail est dynamique et la région attractive pour sa qualité de vie. Ici, la particularité est de pouvoir suivre une formation soit 100 % bovins, soit 100 % bovins et autres animaux de production (ovins, caprins). « Ceux qui le veulent peuvent saupoudrer avec du porc et de la volaille. On accueille, chaque année, un à quatre étudiants issus des autres écoles qui veulent approfondir leurs connaissances sur ces deux espèces, ou sur le poisson », explique l’enseignant d’Oniris. L’école nantaise a créé un optionnel de 15 jours dédié à l’aquaculture pour accompagner le développement, il y a une trentaine d’années, d’une filière organisée à la suite de la naissante d’écloseries et de nurseries sur le territoire du Grand Ouest. Une spécificité marginale, mais qui répond à une attente régionale.

« Peut-être pas assez… »

À Maisons-Alfort, en région parisienne, c’est environ 25 % d’une promotion qui se destine à la rurale, soit une trentaine d’étudiants chaque année. « En théorie, nous pourrions avoir 50 places. Il nous est arrivé de monter à 54, mais c’était un peu “chaud”. Les enseignements pra tiques deviennent ingérables avec de grands groupes », constate Yves Millemann. Cette année, ils sont 26 : 21 filles et cinq garçons. Les promotions s’étant largement féminisées, la proportion se retrouve en production animale. Entre l’an 2000 et 2014, l’ENVA a formé 480 étudiants en bovine, soit 24,1 % de l’effectif global (1985). Forme-t-on suffisamment de vétérinaires en production animale ? « Nous ne savons pas… », se retranche l’enseignant, qui, comme ses confrères, redoute une augmentation des effectifs sans contrepartie financière et humaine. « Je ne pense pas que nous en formons assez… », s’aventure tout de même du bout des lèvres Yves Millemann, préférant botter vers les ressources documentaires de l’Ordre vétérinaire, suivi en ce sens par son collègue nantais. « Nous avons assez peu de vi sibilité sur le long terme. Ce que choisissent les étudiants en dernière année n’est pas prédictif de ce qu’ils feront en sortant. Au mieux, ils sont suivis un ou deux ans, mais ce qu’ils font cinq ans après leur diplôme, ou les raisons de leur changement d’orientation, on l’ignore. Il nous manque cruellement un véritable observatoire des métiers », souligne Raphaël Guatteo.

« La désaffection des vétérinaires pour l’activité rurale s’amplifie. Les causes sont sociologiquement explicables par le nouveau profil des étudiants », remarquait, en 2016, Viviane Moquay, inspectrice générale de la santé publique vétérinaire, dans un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER), qui estime que « la part de la rurale dans le chiffre d’affaires global de la profession vétérinaire a dû passer de 90 % au début des années 1960 à moins de 20 % actuellement ». « Le maillage territorial n’est pas encore pris en défaut, comme l’a montré la lutte contre la fièvre catarrhale ovine (FCO), mais d’ici cinq à 10 ans, les besoins pourraient augmenter si rien n’est fait », faisait toutefois récemment remarquer Jacques Guérin, président du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires (CNOV), dans Le Télégramme. Le CNOV a publié un Atlas démographique de la profession vétérinaire en 2016 sur les données 2015, où il apparaît que 1 700 praticiens âgés de 50 à 59 ans déclarant des compétences en productions animales feront prochainement valoir leur droit à la retraite.

Des besoins insuffisamment précis et des moyens limités

« La profession est cependant incapable de nous dire ses besoins », regrette Marie-Anne Arcangioli, enseignante-chercheuse en pathologie médicale et chirurgicale du bétail à l’école lyonnaise VetAgro Sup, qui est la seule à proposer une véritable formation à la pratique mixte. « Par manque de temps d’encadrement, nous avons fixé un plafond à 45 étudiants. 23 en pure production animale et autant en mixte. À cela s’ajouteront les “tutorés”, dont le nombre passera de quatre à sept places cette année. Au total, cette année, nous aurons 61 places, qui, au gré des désistements, devraient s’établir à 55, dont 25 à 30 places en mixte, résume-t-elle. Savoir si nous formons suffisamment de vétérinaires ruraux m’importe peu. Ce qui m’inquiète, c’est que mes étudiants aient des débouchés. »Sur les filières “pures”, on constate 70 % de promesses d’embauche au moment de l’évaluation de fin d’année. « Les 30 % restants ayant décliné les propositions pour soutenir leur thèse », dit-elle. Les différences de salaires peuvent-elles avoir une incidence sur les choix des orientations ? « Je ne connais pas les niveaux de salaire. Les confrères refusent de nous répondre, déplore-t-elle. Ce que je sais, en revanche, c’est qu’en canine, du fait de la compétition et des temps partiels, ils n’arrivent plus à négocier, alors qu’en rurale, où les plages horaires sont plus étendues et le temps de travail soumis à des gardes et au travail le week-end, c’est possible. »

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