Étude prospective sur l’élevage en France en 2050 - La Semaine Vétérinaire n° 1687 du 14/09/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1687 du 14/09/2016

DOSSIER

Auteur(s) : DOSSIER RÉALISÉ PAR SERGE TROUILLET 

L’évolution de l’élevage en France à l’horizon 2050, quelle qu’elle soit, sera sans doute de nature à modifier les pratiques des vétérinaires dans les zones rurales. Le scénario – même s’il n’est que prospectif – qu’a élaboré l’entreprise associative indépendante Solagro fournit, à cet égard, de la matière pour leur réflexion.

Depuis 35 ans, l’entreprise associative toulousaine Solagro développe une expertise avant-gardiste dans les domaines de l’environnement, de l’énergie, de l’agriculture et de la forêt. « Nous travaillons à favoriser l’émergence et le déploiement de pratiques et de procédés qui participent à une gestion économe, solidaire et de long terme des ressources naturelles », précise Christian Couturier, directeur de son pôle énergie. Le scénario qu’il a contribué à élaborer pour l’agriculture française à l’horizon 2050, Afterres 2050, propose ainsi un arbitrage entre les modes de production, les utilisations des terres et de la biomasse : « Nous défendons un changement de modèle agricole et alimentaire, sans rupture technologique. »

Pour atteindre l’objectif alimentaire tout en répondant à l’enjeu du réchauffement climatique, les auteurs de l’étude estiment qu’il est nécessaire de couvrir nos besoins alimentaires en privilégiant les protéines végétales. Il convient d’inverser, selon eux, le rapport deux tiers/un tiers qui prévaut aujourd’hui en faveur des protéines animales, afin de rejoindre la moyenne mondiale. « Qu’ils proviennent de nutritionnistes, d’agronomes, de grands chefs cuisiniers ou de rapports de l’Organisation des Nations unies (ONU), les points de vue convergent pour dénoncer notre régime alimentaire qui n’est pas généralisable à l’ensemble de la planète, tant en matière de ressources que de santé humaine. Il faut rééquilibrer l’assiette en faveur des protéines végétales », soutient Christian Couturier.

Une mutation radicale de l’élevage, selon l’étude

L’impact sur l’agriculture d’un tel infléchissement de notre alimentation est prégnant. Solagro prône une plus grande mixité des productions végétales, un allongement des rotations, l’introduction massive de légumineuses, le développement prioritaire de l’agriculture biologique, la production intégrée, etc. Les rendements en seraient moindres, mais la capacité exportatrice de l’agriculture française n’en serait pas remise en cause. Pour Christian Couturier, « la France exporterait moins de grains pour l’alimentation du bétail au profit de produits destinés à l’alimentation humaine, notamment vers les pays du pourtour méditerranéen où se profile la disparition des cultures céréalières en raison du changement climatique ».

La mutation de l’élevage serait radicale. On utiliserait les terres arables des plaines pour nourrir les êtres humains et non les animaux, et les pâturages des montagnes pour élever les vaches. Sa répartition géographique en serait profondément bouleversée. Par ailleurs, fini la spécialisation des troupeaux. Moins de prim’holstein pour le lait, de charolaise, de limousine ou de blonde d’Aquitaine pour la viande. Priorité aux races mixtes. Les races à viande n’auraient donc été qu’une “parenthèse historique”. L’idée serait de garder les élevages bovins économiquement viables en inventant de nouvelles filières de production associées (énergie, matériaux), et de maintenir les fonctionnalités écologiques des prairies naturelles.

De 8 millions de bovins à 4,3 millions

Dans cette optique de moindre consommation de lait et de viande et de maintien des exportations, le cheptel bovin laitier serait divisé par deux : « La laitière à 9 000 l disparaîtrait, tandis que le cheptel tout herbe représenterait le quart des effectifs, aux côtés de systèmes assez proches de ceux prévalant actuellement, à la fois performants (7 000 l) et économes (moindre consommation de concentrés). » Il resterait peu de place pour les systèmes bovins viande, dimensionnés par la différence avec la production de viande du troupeau laitier. Le cheptel bovin global passerait ainsi de 8 millions de têtes à 4,3 millions (dont 1,6 million de vaches allaitantes), entraînant une réduction de 40 % des émissions de méthane entérique.

Pour les porcs et les volailles, le type d’élevage industriel tel qu’on le connaît aujourd’hui a pratiquement disparu du scénario. Toutes les productions sont sous le signe de la qualité, avec une dimension de bien-être animal reconsidérée. Le nombre de porcs passe de 8,5 millions de places, presque en totalité en intensif, à 5,1 millions, dont 2 millions en “conventionnel amélioré”. Cette évolution est similaire pour les volailles. Le troupeau caprin, destiné essentiellement à la production de lait, reste inchangé ; quant aux ovins, dont la viande est en grande partie importée et qui permettent de valoriser des espaces peu productifs, ils voient leur cheptel augmenter de 20 %.

