Complémentaire santé : un système complexe et décevant - La Semaine Vétérinaire n° 1674 du 13/05/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1674 du 13/05/2016

Réforme

ACTU

Auteur(s) : Propos recueillis par Clarisse Burger

La généralisation de la complémentaire santé collective dans les entreprises du secteur privé pourrait se montrer, à l’avenir, peu efficace pour les assurés, avec un système de garanties et de frais de gestion qui s’avère opaque.

Depuis le 1er janvier 2016, les entreprises du secteur privé ont l’obligation de proposer une couverture complémentaire santé collective à leurs salariés, qu’elles cofinanceront à hauteur d’au moins 50 % (en complément des garanties de base d’assurance maladie de la Sécurité sociale). L’objectif initial de l’État est de réduire les dépenses de santé et d’améliorer l’accès aux soins de tous les Français (loi du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi).Toutefois, ces nouveaux contrats collectifs garantissent un panier minimal de soins et disposent de plafonds de remboursement.

On assiste aujourd’hui à un phénomène de régression et de démutualisation. Le système actuel de couverture complémentaire avec une gestion du risque se révèle peu efficace. Le point avec Frédéric Bizard, économiste, spécialiste des questions sociales de santé, professeur à Sciences Po et docteur vétérinaire (A 91), auteur de l’ouvrage Complémentaires santé : le scandale ! (Dunod, 2016).

Depuis le 1er janvier 2016, les entreprises du secteur privé doivent proposer à tous leurs salariés une couverture complémentaire santé collective. Quel constat peut-on faire à l’heure actuelle ?

Frédéric Bizard : Ce qui était prévisible est en train d’arriver : nous assistons à l’affaiblissement de la couverture risque santé des assurés. Cela va entraîner le passage, pour quelque 3,5 millions de salariés (400 000 salariés n’avaient pas de complémentaire santé), de contrats de mutuelle individuels vers des contrats collectifs auxquels il y a maintenant obligation de souscrire.

J’ai rapidement dénoncé une généralisation de ces contrats collectifs par le bas. Ce sont des contrats dits “tickets modérateurs”, offrant une couverture minimum (avec un panier minimum de soins garanti). En fait, ils ne servent à rien. Il n’y a aucune protection réelle du risque financier pour les assurés. Cela revient juste à faire régler de petites sommes par votre assureur, ce qui augmente les coûts. Avec ces nouveaux contrats, tout soin coûteux sera en grande partie payé en direct par les assurés, s’ils en sont capables.

Avec cette généralisation de la couverture santé à l’ensemble des salariés, la protection sociale complémentaire des Français devait être meilleure. Or, en réalité, les systèmes d’assurance complémentaire santé à options proposés aux assurés sont beaucoup plus coûteux qu’un contrat classique, sans parler du casse-tête administratif si vous avez deux assureurs différents entre le contrat de base et l’option. Et assez peu de Français vont pouvoir se payer des options. Ce système de sur-complémentaire est un leurre pour riches.

Sommes-nous en train de perdre notre esprit mutualiste ?

F. B. : Historiquement, le système mutualiste privé a été pionnier dans la couverture du risque santé en France. En 1945, on lui a donné un rôle restreint de complémentaire. L’arrivée des contrats collectifs a été une première brèche dans cette mutualisation puisqu’on a fait l’erreur de séparer deux populations – les actifs salariés et les autres citoyens –, ce qui a affaibli le système pour ceux qui en ont le plus besoin, les inactifs, en particulier les retraités. La famille des contrats collectifs protégeait mieux. Mutualiser sur des actifs bien portants en général (avec moins de risques), entre les salariés et l’entreprise, offrait le meilleur rapport qualité-prix : deux fois moins cher pour une couverture deux fois meilleure.

Avec les nouveaux contrats responsables, qui plafonnent le remboursement des consultations médicales, l’État va étendre le renoncement aux soins à ces dernières. 96 % des Français ont déjà une couverture de complémentaire santé sous cette forme de contrat (avec une fiscalité avantageuse, NDLR).

Ce système de contrats collectifs sera-t-il efficace ? Va-t-il pénaliser davantage de Français ?

