Michel Baussier : « Affronter les idées et les changements pour les accompagner et non les subir » - La Semaine Vétérinaire n° 1705 du 05/02/2017
La Semaine Vétérinaire n° 1705 du 05/02/2017

CONSEIL NATIONAL DE L’ORDRE

ACTU

ÉVÉNEMENT

Auteur(s) : PROPOS RECUEILLIS PAR MARINE NEVEUX 

Notre confrère vient de quitter la présidence du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires. Il nous confie ces propos à l’issue de ces six années à la tête de l’instance.

À l’issue de vos mandats à la présidence de l’Ordre national des vétérinaires, quelles sont les trois avancées dont vous êtes le plus fier ?

Je réponds assez facilement : la réforme de l’Ordre ; son action déterminée pour un meilleur usage des médicaments vétérinaires en général, des antibiotiques en particulier ; l’implication affirmée des vétérinaires comme experts du bien-être animal.

La réforme de l’Ordre a été un progrès et une réelle avancée : un certain nombre de points qui étaient auparavant inscrits dans le règlement le sont aujourd’hui dans la loi. Cela a permis de renforcer notre instance, et aussi de séparer les missions administratives et disciplinaires.

Il fallait également inscrire le bien-être animal dans la loi pour que l’on puisse entamer des actions, avoir une légitimité.

Quelles seraient vos trois déceptions ?

Je ne perçois pas vraiment de déceptions. En cherchant bien, je dirais : l’insuffisante acceptation de la profession de vétérinaire en général et de l’Ordre des vétérinaires en particulier parmi les professions de santé et leurs ordres professionnels ; l’insuffisante prise de conscience par les élus ordinaux en général de l’importance première de ce qui est appelé l’activité administrative de l’Ordre, appellation pour eux péjorative et non motivante et qu’il faudrait plutôt relier à celle de l’observatoire démographique professionnel… Nourrir l’observatoire, informer la base, cela ne peut être réalisé que par les élus ordinaux régionaux. Je cherche avec peine une troisième déception…

Des confrères ont été surpris par votre prise de position sur les étudiants végétariens, qui n’auraient pas leur place dans les écoles vétérinaires. Ils l’ont perçue comme un éloignement des problématiques de l’élevage intensif, de l’abattage, du bien-être animal. Que répondez-vous ?

Il y a ces réactions négatives sur les réseaux sociaux, que l’on m’a rapportées, mais qui ne m’ont jamais été présentées directement, et il y a toutes les réactions positives qui m’ont été personnellement adressées. Cela montre que j’ai visé au centre d’un vrai débat. Pour comprendre, j’ai relu mon éditorial et je crois avoir compris le contresens fait par certains étudiants ou même certains vétérinaires en exercice. Je n’ai, bien évidemment, jamais contesté à quiconque, et notamment pas aux étudiants vétérinaires, le droit d’être végétaliens ou vegans. C’est une question de mode alimentaire librement choisi et surtout de liberté de pensée que je me dois de respecter au plus haut point. Un certain nombre de mes proches que j’aime sont de ceux-là. La réaction est d’autant plus cocasse que je suis moi-même un assez faible mangeur de viande ! Ceux qui me connaissent le savent et s’en amusent souvent. Surtout, je pense très sérieusement que nos sociétés occidentales consomment trop de viande, ce qui n’est bon ni pour la santé publique, ni pour l’environnement, ni pour le bien-être animal. Pour ce dernier point, cela défavorise les systèmes d’élevage proprement dits au profit de systèmes d’exploitation industrielle des animaux domestiques, que notre société contemporaine occidentale remet à juste titre en cause. Il y a de la place pour un élevage respectueux de l’animal, de la relation entre l’animal et l’éleveur.

Ce que je conteste, c’est qu’il soit possible, au nom de ses convictions et de ses pratiques personnelles, de boycotter des exercices d’enseignement public, comme les directeurs des écoles vétérinaires me l’ont rapporté. Les frais de scolarité réglés par les familles sont dérisoires par rapport au coût d’un étudiant vétérinaire supporté par la collectivité nationale. Le référentiel de diplôme est déterminé par les représentants habilités de la société, il ne l’est pas par nos étudiants, nos enfants, et je leur redis qu’il est à accepter en l’état, sans restrictions, ou bien à laisser, au profit d’une autre voie professionnelle. Cette question pose celle du recrutement, de la motivation à être vétérinaire, de la réflexion sur les liens entre l’homme et les animaux domestiques, liens dans lesquels le vétérinaire s’insère nécessairement en priorité.

Vous évoquez également la télémédecine vétérinaire, la question de l’évolution du diagnostic vétérinaire, du diagnostic clinique. Êtes-vous confiant en l’avenir ? Le risque n’est-il pas d’aboutir à une financiarisation ou une ubérisation avec la télémédecine vétérinaire, et/ou à une perte du sens même de la médecine vétérinaire fondé sur le sens diagnostic ?