« Un scénario quantitatif, chiffré, responsable »

Un tel scénario, selon lequel l’élevage produirait environ 40 % de produits animaux de moins qu’aujourd’hui, apparaît en conséquence très défavorable à l’emploi agricole, en particulier dans le secteur agroalimentaire. Toutefois, en raison de protéines végétales moins chères, il en résulterait, selon les auteurs, une augmentation du pouvoir d’achat des consommateurs qui se traduirait par un gain net de près de 150 000 emplois en 2030. « Notre scénario a pour but de préparer une transition perçue par la société comme une évolution positive ou un défi, et non comme une contrainte. Afterres 2050 se veut désirable, crédible, compréhensible, car la transition ne se décrète pas », argumente Christian Couturier. Et d’ajouter que la diminution des cheptels ne signifie pas l’abandon de l’élevage, ni celle de la pâture l’abandon des prairies : « Il s’agit de trouver de nouv elles vocations aux prairies et d’inventer des systèmes sociotechniques qui permettent aux élevages bovins d’aujourd’hui d’évoluer vers de nouvelles formes de production . »

En somme, la diminution du cheptel est une chose, l’exploitation agricole en est une autre. Il faudra, pour Solagro, se diversifier, notamment par la valorisation de la biomasse, et faire évoluer le schéma de l’exploitation traditionnelle vers des systèmes plus complexes, plus intégrés, avec des productions plus variées. « Ce n’est pas une vision d’écologistes adeptes de la décroissance, mais un scénario qui ne s’en tient pas aux seules considérations économiques : il est quantitatif, chiffré, responsable », conclut Christian Couturier.

L’AVIS DE  PIERRE MATHEVET  SUR CETTE ÉTUDE 

« UN SCÉNARIO IDÉALISÉ »

Ce type de travail prospectif est nécessaire pour notre profession. Les vétérinaires ont, hélas, trop souvent le nez dans le guidon, sans définir de plan stratégique de développement à cinq ans, or avoir une vision est fondamental pour un chef d’entreprise. Pour autant, il montre d’emblée ses limites. J’ai le sentiment que ses auteurs sont partis de ce qu’ils aimeraient voir en 2050 en matière de consommation, d’environnement, d’organisation de la production, et qu’ils ont construit un scénario pour y parvenir. L’étude de FranceAgriMer, en 20151, avec quatre scénarios, proposait un spectre de possibilités plus large, propre à laisser la place à la décision. Il était certes restreint à la filière lait, mais il intégrait les aspects politiques et financiers. Que feront les agriculteurs si les cours mondiaux s’effondrent durablement ?
Ce scénario me semble être élaboré selon une vision hexagonale, hors des réalités de l’économie mondiale : une sécheresse en Australie influe sur le cours du lait en France, l’autosuffisance en lait et en viande ne sera peut-être jamais atteinte en Chine ou en Inde ! Hors de considérations politiques également : quelles seront les décisions prises à l’échelon national, quelle sera l’Europe de demain, quels seront les flux mondiaux et comment seront-ils gérés par l’Organisation mondiale du commerce en 2050 ? Quelles seront les règles de subventions de cette agriculture, car le rapport prévoit la nécessité d’un fonds de financement sans en préciser les contributeurs ?
Afterres 2050 est empreint d’idéalisme. Les biocarburants auront-ils une place aussi significative dans l’énergie en 2050 ? La pression sociétale invoquée pour une réduction de la consommation de lait et de viande, pour la généralisation des circuits courts et de la production bio, n’a-t-elle pas ses limites quand le porte-monnaie commande l’achat ? Peut-on penser que les races mixtes seront la norme ? Je n’y crois pas, même s’il faudra, bien sûr, limiter les intrants dans l’exploitation.

À trois ans, on est déjà à peu près sûr de se tromper…
Certes, il s’agit de prospective, pas de prédiction. Mais si, pour la profession vétérinaire rurale, la tendance est à la diminution radicale du cheptel bovin, quel en sera l’impact sur son avenir ? Moins de vétérinaires ruraux ? Soit les éleveurs auront les ressources pour faire soigner leurs vaches, soit il deviendra nécessaire pour les pouvoirs publics de gérer le risque sanitaire. Le scénario proposé par Solagro est sans doute le fruit d’un énorme travail de modélisation, qui présente le mérite de poser les termes d’un débat dont il faut constamment se nourrir. Mais il est fragilisé par trop d’incertitudes et par une complexité des paramètres. On est déjà à peu près sûr de se tromper à trois ans ! Alors, à l’horizon 2050…

1 http://bit.ly/2cTwieO.

