Thierry Poitte : « Des nouveautés dans la prise en charge de l’arthrose » - La Semaine Vétérinaire n° 1710 du 11/03/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1710 du 11/03/2017

ENTRETIEN

PRATIQUE CANINE

L'ACTU

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR VALENTINE CHAMARD 

L’arthrose est une maladie pluritissulaire, qui demande une approche individualisée ciblant différents mécanismes pathogéniques. Tel est le message de notre confrère Thierry Poitte, fondateur de CAP douleur.

Avec le développement des connaissances sur sa pathogénie, l’arthrose n’est plus une affection à considérer comme purement articulaire, mais une maladie pluritissulaire à part entière. Les mécanismes qui la sous-tendent sont complexes et requièrent une prise en charge individualisée, comme l’explique Thierry Poitte, praticien sur l’île de Ré (Charente-Maritime).

Quelles sont les actualités sur la prise en charge de la douleur ?

Elles sont multiples. Il convient tout d’abord de changer notre regard sur la douleur en pratiquant une analgésie raisonnée (fondée sur l’approche mécanistique de la douleur) et protectrice pour tenir compte de la vulnérabilité propre à chaque animal souffrant. Des changements sont aussi en train de s’opérer sur l’évaluation de la douleur grâce aux outils numériques. Des thérapies innovantes sont également disponibles, avec une approche non pharmacologique. Enfin, des nouveautés résident dans l’organisation managériale (vétérinaires et auxiliaires spécialisés vétérinaires référents douleur) et la façon d’envisager la relation client (arrêter la compliance pour aller vers l’observance et l’alliance thérapeutique, proposer des consultations douleur).

Quelle est la physiopathogénie reconnue actuellement lors d’arthrose ?

Cette maladie est liée à des lésions pluritissulaires. Les chondrocytes lésés produisent des métalloprotéases, des cytokines, etc. Le rôle précoce joué par l’os sous-chondral est désormais avéré. Celui-ci est remplacé par du fibrocartilage, en association avec une résorption osseuse sévère. Ces remaniements s’accompagnent d’inflammation (synthèse d’IL-11), de néo-innervation (NGF2), de néovascularisation (VEGF3), qui sont autant de cibles thérapeutiques. La membrane synoviale est également impliquée, avec la synthèse de cytokines. La sévérité de la douleur, en lien avec l’épanchement et l’œdème sous-chondral, peut être objectivée à l’examen d’imagerie par résonance magnétique (IRM). Il n’existe pas de corrélation entre les dégâts tissulaires et le niveau de douleur. À noter que le cartilage ne contient pas de nocicepteurs. Des remaniements peuvent également s’opérer au niveau central (moelle épinière et cortex), avec des effets durables mais réversibles.

Les anti-inflammatoires ne sont donc pas la réponse universelle ?

Non, il convient dorénavant de savoir parfois renoncer aux stratégies conventionnelles qui impliquent qu’une douleur forte nécessite systématiquement un traitement antalgique fort. Par exemple, un traitement à base de morphiniques pourra rester sans effet sur un chien en crise de douleurs neuropathiques. Quatre composantes de la douleur arthrosique peuvent être identifiées : mécanique, inflammatoire, centrale et neuropathique. Cette dernière est sous-estimée (elle serait présente dans 34 % des gonarthroses chez l’homme). La douleur est en plus modulée par les émotions. L’amplification centrale, décelée cliniquement par l’hyperalgésie et l’allodynie, doit aussi être prise en charge. Il convient donc d’employer de nouvelles classes de médicaments et l’articulation n’est pas la seule cible à viser. Les douleurs mécaniques répondent au tramadol et au paracétamol, celles inflammatoires aux anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS, à prescrire pendant 3 à 4 semaines pour agir sur la sensibilisation centrale), les douleurs neuropathiques aux antiépileptiques (gabapentine), aux antidépresseurs tricycliques (clomipramine) et les centrales aux anti-NMDA4 (kétamine, amantadine, méthadone).

Que faire en cas d’échec des AINS ?

