Importations illicites : ce qu’en dit la Cour européenne - La Semaine Vétérinaire n° 1696 du 15/11/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1696 du 15/11/2016

DÉCRYPTAGE

Auteur(s) : MICHAELLA IGOHO-MORADEL 

Pour la CJUE, les importations parallèles de médicaments vétérinaires par des éleveurs doivent être autorisées, mais à certaines conditions. Celles-ci n’en font pas une procédure simple et peuvent même la rendre impossible.

Des affaires d’importations parallèles de médicaments vétérinaires par des éleveurs français établis à proximité de la frontière espagnole ont fait grand bruit au sein de la profession. Ces produits peuvent-ils circuler librement dans l’Union européenne ? La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) répond par l’affirmative. Dans un arrêt1 rendu le 27 octobre dernier, elle rappelle que le commerce parallèle résulte du principe de libre circulation des marchandises entre les États membres. Dans cette décision, la CJUE est en effet sollicitée par la cour d’appel de Pau (Pyrénées-Atlantiques) pour vérifier notamment si la réglementation française, excluant l’accès aux importations parallèles de médicaments vétérinaires aux ayants droit et aux éleveurs, est conforme aux dispositions des articles 34 à 36 du traité sur le fonctionnement de l’Union européenne (TFUE). Selon la CJUE, le droit européen permet à un éleveur français d’acheter des spécialités vétérinaires moins cher en Espagne. Mais elle énonce certaines conditions pour garantir la protection de la santé publique, difficilement applicables aussi bien par un éleveur que par un vétérinaire.

Une autorisation d’importation parallèle

Pour la CJUE, la réponse est claire, un éleveur français devrait pouvoir faire venir d’Espagne des médicaments vétérinaires, surtout si ces derniers bénéficient déjà d’une autorisation de mise sur le marché (AMM) délivrée par les autorités françaises. Dans ce cas, le produit est importé parallèlement au même médicament bénéficiant d’une AMM en France. La Cour estime, en effet, que l’examen du régime d’autorisation des importations parallèles devrait se faire en fonction des dispositions européennes relatives à la libre circulation des marchandises. Elle ajoute qu’une procédure simplifiée devrait permettre à l’éleveur de se procurer des spécialités vétérinaires dans les États membres pour les besoins de son propre élevage, ce qui exclut toute revente à des tiers. Mais, pour cela, il lui faut obtenir une autorisation d’importation parallèle (AIP) délivrée par l’Agence nationale de sécurité sanitaire-Agence nationale du médicament vétérinaire (Anses-ANMV). Or, en France, le Code de la santé publique prévoit que l’importation de médicaments vétérinaires ne peut être effectuée que par un établissement pharmaceutique vétérinaire. Ce qui exclut d’office les éleveurs et autres propriétaires d’animaux, de même que les vétérinaires. Dans la pratique, cette exigence constitue déjà un premier obstacle pour l’éleveur.

Une ordonnance préalable

Une autre condition soulignée par la CJUE concerne les spécialités vétérinaires soumises à prescription. L’AIP ne peut être délivrée qu’après présentation d’une ordonnance vétérinaire indiquant les quantités nécessaires pour le traitement ou la thérapie concernés. L’ordonnance présentée devra être conforme au droit français, c’est-à-dire rédigée dans le cadre d’un suivi sanitaire permanent ou après la réalisation d’un examen clinique. Celle-ci doit être obtenue avant la demande d’une AIP auprès de l’ANMV et, évidemment, avant d’acquérir les médicaments vétérinaires.

Une notice en français

Les médicaments importés doivent être conformes à la réglementation locale. C’est pourquoi la CJUE rappelle, entre autres, l’obligation pour ces produits de comporter une notice rédigée dans la langue officielle de l’État membre concerné, autrement dit en français. Ce document devra correspondre aux informations contenues dans l’AMM du médicament vétérinaire déjà sur le marché français. Cette opération est réalisée par un laboratoire pharmaceutique, ayant une autorisation d’exercer une activité de fabrication dans un État membre. Charge donc à l’éleveur de se rapprocher d’un tel établissement, bien que le médicament ne soit importé que pour les besoins de son élevage.

