Origine sociale et économique : quelles influences sur les étudiants ? - La Semaine Vétérinaire n° 1685 du 31/08/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1685 du 31/08/2016

DOSSIER

Auteur(s) : DOSSIER REALISÉ PAR CHANTAL BÉRAUD  

Comme dans toutes les autres grandes écoles impliquant des études longues et coûteuses, une partie des étudiants vétérinaires présentent un profil socioéconomique plutôt “privilégié”. Pourtant, une thèse de 2013 révèle qu’il existe aussi une minorité cachée, confrontée à divers problèmes : financiers, de santé et psychologiques.

En 2013, Aurore Cadinot, élève à l’École nationale vétérinaire d’Alfort (ENVA), consacrait sa thèse à la « situation financière , sociale des étudiants de l’ENVA, ses répercussions sur les études et sur les premiers pas de la vie active ». À sa connaissance, aucun travail antérieur de recherche spécifique aux étudiants vétérinaires n’avait jamais été réalisé. Comment cette idée lui est-elle venue ? « Inspirée par ma situation personnelle, j’ai évoqué ces thèmes avec d’autres élèves, me rendant compte que c’était des sujets dont ils parlaient. Il faut dire que durant mon cursus, différents changements d’importance sont intervenus. Par exemple, les frais de scolarité ont significativement augmenté, passant de 1 100 à 2 000 € annuels. On s’est aussi vu imposer de réaliser un stage à l’international. J’ai alors constaté que plusieurs élèves bénéficiaient d’aides d’urgence. »

L’initiative de sa recherche a d’ailleurs le mérite d’intervenir à point nommé : « Quand j’ai contacté Catherine Colmin, maître de conférences à l’ENVA (aujourd’hui directrice des études et de la vie étudiante), elle m’a orientée sur Jean-Jacques Bénet, mon directeur de thèse. Ils ont été enthousiastes. Car l’école venait de créer en 2011 une commission d’aide aux étudiants en difficulté, alors dotée d’un fonds de 20 000 € par année civile. Mon projet pouvait donc les aider à mieux cerner leur mission. »

Entre petits boulots, emprunts et aides diverses

Outre les bourses sur critères sociaux, l’aide personnalisée au logement (APL), les aides d’urgence de l’ENVA, Aurore Cadinot a noté les autres moyens utilisés pour joindre les deux bouts : une participation restreinte aux soirées étudiantes payantes, le fait de loger plus souvent et plus longtemps en résidence universitaire, l’exercice de petits boulots (30 % des élèves), une moindre poursuite d’internat et de spécialisation. La thèse dénombre aussi que « 7 % des étudiants ont dû emprunter de l’argent à une banque ou à un autre organisme et 30 % ont demandé une aide exceptionnelle à leur famille ou à leurs amis (26 %) ou à des associations d’entraide, vétérinaires ou non ». Elle note aussi que, parmi les 19 qui ont recouru à un emprunt, « pour huit étudiants, la somme reste inférieure à 5 000 €, quatre ont emprunté des sommes supérieures à 15 000 €, dont deux, 30 000 ». Pour que cela ne nuise pas aux résultats scolaires, un délicat équilibre serait d’ailleurs à trouver entre l’apport d’une activité rémunérée et le recours à l’emprunt, sachant en outre que « les étudiants en 4 e et en 5 e années ne disposent plus d’une liberté suffisante pour pouvoir s’y consacrer facilement ».

Une minorité cachée

La thèse a surtout rendu visible ce qu’Aurore Cadinot dénomme « une minorité cachée en difficulté pour des motifs divers, représentant de 10 à 20 % des effectifs ». Les personnes les plus fragiles ne sont pas systématiquement les boursiers mais « celles qui souffrent d’un rejet de demande de bourse ou d’un non-renouvellement, celles qui ne bénéficient d’aucune aide parentale ou familiale ou celles qui rencontrent divers autres problèmes. J’ai, par exemple, été surprise de constater que des parents de plusieurs élèves déclaraient plus d’une année de chômage au cours des cinq dernières années ».