F. B. : C’est un système perdant sur toute la ligne. Ces contrats bas de gamme, avec un panier de soins de mauvaise qualité, vont se généraliser et le coût de protection va être transféré vers le salarié, avec un système d’options qui sont des contrats individuels supportés à 100 % par le salarié. Celui-ci ne favorise pas l’accès aux soins, et il est en réalité inflationniste. Ce qui veut dire qu’il va engendrer davantage de soins et de coûts. C’est ce que l’on peut voir dans les premiers résultats de la mise en place du dispositif de la généralisation des contrats collectifs. Les contrats les plus souscrits sont, à ce jour, les plus bas de gamme, ne protégeant pas l’assuré. Le renoncement aux soins des Français pour des raisons financières s’étend (près 15 % de la population). Plafonné et encadré, le contrat responsable ne rembourse plus les soins dispensés par les médecins du secteur 2. Malgré le fait que la complémentaire santé se soit étendue de 70 à 95 % de la population en 20 ans, ce qui aurait dû faire baisser sensiblement leur coût, les primes n’ont cessé d’augmenter (+ 5 % par an depuis 2000), tout en remboursant de moins en moins bien. Des primes plus chères et un reste à charge plus élevé entraînent inévitablement des renoncements aux soins.

Qui est gagnant, aujourd’hui, dans cette généralisation de la couverture santé ?

F. B. : Les grands vainqueurs, ce sont les organismes d’assurances complémentaires santé, qui évoluent dans un univers faussement transparent et non régulé. L’assuré n’a pas les moyens de comparer les tarifs des diverses offres, le plus souvent illisibles, avec un système de garanties incompréhensibles pour le quidam (des pourcentages de remboursement sont donnés sur une base inconnue). On trompe ainsi les assurés. Le système de financement des complémentaires santé est devenu coûteux et inefficace. De plus, un marché de rente, renforcé par des règlements élaborés en dépit du bon sens, s’offre aujourd’hui à ces opérateurs assureurs.

Je reproche au secteur de l’assurance et de la prévoyance la hausse des tarifs, orchestrée depuis plusieurs années, et le maintien d’un système opaque dans un contexte de crise économique et de difficultés financières pour des millions de Français, lui permettant de renforcer sa rente de situation. Mais les frais de gestion et les tarifs des contrats continuent d’augmenter, ce qui entraîne une hausse des primes et accélère ainsi la désolvabilisation de la classe moyenne. J’y vois là une double cause : la souscription à un contrat qui ne servira à rien et la hausse des primes excluant, à l’avenir, des assurés du système de santé.

Quelles seraient les solutions à cette situation ?

F. B. : L’union fait la force. Il faut être capable de se regrouper et de lancer un appel d’offres pour pouvoir négocier les contrats avec les assureurs. Ce que peuvent entreprendre les professions libérales, par exemple. La mairie de Caumont-sur-Durance, près d’Avignon, a ainsi créé, en 2014, la première mutuelle de village, en regroupant des experts. Si les entreprises ne sont pas forcément démunies, nous avons toutefois laissé se développer un marché tellement opaque que seuls les opérateurs assureurs maîtrisent la mécanique des contrats. Les assurés vont prendre conscience du coût élevé de leur couverture santé et le succès escompté de ces sur-complémentaires n’aura pas lieu. Les soins qui ne sont pas nécessaires seront alors repoussés. Aujourd’hui, nous n’avons personne pour réguler ce marché de l’assurance complémentaire privée, qui représente près de 35 milliards d’euros. C’est la jungle. Il convient de demander aux pouvoirs publics de le faire, c’est leur rôle. Nous ne les avons peut-être pas non plus suffisamment éclairés, ce auquel je m’attache depuis quelque temps.

Le système de santé doit donc être réformé ?

F. B. : Notre système de santé est à bout de souffle, non pas parce qu’il est mauvais, mais parce qu’il n’a pas été adapté aux enjeux démographiques, épidémiologiques et technologiques du nouveau monde. Il existe une concentration croissante des remboursements de l’assurance maladie sur de moins en moins d’assurés, ceux qui souffrent des affections de longue durée (66 % aujourd’hui, 80 % en 2025), ce qui fait baisser le taux de couverture public sur les soins courants sans que cela soit anticipé. Notre système est aussi à bout de souffle sur un plan organisationnel, alors que nous allons assister à une explosion des maladies chroniques de plus en plus coûteuses. Il faut réformer notre système de santé, en gardant les fondamentaux : liberté des patients dans le choix des professionnels, égalité de prise en charge pour tous, solidarité du financement. Nous avons l’espoir de changer le système de santé. Témoin, la proposition de loi pour l’avenir de notre système de soins, enregistrée à l’Assemblée nationale en octobre 2015 et déposée par le député Daniel Fasquelle (Les Républicains), vise à « garantir le droit au citoyen à la liberté de choix des professionnels de soins et la qualité des prestations de santé ». Elle a notamment pour objectif de supprimer les remboursements différenciés pour un soin ou une prestation identique. Elle reprend sept de mes propositions1.

1Présentées dans son livre Politique de santé : réussir le changement (Dunod, 2015).

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