Des effets indésirables

Par ailleurs, l’éleveur sera soumis à des obligations en matière de pharmacovigilance, ce qui constitue une autre contrainte. Les titulaires d’une autorisation d’importation parallèle ont en effet les mêmes obligations que les titulaires d’AMM. La CJUE rappelle les dispositions du droit européen, et donc nationales, en la matière en indiquant que l’éleveur devra avoir à sa disposition, de façon permanente et continue, une personne possédant les qualifications appropriées en matière de pharmacovigilance. Cette ressource doit lui permettre de déclarer à l’Anses-ANMV les effets indésirables constatés lors de l’utilisation du médicament importé. Cette exigence pourrait représenter un coût non négligeable pour l’éleveur, d’autant qu’il est également tenu de s’acquitter, en amont, d’une taxe de 2 500 € afin que sa demande d’AIP soit instruite par l’agence compétente.

Les importations de la discorde

La décision de la CJUE fait suite à une question préjudicielle posée par la cour d’appel de Pau, concernant des importations parallèles, effectuées par des éleveurs français en 2008, de médicaments vétérinaires moins chers en provenance d’Espagne. Ces produits étaient accompagnés d’ordonnances établies par un vétérinaire de nationalité espagnole. Par un jugement de décembre 2013, le tribunal correctionnel de Bayonne a reconnu les éleveurs importateurs coupables du délit d’importation de médicaments vétérinaires sans autorisation, enregistrement ou certificat, ainsi que de transport de marchandises réputées importées en contrebande et leur a infligé différentes sanctions pénales.

La fin de la divergence ?

Le décret2 du 29 mai 2005 relatif aux importations de médicaments vétérinaires interdit aux éleveurs d’effectuer une telle démarche. Mais la légalité de ce texte est clairement remise en question, bien que le Conseil d’État y ait répondu par l’affirmative dès 20063. En effet, les décisions des tribunaux français divergent. En mars 2013, le tribunal de Niort (Deux-Sèvres) avait relaxé des éleveurs qui avaient importé des médicaments vétérinaires espagnols. Puis, en septembre 2013, c’est la cour d’appel de Poitiers (Vienne) qui condamne ces mêmes éleveurs. En décembre 2014, la Cour de cassation décide, à son tour, de renvoyer l’affaire devant la cour d’appel de Bordeaux (Gironde) et ne confirme pas leur condamnation. L’affaire a été portée devant la CJUE qui devra se prononcer sur la légalité du décret susvisé. Si cette décision se fait encore attendre, son arrêt rendu le 27 octobre dernier, en réponse à la cour d’appel de Pau, permet déjà d’imaginer de quel côté pourrait pencher la balance.

Les articles 34 et 36 du TFUE

Pour fonder sa décision, la CJUE se repose sur l’interprétation des articles 34 et 36 du TFUE. Ces derniers sont rattachés au chapitre 3 sur l’interdiction des restrictions quantitatives entre les États membres. L’article 34 dispose que « les restrictions quantitatives à l’importation, ainsi que toutes mesures d’effet équivalent sont interdites entre les États membres ». Quant à l’article 36, il prévoit que des restrictions d’importation sont possibles si elles sont justifiées « par des raisons de moralité publique, d’ordre public, de sécurité publique, de protection de la santé et de la vie des personnes et des animaux ou de préservation des végétaux, de protection des trésors nationaux ayant une valeur artistique, historique ou archéologique ou de protection de la propriété industrielle et commerciale. Toutefois, ces interdictions ou restrictions ne doivent constituer ni un moyen de discrimination arbitraire ni une restriction déguisée dans le commerce entre les États membres ».

1 bit.ly/2fc1vaI.

2 bit.ly/2gbBMnZ.

3 bit.ly/2eVM3ys.

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