Quelle place pour l’éthique dans l’enseignement vétérinaire ? - La Semaine Vétérinaire n° 1681 du 29/06/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1681 du 29/06/2016

DOSSIER

Auteur(s) : DOSSIER RÉALISÉ PAR NATHALIE DEVOS 

Intimement lié aux attentes sociétales, l’enseignement de l’éthique s’est développé, depuis une vingtaine d’années, dans les établissements vétérinaires. Toutefois, il montre des disparités entre les pays européens, sur le plan tant quantitatif que qualitatif.

Depuis les années 1990, les questions d’éthique et de bien-être animal sont devenues des sujets de préoccupation majeurs de la société. L’éthique vétérinaire s’est donc développée en même temps que les discours se multipliaient en faveur des animaux, pointant l’impact des actions de l’homme sur leur bien-être, notamment en matière d’expérimentation et d’élevage intensif. Cependant, les questions relatives au bien-être animal ne reflètent qu’une petite partie des sujets abordés par l’éthique vétérinaire, qui couvre des domaines bien plus vastes : la relation avec les clients, avec les collègues, l’euthanasie, les conflits d’intérêts, les problèmes de santé publique relatifs aux épizooties, à l’antibiorésistance, etc. Elle concerne tout vétérinaire, dans sa pratique au quotidien, quand il est amené à prendre des décisions pour la santé de l’animal qui lui est confié, dont certaines posent des dilemmes moraux. Le vétérinaire, considéré comme l’avocat des animaux, grâce à sa formation, doit en effet être capable d’y répondre. C’est ce que résume Mathilde Foltzer dans la thèse qu’elle a soutenue fin 20141. Des travaux dirigés par notre consœur Denise Remy, professeur à VetAgro Sup, à Lyon, et spécialisée en éthique.

Qu’est-ce que l’éthique ?

Mathilde Foltzer s’est d’abord attelée à définir l’éthique. Étymologiquement, le mot provient du latin ethica, dérivé du grec êthikos qui signifie “moral”, mais il recouvre différentes choses, en fonction des auteurs.

Après avoir comparé plusieurs définitions, Mathilde Foltzer résume l’éthique comme étant « une capacité de raisonnement, à la fois logique et moral, qui permet de prendre une décision éclairée, en tenant compte des différents enjeux moraux. C’est pourquoi on peut la considérer comme une recherche d’idéal de conduite ».

Appliquée à la médecine vétérinaire

Les spécialistes en la matière2 distinguent quatre branches dans le domaine vétérinaire :

- l’éthique vétérinaire descriptive, qui correspond aux valeurs et aux standards moraux des vétérinaires sur le terrain. Des enquêtes et des interviews sont menées pour observer et décrire comment les praticiens mettent en œuvre l’éthique au quotidien : il s’agit d’un domaine de recherche ;

- l’éthique vétérinaire officielle, dans laquelle les normes, les comportements et les valeurs de la profession sont déterminés par des organisations officielles vétérinaires, comme l’Ordre national, et sont imposés à l’ensemble de la profession, sous peine de sanctions, en cas de non-respect, pouvant mener à la radiation de l’Ordre ;

- l’éthique vétérinaire administrative, dont les règles sont définies légalement par le gouvernement qui contrôle l’exercice vétérinaire et dont la violation expose à des poursuites civiles ou pénales ;

- l’éthique vétérinaire normative, qui consiste en la réflexion éthique philosophique.

Historique dans les établissements vétérinaires européens

Depuis la prise de conscience de la nécessité d’un enseignement de l’éthique, plusieurs études ont été réalisées afin de dresser un état des lieux de ce qui était proposé dans les écoles vétérinaires, tout autour du monde, et d’en évaluer l’intérêt, explique l’auteur de la thèse. Et de rappeler quelques dates clés.

