« Les émulsions lipidiques sont accessibles aux vétérinaires »

Déjà utilisées en médecine humaine dans des cas d’intoxication médicamenteuse, les émulsions lipidiques commencent à être employées avec succès en médecine vétérinaire. Une note récente du directeur général de la santé précise d’ailleurs que ces médicaments à usage humain sont bien accessibles pour les vétérinaires. Le point avec Martine Kammerer et Hervé Pouliquen, professeurs de pharmacie et toxicologie à Oniris.

Qu’est-ce qu’une émulsion lipidique et quelles en sont les indications ?

Martine Kammerer : Les émulsions lipidiques sont des mélanges huile/eau, le plus souvent à base d’huile de soja, destinées à la nutrition parentérale et à la mise en solution de principes actifs liposolubles. Leur intérêt en toxicologie a été découvert il y a une quinzaine d’années. Le mécanisme d’action est encore imparfaitement éclairci. L’une des principales hypothèses serait cependant le piégeage des substances lipophiles dans un compartiment artificiellement créé dans le milieu intravasculaire. En médecine humaine, la lipidothérapie est indiquée lors d’intoxication médicamenteuse, en particulier par des médicaments à tropisme cardiaque, nerveux et les anesthésiques locaux. En santé animale, elle a fait ses preuves d’abord lors d’intoxication par les avermectines, puis par la perméthrine, et de nouveaux toxiques s’ajoutent régulièrement à la liste. En théorie, toutes les molécules lipophiles, faiblement ou non éliminées par l’urine, pourraient sans doute en bénéficier.

Comment s’utilisent-elles ?

M. K. : L’administration se fait par perfusion intraveineuse, en respectant une antisepsie soignée et en utilisant une veine “neuve” pour éviter le risque de phlébite. Le protocole recommandé, pour une émulsion à 20 %, consiste en un bolus de 1,5 ml/kg par voie intraveineuse lente (1 minute environ), suivi d’une perfusion de 0,25 ml/ kg/min pendant 30 minutes à 1 heure. Ce schéma peut être renouvelé au bout de 12 à 24 heures. En l’absence de pompe à perfusion, des bolus de 0,5 ml/kg espacés de 30 minutes peuvent être envisagés. La tolérance est très bonne et les effets indésirables rares. Ce protocole n’est pas figé. Il ne demande qu’à être amélioré et adapté au mieux à la médecine vétérinaire. C’est pourquoi tous les retours de terrain sont les bienvenus auprès des centres antipoison (CAPAE-Ouest¹ et CNITV²). Il est également possible de partager ou de profiter des observations des médecins grâce à un site dédié : lipidrescue.org.

Comment se procurer ces médicaments ?

Hervé Pouliquen : Certaines poches lipidiques sont des médicaments humains qui sont disponibles en pharmacie d’officine. C’est le cas de Perikabiven^®, Kabiven^®, Oliclinomel^®, Olimel^®, Perinutriflex^®, Reanutriflex^® et Smofkabiven^®. Elles sont utilisées en médecine humaine par des infirmières libérales dans le cadre d’une nutrition parentérale. Néanmoins, en médecine vétérinaire, elles présentent les inconvénients, d’une part de n’être disponibles que sous la forme de poches tricompartimentées (une seule poche utile au vétérinaire), d’autre part de n’être vendues que par boîtes de trois ou quatre poches au coût élevé (100 à 150 € environ). Pour s’en procurer, le vétérinaire doit présenter à la pharmacie d’officine une simple commande (ordonnance) à usage professionnel. D’autres poches lipidiques sont des médicaments humains qui ne sont pas disponibles en pharmacie d’officine, car uniquement “agréées aux collectivités”, ou alors seulement sous la forme de conditionnements hospitaliers. C’est le cas, par exemple, de Intralipide^®, Medialipide^®, Clinoleic^®, Lipidem^® et Numetah^®. Celles-ci sont plus intéressantes que les premières en médecine vétérinaire, car elles ne contiennent qu’une émulsion lipidique sans poche de glucose ni poche d’acides aminés. Devant les difficultés pour les vétérinaires de s’en procurer, le directeur général de la santé a adressé, en août dernier, un courrier³ au Conseil national de l’Ordre des pharmaciens et à la Chambre syndicale de la répartition pharmaceutique. Il y rappelle qu’« il n’y a pas d’obstacle juridique à la délivrance par les pharmaciens d’officine aux vétérinaires, sur commande à usage professionnel, de tels médicaments à usage humain, sous réserve qu’ils ne relèvent pas de la catégorie des médicaments “réservés à l’usage hospitalier” [à prescription restreinte, NDLR] », ce qui est le cas de toutes les poches lipidiques sus-citées. Pour les obtenir, le vétérinaire doit présenter à la pharmacie d’officine une commande (ordonnance) à usage professionnel et la pharmacie se procure ce médicament auprès de son grossiste ou du laboratoire concerné. Le courrier du directeur général de la santé peut être fourni au pharmacien en cas de refus.
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¹ Centre antipoison animal et environnemental de l’Ouest.

² Centre national d’informations toxicologiques vétérinaires.

³ bit.ly/2dsswdR.