Que lui ont exposé ces étudiants lors des entretiens personnels ? « Ils exprimaient un mal-être, des fatigues physiques et/ou psychologiques. » Se sentaient-ils alors “repérés” ou aidés par la direction ? « Plusieurs m’ont dit avoir raté leurs partiels, accumulé les rattrapages, sans que personne ne soit venu les voir. À l’époque s’exprimait vraiment un besoin non satisfait. »

L’avis du directeur de l’ENVA

« Cette thèse est une photographie d’une situation antérieure à ma prise de fonction, en septembre 2012, commente Marc Gogny, directeur de l’ENVA. Même si l’école a toujours été attentive aux élèves en difficulté, nous avons depuis amélioré et systématisé cette pratique. Notre politique préventive passe par de l’information, disponible notamment sur notre plateforme de cours en ligne (dans l’espace d’information). Certains élèves connaissent en effet des difficultés, en cas d’éloignement géographique, mais aussi lors de rupture affective familiale, un domaine où il est souvent malheureusement complexe d’apporter des solutions… Pour les problèmes d’ordre médical de santé, nous sommes partenaires du dispositif national “C’est pas une option” 1 , conjointement avec le Cercle des élèves. Par exemple, un étudiant véto, dans sa propre vie, n’est parfois pas plus sensibilisé qu’un autre aux maladies sexuellement transmissibles (MST) ! Pour le volet psychologique (anorexie, dépression, alcool, drogues), nous sommes aussi en rapport avec la médecine préventive du service universitaire. »

Comment sont désormais repérées les situations à risque ? « Comme nous gérons directement nos résidences étudiantes, nous connaissons tant le quotient familial que la situation géographique de chaque élève. Depuis 2014, chaque “1 re année” est affecté à un enseignant-chercheur tuteur (souvent père ou mère de famille) chargé de le suivre durant toutes ses études, notamment dans l’aménagement de son projet professionnel. Bien sûr, selon les personnalités, ces binômes fonctionnent plus ou moins bien, certaines personnes même en grande difficulté ne se confiant parfois jamais. Enfin, à chaque rentrée, je m’adresse à toutes les promos pour leur rappeler qu’un élève peut venir nous signaler en toute confidentialité un problème qu’il aurait constaté concernant un camarade. Nous avons déjà reçu des signalements, y compris pour des faits survenus à l’extérieur de l’établissement, donc ça fonctionne. »

Par ailleurs, un rendez-vous peut être pris en urgence auprès d’une psychologue qui consulte régulièrement à l’ENVA. « Lorsque les maladies n’excèdent pas une quinzaine de jours d’absence, c’est gérable. En revanche, une hospitalisation pour anorexie de trois mois hors de l’école nécessite malheureusement un redoublement. Ce sont les problèmes financiers qui sont finalement les plus faciles à régler ! Mais certains étudiants ont parfois un peu trop peur de l’emprunt. Pour celui qui détient un contrat de travail important à l’extérieur, l’école pourrait aménager son cursus scolaire préventivement, de manière à ce que l’étudiant valide, par exemple, l’ensemble de ses unités de compétences sur une année supplémentaire. Mais une telle demande n’a, pour l’heure, jamais été formulée. »

