développement durable : faire face aux enjeux sociétaux - La Semaine Vétérinaire n° 1710 du 11/03/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1710 du 11/03/2017

DOSSIER

Auteur(s) : CHARLOTTE DEVAUX 

Le développement durable deviendrait-il une réelle opportunité pour redonner à la profession vétérinaire une place de premier ordre dans la société, alors qu’elle traverse une crise d’identité ? Les vétérinaires ont toutes les cartes en main pour communiquer leurs valeurs à plus grande échelle, grâce aux nouvelles technologies, pour mieux s’approprier et faire évoluer leur responsabilité sociétale, et pour appréhender les futurs enjeux sociétaux, économiques et environnementaux.

Le développement est dit durable s’il répond aux besoins du présent sans compromettre la capacité des générations futures à répondre aux leurs. Il s’intéresse à l’humain, à l’environnement et à l’économie. C’est l’un des principaux défis pour l’humanité et nous avons tous un rôle à y jouer individuellement pour préserver le futur de la planète. Les professions en tant que corps intermédiaire entre l’État et les individus ont aussi une place à prendre dans ce processus inéluctable et elles ont tout à y gagner en matière d’image publique.

La crise d’identité de la profession, une crise d’image ?

Être vétérinaire confère un statut à vie et une identité professionnelle que peu de personnes choisissent de quitter. Cependant, avec l’augmentation du niveau d’instruction de la clientèle et le développement du sens critique, l’autorité des professionnels de santé que sont les vétérinaires est souvent remise en question face aux informations fournies par Internet. Le vétérinaire n’est plus reconnu comme un sachant et peut ressentir un sentiment de déclassement. De plus, certaines professions (ostéopathe animalier, éducateur comportementaliste, éleveur qui donne des conseils en nutrition, etc.) mettent à mal son monopole sur la santé et le bien-être des animaux. Il voit alors son utilité et sa légitimité dans la société remises en cause, ce qui aboutit à une crise d’identité professionnelle.

La profession vétérinaire est une profession libérale, qui apporte dans son exercice uniquement ses qualités personnelles de science et de connaissance. Cependant, s’exerçant au sein d’une économie de marché, cette activité revêt une dimension commerciale qui ne correspond pas toujours à la vocation de soins aux animaux qui a pu attirer ses membres. Comme le pointe Alexandra Langford dans sa thèse sur les représentations du métier de vétérinaire (2010), la relation praticien-propriétaire est toujours confrontée au problème de l’argent : « Dans l’idéal des gens, le vétérinaire est le médecin des animaux uniquement intéressé par leur bien-être et détaché des questions bassement pécuniaires : il doit être pauvre et dévoué. » Or aujourd’hui, on peut entendre que l’appât du gain pourrait amener les vétérinaires à négliger l’intérêt général. Cela a, par exemple, été le cas dans le conflit autour de la prescription-délivrance des antibiotiques. Leur réputation au sein de la société française ne serait plus aussi bonne qu’elle a pu l’être par le passé.

Le développement durable, un moyen de redonner du sens à la profession ?

Un remède clairement identifié pour lutter contre les crises d’identité est de retrouver le sens de la profession en démontrant la valeur de sa place dans la société, autrement dit de sa responsabilité sociétale. Dans le futur, les regards, au lieu de se tourner uniquement vers les entreprises, pourraient aussi se tourner vers les professions pour leur demander des comptes. La profession vétérinaire serait-elle prête à expliquer son rôle et sa contribution à l’avenir de la société et, par conséquent, de la planète ?

Répondre conjointement aux enjeux économiques, sociétaux et environnementaux va devenir une question de survie pour être accepté par la société. L’opinion publique n’accordera plus sa licence to operate (que l’on pourrait traduire par “permis d’exercer”), véritable autorisation d’exister, qu’à des organisations dignes de sa confiance. La profession vétérinaire pourrait alors se donner un nouveau sens en redéfinissant son contrat avec la société dans l’optique d’un futur soutenable.

Le développement durable devrait être parfaitement intégré dans son activité, non pas comme une obligation, mais comme une opportunité ; la profession a toutes les cartes en main pour devenir un acteur majeur du sujet et ainsi écrire son propre futur !

Quelle vision pour la profession

Si tous les vétérinaires ont la même profession, ils n’exercent pas tous les mêmes métiers au quotidien. Quelle unité construire dans ce contexte de multiplicité et d’intérêts parfois divergents ? De même, il existe un antagonisme entre le souci de l’intérêt collectif, renforcé par le sentiment de répondre à des “attentes sociétales”, et la vision commerciale de praticiens pris dans une logique d’investissements lourds à amortir et à faire fructifier.

