Pourquoi l’éthique est-elle indispensable en médecine vétérinaire ?

Dans sa thèse¹ soutenue en décembre 2014, intitulée « Contribution à l’étude de l’enseignement de l’éthique dans les établissements d’enseignement vétérinaire européens », dirigée par Denise Remy, et qui a reçu le prix de l’Ordre des vétérinaires 2015, notre jeune consœur Mathilde Foltzer a consacré une partie de son travail à la question du caractère indispensable de l’éthique en médecine vétérinaire.

Certaines situations pratiques amènent des conflits moraux sur la conduite à tenir au quotidien en tant que praticien. Quels éléments permettent d’affirmer que l’enseignement de l’éthique est indispensable en médecine vétérinaire ? L’auteur de la thèse nous éclaire sur ce point.

L’importance des dilemmes éthiques en médecine vétérinaire

Une étude² a été réalisée au Royaume-Uni sur la fréquence des dilemmes éthiques perçus par des vétérinaires praticiens au quotidien et le degré de stress induit. Sur les 58 praticiens interrogés, plus de la moitié (57 %) affirment être confrontés à un ou deux dilemmes éthiques par semaine, et un tiers (34 %) à trois à cinq par semaine. Ainsi, plus de neuf vétérinaires sur 10 en font l’expérience au moins une fois par semaine. Les trois scénarios choisis par les auteurs de l’étude et décrits dans le questionnaire (euthanasie de convenance, soins non indispensables réclamés par le propriétaire alors que l’animal est dans un état critique et refus par le propriétaire de payer des soins adéquats) ont tous été jugés très stressants par les vétérinaires, avec des scores, respectivement, de 7, 8 et 9 sur 10.

Le problème fondamental en médecine vétérinaire

Le philosophe Bernard Rollin a déterminé et qualifié le problème dit fondamental en médecine vétérinaire. Selon l’auteur de travaux mondialement connus en éthique vétérinaire, ce dernier correspond à la question suivante : le praticien doit-il prendre en compte en priorité les intérêts du client ou ceux de l’animal ? Ces intérêts étant parfois contradictoires, il en résulte un difficile conflit de loyauté entre le propriétaire, qui décide et qui paye, et l’animal, qui subit, sans pouvoir s’exprimer, et dont le vétérinaire est responsable du bien-être. C’est particulièrement le cas en pratique de l’euthanasie dite de convenance (animal devenu encombrant ou mal éduqué qui constitue un poids pour le propriétaire). C’est ainsi que l’auteur décrit deux points de vue diamétralement opposés : celui du vétérinaire vu comme un « mécanicien dans un garage » et celui du praticien considéré comme un « pédiatre ». Heureusement, selon l’étude, 90 % des vétérinaires exerçant auprès d’animaux de compagnie se voient davantage comme des pédiatres.

Selon Jerrold Tannenbaum³, auteur du tout premier ouvrage de référence en médecine vétérinaire, le praticien est celui qui doit concilier les intérêts des deux parties. Chaque situation pratique est donc à évaluer et à juger au cas par cas.

Le rôle clé des vétérinaires

Mathilde Foltzer explicite ce dernier point dans sa thèse : « En tant qu’avocat des animaux, le vétérinaire est aussi le garant du respect de l’éthique animale et doit être le porte-parole de la cause animale. J. Tannenbaum insiste sur la valorisation des compétences professionnelles vétérinaires en bien-être animal : le vétérinaire se doit donc d’être l’initiateur de réformes dans ce domaine en constante évolution. Il a ainsi un rôle primordial à jouer dans la création et l’élaboration des lois sur le bien-être animal.

Selon P. Buccau, il doit s’impliquer pour limiter les dérives et les abus de la société, et lui rappeler ses valeurs morales. Ainsi, “ quand des intérêts politiques et économiques entrent en jeu, le vétérinaire se doit plus que jamais d’être sur le devant de la scène pour faire entendre la voix des animaux et rappeler l’éthique aux hommes ”.

De la même façon, M. Fentener van Vlissingen explique que la profession a longtemps été un suiveur dans les politiques relatives à son domaine de compétence. Elle soutient que celle-ci devrait prendre conscience de l’importance de son point de vue dans les problèmes sociétaux comme l’expérimentation animale et les nouvelles technologies .

P. Arkow renchérit sur le rôle de leadership du vétérinaire que ce dernier doit assumer. Selon lui, il doit prendre posi tion et s’impliquer plus activement dans les débats de société, plutôt que se contenter de répondre défensivement aux activistes extrémistes. De par son savoir, le vétérinaire doit porter un regard éclairé et objectif sur les polémiques actuelles. Il a ainsi un rôle d’éducation du public et doit opposer son point de vue rationnel et scientifique aux attaques des activistes extrémistes qui jouent sur l’émotion des gens. »
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¹ Voir pages 32 à 37 de ce numéro.

² Batchelor C. E., McKeegan D. E. Survey of the frequency and perceived stressfulness of ethical dilemmas encountered in UK veterinary practice. Vet. Rec. 2012;170:19.

³Tannenbaum J. Veterinary medical ethics : a focus of conflicting interests. J. Soc. Issues. 1993;49:143-156.

Pour en savoir plus :

- Remy D. L’éthique professionnelle inclut-elle la vie privée du vétérinaire ? Point Vét. 2016;362:54-58.

- Remy D. Est-ce éthique pour un vétérinaire de pratiquer la chasse aux grands fauves ? Point Vét. 2016;362:60-64.