L’AVIS DE  LAURENT PERRIN  

« ÉVITER LES RUPTURES »

La démarche de Solagro présente l’intérêt de prendre en compte l’évolution souhaitée de la consommation humaine en France. On ne peut pas faire une telle projection sans changer ce référentiel. En revanche, la dimensionéconomique de cette étude me semble en retrait. Évoquer l’avenir des éleveurs à 35 ans suppose qu’il y en ait encore ! Il faut y travailler dès maintenant. Aujourd’hui, avec une forte productivité, nous n’avons pas de prix de marché qui permettent aux agriculteurs de vivre : que feront-ils s’ils doivent produire moitié moins ? Qui paiera ? Le consommateur, l’État et les productions labellisées, plus chères, ne devront-elles pas trouver des consommateurs pour les acheter ? Quant à la méthanisation, elle profite d’un effet d’aubaine, toute subventionnée qu’elle est avec une énergie payée plus cher qu’elle ne vaut. Je crains qu’un tel scénario ne permette pas d’avoir les moyens de ses ambitions. Un accompagnement politique et financier sera nécessaire pour assurer cette transition.
En ce qui concerne les vétérinaires, il faudra d’abord éviter, si l’on veut assurer le maillage sanitaire, qu’ils ne désertent les campagnes. Tout comme les éleveurs, ils sont perturbés par le manque de visibilité de leur profession. Ils devinent simplement que leur façon de travailler ne sera plus la même. Ils se tourneront vers des activités qu’ils ont abandonnées (alimentation, reproduction, parage) ; ils en conquerront d’autres (hygiène alimentaire, production agroalimentaire, démarche qualité, bien-être animal, etc.). Ils feront évoluer leurs rapports avec les éleveurs vers la contractualisation, bref, ils s’adapteront. Chacun, éleveur comme vétérinaire, jouera son rôle, différemment d’aujourd’hui. Il convient surtout de prendre garde que la transition de leur métier ne se fasse sans rupture.

L’AVIS DE  GÉRARD BOSQUET 

« LES VÉTÉRINAIRES S’ADAPTERONT »

Le scénario Afterres 2050 de Solagro est modélisé à partir de postulats dont on peut discuter. Il mélange les bonnes questions et les positions radicales. Sans doute faudra-t-il davantage de modération dans la consommation et dans la production, mais de là à se projeter aussi loin ! Quel scénario a anticipé sur l’embargo russe il y a trois ans, ou sur le Brexit du Royaume-Uni ? Je suis également circonspect sur la diversification des activités des agriculteurs. Les pouvoirs publics accompagneront-ils financièrement et politiquement cette évolution ? Tellement de rendez-vous ont déjà été manqués, par exemple sur l’aménagement du territoire !
Je suis plus serein concernant l’avenir de la profession vétérinaire en rurale. La diminution de l’activité liée à celle, vraisemblable, du cheptel bovin, sera compensée par le développement d’autres. Les contrôles de performances, le progrès génétique, par exemple, auront beaucoup moins de raisons d’être. Les praticiens ruraux, probablement beaucoup moins nombreux, intégreront d’autres services. Ils s’inséreront en amont sur l’alimentation (choix culturaux, entre autres), seront présents sur le bien-être animal et développeront le conseil sur la sécurité sanitaire, les circuits courts, la qualité des aliments, etc. Cela ne sera plus le même métier, mais il en est ainsi depuis un siècle.

L’AVIS DE  LAURENT FAGET 

« NOUS PROFESSIONNALISER DANS NOTRE GESTION D’ENTREPRISE »

Nous devons résoudre une problématique de pays riches. Un tel scénario ne pourra que conduire à la réduction du nombre de confrères qui se destineront à la rurale. Encore que ! Les néoruraux ont de plus en plus de nouveaux animaux de loisir, comme les poules ou les chèvres de jardin, qu’ils soigneront comme leurs animaux de compagnie plus classiques. De plus, les vétérinaires verront s’ouvrir devant eux de nouveaux horizons. La valorisation des systèmes fourragers par la méthanisation, selon un principe de fonctionnement proche du rumen artificiel, constitue une niche dans laquelle ils doivent pouvoir se positionner. De même en matière d’optimisation alimentaire, où ils pourront faire valoir leurs connaissances en agropastoralisme (gestion du pâturage) et en hygiène alimentaire. En s’intégrant tout le long de cette filière, ils prodigueront leurs conseils pour valoriser les produits finis labellisés (fromages sous appellation d’origine contrôlée, bœuf de Bazas, agneau de l’Aveyron, etc.). Ils devront enfin être identifiés comme les référents en bien-être animal, en se plaçant au cœur du dispositif de l’élevage.
En zone rurale, les praticiens auront à se professionnaliser dans la gestion d’entreprise. Au sein d’un environnement de plus en plus technique, ils se répartiront en pôles de compétences (alimentation, reproduction, produits finis, sanitaire global, etc.) et travailleront en réseau dans de grandes structures exigeantes en matière de gouvernance. Ils devront dénicher de nouveaux relais de croissance. Par la valorisation, la proximité, la disponibilité, leur formation scientifique, il leur faudra apporter une valeur ajoutée qui justifiera la facturation du conseil. La concurrence avec d’autres prestataires non vétérinaires va s’accroître, et la bonne gestion de l’entreprise deviendra alors un avantage compétitif.
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