En soignant la Nature, nous nous soignons nous-mêmes

Ce qui m’a poussé à être vétérinaire… Cela fait plus de 20 ans maintenant que je pratique la faune sauvage. Mes journées sont rythmées par des urgences, le souci de préventions et de prophylaxies efficaces sur une population animale de plus de plusieurs milliers de spécimens répartis dans plusieurs centaines d’espèces différentes, la rigueur nécessaire au management d’un staff conséquent de soigneurs, des activités de recherche, de rédaction d’articles et de conférences... Même si, bien sûr, les problématiques de la clientèle sont différentes de toutes ces activités, ce n’est pas parce que le vétérinaire faune sauvage soigne des orangs-outans que son métier est différent de celui de ses confrères canins. Fondamentalement, l’objectif reste le même : soigner l’animal.

La difficulté va surtout résider dans le nombre important d’espèces. Il ne s’agit alors pas simplement de les soigner, mais de leur garantir la meilleure qualité de vie possible. Ainsi, c’est par mon métier que j’ai appris véritablement le sens du mot “respect”. En parc zoologique, nous apportons aux animaux une alimentation adéquate pour éviter non seulement la malnutrition, mais aussi l’obésité, des conditions environnementales qui doivent répondre aux besoins naturels spécifiques, propres à chaque animal, nous essayons de les protéger de tout traumatisme, de tout stress, et dans la limite de nos connaissances et de nos moyens, de prévenir toutes les maladies qu’il est possible d’identifier. Certaines espèces possèdent des besoins extrêmement complexes. C’est à nous de les rechercher pour y répondre au mieux, c’est une recherche quotidienne, et perpétuelle. Il s’agit donc de garder la plus grande objectivité possible, et de bien distinguer le respect de l’animal en tant qu’être vivant avec ses besoins spécifiques et l’anthropomorphisme qui extrapolerait nos propres besoins sur nos compagnons animaux. L’animal ne demande pas à être aimé, mais respecté. Nous rechercherons ce qu’il veut vraiment et non ce que nous pensons qu’il veut ou voudrions qu’il veuille. Le respect est un des fondements de mon métier.

Le métier en soi a beaucoup évolué ces dernières années. L’évolution des techniques diagnostiques en zoo et pour les animaux exotiques est énorme et bien objectivable. Qui aurait cru que l’on pourrait passer presque en routine une IRM¹ à un lapin ? Tous les domaines de la médecine et de la chirurgie ont évolué vers une prise en charge de plus en plus poussée. L’anesthésiologie et l’antalgie permettent d’effectuer des chirurgies longues et invasives. L’imagerie a fait un bond énorme, l’endoscopie bien sûr, mais aussi l’échographie, qui est devenue un examen incontournable, et l’IRM, qui est de plus en plus accessible. Nous ne sommes plus dans la médecine interventionniste approximative, mais dans une pratique parfois digne de la médecine humaine. Cependant, il reste tant de choses à découvrir… Mon quotidien me rappelle l’humilité que je dois garder face aux mystères de la Nature.

Tous les phénomènes sont interdépendants

Enfin, ce que j’apprends par mon métier, c’est que lorsque nous soignons les animaux, nous soignons toute forme de vie, y compris la nôtre, y compris nous-mêmes. Se soigner ainsi, c’est se rappeler que nous faisons partie d’une grande famille, celle de l’Humanité. Nous acquérons alors cette vision globale du tout. Ce sentiment que nous avons besoin les uns des autres pour vivre en harmonie, avec les autres bien sûr, mais surtout avec nous-mêmes. Tout est équilibre. En dégradant la Nature, c’est nous-mêmes que nous dégradons. En nous éloignant d’Elle, c’est de nous-mêmes que nous nous éloignons. En la soignant, nous nous soignons nous-mêmes. La Nature se détériore, elle est souillée dans sa matérialité. Nous nous coupons des sources mêmes qui, depuis l’origine, ont constitué la vie. La Nature est vivante et sa dégradation est aussi et surtout la nôtre. Toutes mes activités vétérinaires, tous mes voyages m’ont permis de reconnaître notre fragilité, et avec humilité de comprendre l’unité de la réalité et toutes les interdépendances au niveau écologique. Notre description de la Nature n’a pas pour but de révéler l’essence réelle des phénomènes, mais simplement de découvrir autant que possible les relations entre les nombreux aspects de notre existence. L’interdépendance des phénomènes est la description la plus adéquate de la réalité apparente. Le monde est un vaste flux d’événements reliés les uns aux autres et participant tous les uns aux autres. L’illusion est de croire qu’un phénomène ou un objet possède une réalité autonome.
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¹ Imagerie par résonance magnétique.