Pour réunir tous les vétérinaires, il convient de se poser les questions suivantes : en quoi la profession sert-elle la société ? Comment envisage-t-elle son futur au service de celle-ci ? Et enfin, quelles sont les valeurs qu’elle va mettre à la disposition de la société ? L’exercice est déjà compliqué pour les entreprises. Pas étonnant qu’elle le soit aussi pour une profession avec tellement d’intérêts divergents et des membres réputés individualistes. Mais si difficile qu’elle soit, cette réflexion est indispensable à mener pour son avenir.

Pour trouver une vision d’avenir, on peut commencer par se tourner vers les racines de la profession vétérinaire avec le serment de Bourgelat qui se termine par la phrase suivante : « Ils prouveront par leur conduite qu’ils sont tous également convaincus que la fortune consiste moins dans le bien que l’on a que dans celui que l’on peut faire. » La première mission du vétérinaire serait alors d’assurer son art au service de la société. Mais qu’est-ce que la société serait en droit d’attendre de notre profession ?

La profession face aux enjeux sociétaux

La profession vétérinaire n’a pas su communiquer sur le rôle positif qu’elle joue dans la société. Or, elle aurait tout intérêt à travailler sa réputation auprès de l’opinion publique, afin d’obtenir le soutien nécessaire à sa durabilité. Si le savoir-faire est évident, le “faire-savoir” est trop souvent absent. Et c’est bien dommage, car les vétérinaires ont une légitimité à s’exprimer médiatiquement sur des sujets importants tels que le bien-être animal, le statut juridique de l’animal, la possession responsable, mais aussi l’antibiorésistance, les pandémies, la santé publique ou la place de l’animal dans la ville. Actuellement, on ne trouve pas les positions de la profession sur tous ces sujets, même si un premier pas dans cette direction a été fait fin 2015 par l’Ordre avec une prise de position remarquée sur la nécessité de la privation de conscience lors de l’abattage. Un discours cohérent qui résonne dans la société permettrait la création de mouvements d’opinion.

À quand des débats organisés dans les écoles pour aider les étudiants à développer la prise de conscience de leur citoyenneté ? À quand une grande concertation des vétérinaires pour connaître leurs avis sur ces sujets ? Si la profession veut une place dans la société de demain, elle doit s’emparer des grands enjeux la concernant. Actuellement, la façon dont nous traitons les animaux est devenue un enjeu sociétal, la souffrance animale devient de plus en plus insupportable. La célèbre phrase de Gandhi « On peut juger de la grandeur d’une nation par la façon dont les animaux y sont traités » est de plus en plus d’actualité. La profession vétérinaire aurait tout intérêt à s’emparer de ce sujet afin d’en faire son cheval de bataille, elle y est légitime et l’opinion publique est en demande, car qui mieux que les vétérinaires peut défendre une moindre destructivité et une moindre cruauté pour tous, pas seulement pour les humains ?

Source : Christophe Carlier. « Le développement durable, une réponse à la crise d’identité de la profession vétérinaire ? » Thèse de médecine vétérinaire, VetAgro Sup. Janvier 2016.

LE VÉTÉRINAIRE AU CENTRE DE LA SANTÉ DE L’HUMANITÉ

Sauver les animaux peut aussi contribuer à sauver le monde, comme cela a été clamé lors de l’année mondiale vétérinaire en 2011 : « Vet for health, vet for food, vet for the planet ».
La définition de la santé publique vétérinaire adoptée dans sa séance du 15 mai 1997 par l’Académie vétérinaire de France est la suivante :« La santé publique vétérinaire est l’ensemble des actions qui sont en rapport direct ou indirect avec les animaux, leurs produits et sous-produits, dès lors qu’elles contribuent à la protection, à la conservation et à l’amélioration de la santé de l’homme, c’est-à-dire son bien-être, physique, moral et social. » Or, les animaux de compagnie jouent un vrai rôle social. Ainsi le vétérinaire, en maintenant l’animal-lien social en bonne santé, contribue à la bonne santé de l’homme. Il a été prouvé, chiffres à l’appui, par Daniel Mills, vétérinaire anglais étudiant la relation homme-animal, que la compagnie des chiens et des chats fait réaliser des milliards d’euros d’économie de dépenses de santé publique. Quoi de plus durable pour une société que de réduire ses dépenses de santé grâce à la possession d’animaux de compagnie ?