Je ne suis bien entendu pas devin. Je suis optimiste par nature, mais cela ne m’empêche pas de m’interroger. Je me dis que c’est un débat de société important, qu’il concerne la médecine de l’homme et la médecine vétérinaire. Je m’interroge simplement sur l’avenir du sacro-saint diagnostic clinique, au centre des investigations pour le diagnostic ; les autres examens, dits paracliniques, n’étant considérés que comme complémentaires.

Je crains que le progrès des technologies ne provoque l’effondrement rapide de cette vision, de ce concept. Il faut donc au moins y réfléchir activement. C’est la raison pour laquelle, avant mon retrait, nous avions commencé à préparer ce travail au sein du Conseil national de l’Ordre, et je sais que l’équipe en place va mettre cette réflexion au centre de ses préoccupations. L’Académie vétérinaire de France s’est également emparée du sujet.

Toutes les évolutions technologiques comportent des risques, surtout lorsqu’elles prennent la forme de révolutions technologiques… L’ubérisation, la financiarisation guetteront évidemment.

Il ne faut pas se voiler la face, il faut affronter les idées et les changements, c’est la meilleure façon de les accompagner et non de les subir.

Il faudra simplement veiller à maintenir l’homme au centre du processus. Et, pour ce qui nous concerne, le vétérinaire.

En France, des projets de sociétés d’exercice vétérinaire contrôlées par des non-vétérinaires, donc de manière illégale, émergent aujourd’hui. L’Ordre ne doit-il pas être l’arbitre face à cette situation ? Ces sociétés financières ne risquent-elles pas de déstabiliser la déontologie vétérinaire et son indépendance professionnelle ?

Aujourd’hui, il existe une loi française, conforme au droit européen, jusqu’à avis contraire. L’Ordre, dans son activité administrative d’inscription des sociétés, n’arbitre pas. Il applique la loi. La loi, toute la loi, mais rien que la loi. Dans son activité de proposition réglementaire, il prend position, il n’est pas un simple arbitre. C’est comme cela qu’en 2012, le Conseil national avait refusé, contre les pressions considérables de Bercy (la fameuse déréglementation des professions nanties !), que les vétérinaires en exercice au sein de leurs sociétés puissent ne pas être majoritaires en voix et en capital. En 2013, la loi a entériné la position ordinale. Tiendra-t-elle ? Il s’agit là d’un débat de société, éminemment politique, qui dépasse les ordres professionnels…

Vous déclarez également que le débat sur les médecines alternatives ou complémentaires n’a finalement jamais été convenablement posé dans notre profession. De vrais abcès professionnels seraient à débrider, lesquels ? N’est-ce pas trop tard ?

Nombre de confrères donnent l’impression de se laisser entraîner dans les médecines alternatives ou complémentaires sous la seule pression de la demande sociétale, dont il faut certes tenir compte, dont il faut surtout comprendre la motivation, mais qui ne doit pas être le seul moteur d’un professionnel dont la formation est et doit rester scientifique. Le moteur en tout cas ne doit pas être commercial. C’est aussi cela la pleine signification de ne pas pratiquer sa profession comme un commerce. Le vétérinaire devrait d’abord être obsédé par la preuve.

À terme, je pense que cela devra être intégré sous une forme plus forte qu’actuellement dans le Code de déontologie vétérinaire. Certaines orientations professionnelles apparaissent comme des actes de foi, au même titre qu’une option religieuse… On ne peut plus accepter cela, ni en médecine humaine ni en médecine vétérinaire. La médecine vétérinaire (comme la médecine humaine) devra être fondée sur les preuves ou ne sera pas. Attention ! Qu’on ne me fasse pas dire ce que je n’ai pas dit : la plupart des confrères et des consœurs qui, dans leur pratique, ont adopté, en partie ou en totalité, une médecine dite alternative, gardent l’esprit scientifique, fait de curiosité et d’absence d’a priori. On ne peut pas, en effet, tout expliquer à un instant donné. Mais tous ne sont pas dans cet état d’esprit optimal, il faut avoir la lucidité de le réaliser.

Je pense qu’il n’est finalement jamais trop tard pour considérer ces pans de nos activités. Le progrès des sciences ou plutôt de la pensée scientifique finira, ici aussi, par avoir raison des croyances. Le problème est également sociétal, c’est celui du recul du goût pour les matières scientifiques, sans doute lié aux excès technologiques ou plutôt aux technologies sans éthique (science sans conscience…) développées au xxe siècle et reliées naturellement, de façon péjorative, à la science elle-même. Les excès des applications scientifiques ne doivent pas servir de prétexte pour tourner le dos à la science. Je demeure optimiste, nous sommes dans une mauvaise passe et allons en sortir.

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