En 2001, le premier projet de grande envergure sur l’évaluation de l’enseignement de l’éthique en Europe, le projet Aristoteles3, voit le jour : une étude est menée dans les écoles vétérinaires et agronomiques de 17 pays européens. Elle révèle que la plupart des cours d’éthique sont récents, pour l’époque : 43 % d’entre eux ont été créés depuis 1997 et 15 % depuis 2000. La grande majorité des cours sont compris dans le cursus initial de formation et leur volume est très variable, allant de une à 320 heures, avec une moyenne de 25 heures (médiane de 10 heures). Seulement un quart des cours sont formalisés, les trois quarts sont des cours intégrés à d’autres matières et un quart des enseignants viennent d’autres établissements pour dispenser leurs connaissances. Ainsi, il existe souvent peu d’enseignants spécialisés en éthique et les écoles font fréquemment appel à des membres de la faculté de philosophie ou de littérature.

Sur le plan européen, la directive 2005/36/EC du Parlement, révisée fin 2013 (2013/55/UE), qui régit l’enseignement vétérinaire, aborde aussi l’éthique dans la section des sciences de base et prône un enseignement adéquat de ses principes et de la législation professionnelle. Elle préconise donc aussi un enseignement approprié pour la profession vétérinaire, sans entrer dans les détails.

En 2009, former à l’éthique n’était pas encore une priorité. Cependant, en 2011, lors de la 2e conférence sur l’enseignement vétérinaire de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE), la notion de bien-être animal est abordée de nouveau.

De cette conférence découlent les Recommandations de l’OIE sur les compétences minimales attendues des jeunes diplômés en médecine vétérinaire pour garantir la qualité des services vétérinaires nationaux.

En 2012, les compétences en éthique sont clairement évoquées et valorisées, ainsi qu’en 2013 les Lignes directrices de l’OIE sur le cursus de formation initiale vétérinaire.

Au niveau national, le dernier référentiel de cursus vétérinaire, élaboré par la Direction générale de l’enseignement et de la recherche, en 2008, aborde aussi ce sujet. Il est dit que l’étudiant doit respecter les règles du bien-être animal et de l’éthique, qu’il doit être conscient de ses responsabilités dans ce domaine et des enjeux du développement durable, sans toutefois préciser de quelle façon cette conduite doit être évoquée et enseignée dans le cursus.

État des lieux de l’enseignement de l’éthique

Denise Remy, professeur à VetAgro Sup, a réalisé un état des lieux (initié en 2010) de l’enseignement de l’éthique dans les établissements vétérinaires européens4, pour s’appuyer sur ce qui existait déjà avant d’introduire un enseignement formalisé de cette discipline à Lyon (interview page 35).

Protocole de l’enquête et résultats

Afin d’obtenir un contact avec tous les établissements d’enseignement vétérinaire en Europe, Denise Remy s’est basée sur la liste des membres de l’European Association of Establishments for Veterinary Education (EAEVE). Au total, ce sont 93 établissements de 33 pays européens qui ont été contactés.

Un questionnaire leur a été envoyé, portant sur les aspects pratiques de l’enseignement de l’éthique : le nombre d’heures, les matières proposées, le nombre de professeurs impliqués, leur formation et leur département d’enseignement, la répartition dans le cursus, les méthodes pédagogiques, l’évaluation, la présence de formation continue et de formations de 3e cycle. L’étude s’est aussi intéressée à l’évolution de l’enseignement de l’éthique – en quelle année il a été initié – et aux modifications intervenues ou prévues.

Le questionnaire s’est appuyé également sur la distinction entre un enseignement formalisé de l’éthique (c’est-à-dire entièrement consacré à l’éthique vétérinaire) et un enseignement intégré à d’autres matières (abordé via des cours sur l’élevage, le bien-être animal, la déontologie, la législation, etc.).

Les résultats font notamment apparaître (infographies ci-dessus) une profonde évolution dans l’enseignement de l’éthique depuis une vingtaine d’années, mais aussi qu’il est beaucoup plus développé et conduit de manière plus interactive en Europe du Nord que dans le reste de l’Europe (différences très significatives).

1 « Contribution à l’étude de l’enseignement de l’éthique dans les établissements d’enseignement vétérinaire européens ». Thèse soutenue par Mathilde Foltzer (VetAgro Sup) en décembre 2014 (prix de l’Ordre 2015).