RÉFORMER L’ENSEIGNEMENT VÉTÉRINAIRE POUR RÉPONDRE AUX BESOINS DE LA SOCIÉTÉ

Comme le dit Jean-François Chary (A 69), ancien directeur de l’École nationale vétérinaire de Lyon (devenue VetAgro Sup),« le système des classes préparatoires sélectionne des gens qui ont l’aptitude d’emmagasiner une masse impressionnante de connaissances et de la régurgiter en totalité et sans émotions à un moment précis ».Le concours ne permet pas de sélectionner des étudiants sur des idées, des valeurs communes ou des compétences humaines. Un entretien de motivation pourrait être un moyen de réaliser une sélection plus adéquate des futurs professionnels, qui seront amenés à répondre aux enjeux sociétaux de demain.
Si l’ambiance de l’école contribue à instaurer de la confraternité dès les premiers jours, créant une cohésion forte et durable plutôt bénéfique, c’est l’enseignement qui est pointé du doigt pour son inadéquation avec la volonté de faire des futurs vétérinaires des acteurs de la société de demain. Les élèves ne sont pas encouragés à prendre leurs responsabilités (dans le choix des matières étudiées, par exemple), les études sont peu ouvertes sur le monde extérieur et la vraie vie, les enseignants ne manifestent pas beaucoup d’intérêt pour les médecines complémentaires et alternatives… En somme, les professionnels en devenir ne sont pas correctement armés pour faire face au rôle qui sera le leur. Bernard Vallat (T 71), directeur général honoraire de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), assène :« Le corps enseignant est déconnecté du vétérinaire. Il a une stratégie qui vise son propre développement et pas celui des élèves. Le divorce entre enseignants et élèves est énorme. »De son côté, Bruno Rebelle (L 81), vétérinaire directeur d’une agence conseil en développement durable, fait le constat partagé par beaucoup : « Vous pouvez suivre vos études vétérinaires, devenir maître de conférences, chargé de recherche, professeur titulaire, sans être jamais sorti de l’école. »Or, comment apprendre le monde lorsque l’on n’est jamais sorti de chez soi ? L’enseignement ne devrait avoir comme but ultime que de former des professionnels compétents, intégrés dans la société, ouverts sur le monde et aptes à faire face aux défis à venir. Un challenge à relever pour toute la profession.

LA RESPONSABILITÉ SOCIÉTALE VÉTÉRINAIRE

La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) est définie par la Commission européenne comme « un concept dans lequel les entreprises intègrent les préoccupations sociales, environnementales et économiques dans leurs activités et dans leurs interactions avec leurs parties prenantes, et ce sur une base volontaire ». Sur ce modèle, la profession vétérinaire pourrait créer la responsabilité sociétale vétérinaire (RSV), afin d’identifier et de maîtriser les impacts sociaux, environnementaux et économiques de son activité dans une démarche volontaire d’amélioration continue. Elle pourrait alors être considérée comme une marque et utiliser les principes et méthodes qui ont fait leur preuve dans le monde de l’entreprise.
Le premier travail consisterait à effectuer un état des lieux initial, en commençant par identifier tous les acteurs concernés. Chacun des métiers rassemblés par la profession vétérinaire dispose de ses propres parties prenantes, l’enseignant n’aura pas les mêmes que l’inspecteur de la santé publique vétérinaire ou que le cadre en entreprise. Il existe aussi des parties prenantes externes à la profession : clients, autorités de tutelle, industries, organisations non gouvernementales, mais aussi la société civile.
La responsabilité sociétale a pour intérêt d’attirer l’attention sur le fait qu’on est tous sur le même bateau et que les décisions prises ont des impacts positifs ou négatifs sur toutes les parties prenantes. Cela pourrait être l’occasion de remettre à plat les rapports entre les différents acteurs et de peser leurs pouvoirs respectifs. Par exemple, transformer la relation purement commerciale entre les vétérinaires de l’industrie (laboratoires, petfooders) et les praticiens en partenariat privilégié. Au lieu de vendre des produits, il s’agirait de construire ensemble.
Une place importante serait accordée à la communication interne et externe. Elle comprendrait l’utilisation des nouvelles technologies pour communiquer les valeurs de la profession, partager ses positions sur les grands sujets de société et attirer les talents. L’Ordre et les syndicats ne devraient pas être ses seuls porte-parole, puisque l’un défend le client et l’autre est partisan, en revanche, le projet Vetfuturs (voir page 15 de ce numéro), porté par ces deux structures mais ayant vocation à accueillir la participation de chacun, pourrait être une occasion de travailler sur la responsabilité sociétale de la profession vétérinaire.
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