Après avoir écarté d’autres causes de douleur que l’arthrose et vérifié l’observance, il est possible de changer d’AINS en cas d’intolérance, en choisissant parmi les Cox-2 sélectifs et en respectant un wash out de 5 jours, tout en y associant de l’oméprazole (0,7 mg/kg). Lors de manque d’efficacité, il est possible d’ajouter du tramadol (2 à 5 mg/kg, deux à trois fois par jour). Outre son effet opioïde, il a une action monoaminergique qui freine l’information douloureuse. En cas de nouvel échec, il est possible de perfuser l’animal avec une association de méthadone et de kétamine. Il convient également de rechercher une éventuelle douleur neuropathique, qui peut se reconnaître par quatre critères : son contexte de survenue (lésion ou maladie du système nerveux, chimiothérapie, diabète, chirurgie, etc.), son caractère spontané (décalé des stimuli nociceptifs), une absence d’effets des AINS, une description de décharges électriques par le propriétaire. Elle se traite avec des antiépileptiques.

Un nouveau traitement sera bientôt disponible contre la sensibilisation périphérique. Il s’agit d’anticorps monoclonaux anti-NGF, qui s’opposent à la néo-innervation de l’os sous-chondral (NV-01®, 200 µg/kg par voie intraveineuse) : l’amélioration clinique a été objectivée par l’évaluation des scores de douleur (plateau de forces et grille CBPI) et perdure au moins 4 semaines.

Une nouvelle classe de molécules est également disponible aux États-Unis, la famille des piprants, qui sont des antagonistes des récepteurs aux prostaglandines (Galliprant®, 2 mg/kg par voie orale, une fois par jour).

En pratique, comment mettre en place le bon traitement ?

Il convient de s’appuyer sur des outils d’évaluation (par exemple : applications web Dolodog ou Dolocat, colliers d’activité) et de proposer des consultations douleur. L’entretien avec le propriétaire est primordial : la médecine narrative est une compétence que peut acquérir tout praticien sachant interpréter les récits du propriétaire. Plus que jamais l’écoute et l’empathie sont indispensables pour exploiter au mieux les outils numériques et bien valoriser les data récoltées.

1 Interleukine-1.

2 Nerve growth factor.

3 Vascular endothelial growth factor.

4 Acide N-méthyl-D-aspartique.

TROIS PHÉNOTYPES D’ARTHROSE

Depuis 2 ans en médecine humaine, l’arthrose est classée en sous-catégories cliniques en relation avec des facteurs de risques. Cette vision phénotypique s’applique également au chien pour hiérarchiser des recommandations adaptées à ces sous-catégories plus homogènes. L’arthrose métaboliqueest liée au surpoids, qui entraîne une sécrétion accrue d’adipokines, induisant un état inflammatoire systémique et chronique (en humaine, le risque d’arthrose des mains est multiplié par deux lors d’obésité !). La priorité est de faire maigrir l’animal sur le long terme, après avoir traité la crise algique. Parfois, les anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) sont sans effet, puisque la douleur est liée à une hyperalgésie et à une composante neuropathique. Il convient de mettre en place une perfusion à débit constant composée de méthadone et de kétamine, puis de prendre un relais à domicile avec de la gabapentine et du tramadol, à titrer pour éviter un effet sédatif. Lors d’arthrose post-dysplasique ou post-traumatique, le traitement est avant tout chirurgical (stabilisation articulaire, résection tête fémorale, pose de prothèse… pas toujours accepté par le propriétaire !) L’emploi d’injection de plasma riche en plaquettes et d’acide hyaluronique, de cellules souches, et la rééducation fonctionnelle (massages, électrostimulation et laser) sont appropriés. En cas d’arthrose liée au vieillissement, les lésions des articulations sont liées à la sénescence des chondrocytes (radicaux libres et stress oxydatif). La priorité est de résoudre les troubles cognitifs (clomipramine lors de dépression, gabapentine lors d’anxiété) et d’y associer des antioxydants (sélégiline), des chondroprotecteurs, des acides gras oméga 3, de la propentofylline (diminue les propriétés excitatrices des cellules gliales lors de chronicisation de la douleur). Lorsque les AINS sont contre-indiqués (insuffisance rénale), il est possible de prescrire du paracétamol (20 mg/kg/j en deux prises quotidiennes), associé éventuellement à du tramadol. Une attention toute particulière doit être portée sur l’environnement (matelas à mémoire de forme, harnais, rampe d’accès, etc.).

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