2 Tannenbaum J. Veterinary ethics : animal welfare, client relations, competition and collegiality, 2nd édition, Mosby, St Louis, États-Unis, 615 pages.

3 Marie M., Edwards S., Borell E., Gandini G. (2003). Teaching animal bioethics in Europe : present situation and prospects, Stocarstvo, 57, pages 291-296.

4 Enquête réalisée par Denise Remy et coll., présentée à l’occasion du dernier congrès du Collège européen d’éthique. Remy D., Chalvet-Monfray K., Rollin B., Borry P. The teaching of ethics, a means to maximize the impact of ethics in practice : a survey in European veterinary education. AWSELVA-ECAWBM conference 2015.

Remerciements à Denise Remy pour son aimable participation et son aide dans la réalisation de ce dossier.

ENTRETIEN AVEC  DENISE REMY 

« VETAGRO SUP, PIONNIÈRE DANS UN ENSEIGNEMENT IDENTIFIÉ DE L’ÉTHIQUE PROFESSIONNELLE »

L’école de Lyon se distingue dans le paysage vétérinaire pour la formation à l’éthique. Denise Remy enseigne cette matière. Comment est enseigné l’éthique à VetAgro Sup ?
Cet enseignement est formalisé et référencé, depuis 2011, à VetAgro Sup, sous forme de modules. Il commence dès la 2e année et s’étale sur tout le reste du cursus. Il répond à des objectifs pédagogiques bien définis et fait l’objet d’une évaluation des compétences acquises.
Le module de 2e année comporte 10 heures de cours et 10 heures de travaux dirigés par étudiant. L’enseignement en 3e année se fait en clinique, autour de cas, et va monter en puissance l’année prochaine. En 4e et 5e années, les étudiants bénéficient de séminaires au cours desquels je leur présente des cas concrets d’éthique professionnelle, pour les préparer à leur exercice futur.
L’enseignement est vivant, interactif, ancré dans le réel (il comporte des jeux de rôle qui obligent l’étudiant à se mettre dans la peau du praticien).
Le but est l’acquisition de
compétences directement mobilisables au quotidien.

Pourquoi, selon vous, un tel enseignement formalisé n’existe-t-il qu’à Lyon ?
Le fait que tous les aspects liés à l’éthique soient regroupés dans des modules déclinés sur l’ensemble du cursus intègre cette notion comme une matière en tant que telle et renforce, par conséquent, son importance aux yeux des étudiants. Ils saisissent ce qu’est l’éthique – qui risquerait, sinon, de rester pour eux une notion vague, qu’ils auraient tendance à assimiler à de la déontologie professionnelle –, ils comprennent qu’elle est un pilier de l’exercice professionnel et une condition de la réussite.
Bien sûr, dans les autres écoles vétérinaires françaises, la notion d’éthique est prise en compte dans l’enseignement global, mais elle est dispersée au sein de plusieurs matières : zootechnie (bien-être animal), santé animale, disciplines cliniques, enseignement sur les animaux de laboratoire, etc.
Cela tient sûrement au fait qu’il n’y a pas d’enseignant spécialisé dans ce domaine. Pour ma part, je me suis particulièrement investie professionnellement et personnellement pour me spécialiser : je me suis formée à l’étranger en 2008 et en 2009 afin d’obtenir un master européen de bioéthique. Il serait possible de faire appel à d’autres universitaires, à des philosophes, non vétérinaires, pour enseigner l’éthique, mais le risque est que les étudiants n’en voient pas l’intérêt et soient démotivés, ce qui serait contre-productif.
En effet, la plupart seront rebutés par l’exposé de théories philosophiques complexes, alors que l’étude de cas concrets, directement issus de la pratique vétérinaire, la mise en scène de confrontations ou de situations de communication difficile en clinique, sous forme de jeux de rôle, sont particulièrement adaptées à nos étudiants.
Certes, je leur enseigne également les bases théoriques, philosophiques, mais sous forme simplifiée, adaptée et amplement illustrée.


L’éthique concerne tout vétérinaire quand il est amené à prendre des décisions pour la santé de l’animal, dont certaines posent des dilemmes moraux.
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