1 Voir www.cpas1option.com.

Ce qu’en disent les directions des trois autres écoles vétérinaires

« Entre 2008 et 2010, l’école avait quelque 30 % d’étudiants boursiers. Nous aidons ceux qui ont reçu un refus de bourse à formuler une demande en recours, car cela fonctionne parfois. D’autres problèmes surviennent ponctuellement, comme une voiture cassée, une dette auprès du Crous 1 … Ce n’est pas fréquent, mais il arrive aussi que des parents ne veulent plus assurer financièrement leurs enfants. En fonction des différents cas, nous disposons d’un panel d’actions possibles, comme solliciter une aide d’urgence auprès du ministère de l’Agriculture, des associations d’entraide vétérinaires, de la Dotation Catherine-Fleury, ou même auprès du fonds social de l’Ordre. L’Association des anciens élèves et amis de l’École nationale vétérinaire de Lyon peut aussi apporter un soutien, par exemple dans le cadre d’un stage. Mais, à chaque fois, nous demandons des dossiers très argumentés. Les étudiants sont mis au courant de ces possibilités dès qu’ils rentrent à l’école, en complément de leur dossier d’inscription ».

Par ailleurs, l’école conclut aussi entre 60 et 70 contrats de travail par an (pour un maximum de 30 heures par mois, à 10 € l’heure), financés à 50 % par la région Rhône-Alpes, correspondant à des jobs offerts sur le campus. « Lors des entretiens d’embauche, les responsables (de la bibliothèque, des hôpitaux, etc.) prennent aussi en compte les critères sociaux pour cette attribution, même si ces petits jobs sont ouverts à tous. Environ la moitié des étudiants travaillent également à l’extérieur : cours à domicile, babysitting, etc. Mais tout élève qui rencontre des baisses dans ses performances scolaires est convoqué et il existe un enseignant référent par étudiant. »

L’école signale par ailleurs qu’une thèse de doctorat récente de Sylvain Dernat2, étudiant en sciences sociales et humaines, montre qu’il n’y aurait a priori pas de lien entre l’origine socioéconomique de l’étudiant et le fait de se destiner ou non à la rurale.

1 Centre régional des œuvres universitaires et scolaires.

2 « Choix de carrière dans l’enseignement vétérinaire et attractivité des territoires ruraux ; le facteur spatial dans les représentations socioprofessionnelles des étudiants ». Thèse de doctorat de sciences de l’éducation et géographie sociale, avril 2016.

« L’ENVT compte actuellement environ 40 % d’étudiants boursiers, exonérés de droits de scolarité, dont une proportion importante à taux zéro est issue de familles monoparentales. Quand de l’absentéisme ou une chute des résultats sont constatés, des rencontres sont systématiquement proposées, en collaboration si nécessaire avec la médecine préventive ou avec une assistante sociale. Dernièrement, sur 650 étudiants, seuls six cas ont nécessité un accompagnement fort, en raison de problèmes médicaux pouvant conduire à un aménagement des études. »

Concernant l’orientation professionnelle, « ce sont les stages qui déterminent le plus les choix. La situation économique de l’étudiant peut cependant le conduire à privilégier un stage à proximité de sa famille ». Par ailleurs, l’école veille à « ne pas changer les plannings de formation prévus en début d’année, afin que les étudiants puissent s’engager s’ils le souhaitent dans de petits jobs à l’extérieur ». Chaque année, l’école propose aussi à une vingtaine d’étudiants des emplois à temps partiel sur le campus, en donnant une priorité aux boursiers (pour une somme maximale d’environ 500 € par mois). Le niveau d’aide parentale n’est pas connu, pas plus que celui des emprunts contractés mais l’Association des anciens élèves et amis de l’École nationale vétérinaire de Toulouse consent aussi quelquefois des prêts à taux zéro sur l’honneur, pour quelques milliers d’euros. La directrice est aussi à l’écoute des étudiants au travers d’une initiative originale qu’elle a mise en place : « Je tiens une fois par mois table ouverte au restaurant universitaire. Vient me voir qui veut, je ne demande pas les noms… Tous les sujets peuvent être abordés. » Quand des problèmes surviennent, l’école aurait donc souvent les moyens de les repérer et de les traiter avec des outils efficaces, « ce qui est vraisemblablement moins évident pour des universités aux effectifs plus importants », estime la directrice.

« Entre 2005 et 2007, pour contrebalancer le passage de un à deux ans de classes préparatoires, et baisser ainsi la lourdeur financière, la durée des études en école vétérinaire a été réduite à quatre ans, mais, dès 2007, elle a dû être à nouveau ramenée à cinq ans car la formation d’un vétérinaire nécessite un solide bagage tant théorique que pratique. D’ailleurs, après leurs prépas, les étudiants de 1 re ou de 2 e année qui aimeraient souffler un peu ne le peuvent pas, tant le socle fondamental à acquérir est important. » Cela pose parfois problème et, chaque année, une poignée d’étudiants ont du mal à maintenir le rythme, certains étant dépressifs ou anorexiques. « Certes, nous avons aussi quelques élèves qui traversent des difficultés notamment financières , mais je considère que le mal-être psychologique, les conduites addictives sont des sujets encore plus préoccupants, sur lesquels le ministère nous incite d’ailleurs à agir de manière préventive. Pour repérer les étudiants en souffrance, nous en parlons aux représentants des étudiants (notamment ceux qui composent les jurys lors des rattrapages de septembre), convoquons les élèves qui sont trop souvent absents ou ceux qui sollicitent des aides d’urgence en cours d’année. Mais il peut toujours y avoir des personnes qui s’isolent complètement ou qui ont des problèmes malgré leur réussite académique.

Au final, nous disposons de quelques informations, encore insuffisamment exploitées, sur ces questions. Il serait intéressant que de telles données servent de base à des travaux de recherche ouverts à différentes disciplines, notamment au secteur médicosocial. »

Enfin, Caroline Lelaidier observe que les étudiants d’origine plus aisée, qui pratiquent l’équitation de loisirs, sont peut-être plus attirés que les autres vers une spécialisation équine.

Ce qu’en disent deux représentants des élèves

« L’adhésion au Cercle, à moitié prix pour les boursiers (soit 117 €), donne accès à 90 % des soirées festives de l’école, et ils sont prioritaires pour les chambres des résidences. Quant à la recherche de petits boulots, elle concerne la plupart des étudiants, qui ont envie d’indépendance vis-à-vis de leurs parents. Certains jobs ne nuisent pas du tout aux études, comme la garde d’animaux sur le campus. Tout dépend du volume d’heures qu’on y consacre… D’autant plus que les étudiants ont moins de temps libre depuis qu’en 2009 la réforme nous contraint à assister en amphithéâtre aux cours magistraux. Il me semble que les problèmes financiers concernent peut-être davantage le stage de mobilité à l’international, passé de trois à quatre semaines obligatoires. Je sais que certains étudiants diminuent les dépenses quand ils ont de la famille vivant juste aux frontières de la Belgique ou de la Suisse. Ils sélectionnent également des pays où la vie est moins chère ou des destinations avec peu ou pas de billet d’avion. Une autre astuce peut être de postuler aux bourses à idées proposées par certains laboratoires, de manière à se faire sponsoriser. »

« J’ai juste un ressenti sur ces questions, car nous ne savons heureusement pas qui est boursier ou non ! Il ne me semble pas que certains étudiants participent moins aux soirées festives pour des raisons financières. J’ai aussi des amis boursiers qui font partie de trois équipes sportives différentes. Par ailleurs, je sais qu’il est possible d’emprunter à taux zéro jusqu’à 1 200 € annuels auprès d’une banque. Lors des stages, certains professionnels aident parfois les étudiants en leur permettant, par exemple, de loger dans leur salle de garde. Je n’ai pas eu connaissance de cas d’étudiants qui traversaient des situations vraiment graves. Ce qu’il est important de maintenir, c’est une relation de confiance entre les élèves et l’administration de l’école. Cela suppose de leur part de la disponibilité, un dialogue libre et le respect de la confidentialité des informations reçues. »

“ Une minorité cachée, en difficulté pour divers motifs, souffre d’un mal-être, de fatigues physiques et/ou psychologiques. ”
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