Recommandations pratiques de bon usage des antibiotiques - La Semaine Vétérinaire n° 1663 du 26/02/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1663 du 26/02/2016

ANTIBIORÉSISTANCE

Pratique canine

Auteur(s) : Thomas Brément

À l’occasion d’une formation organisée par l’Afvac Ouest, le bon usage des antibiotiques dans cinq disciplines (chirurgie, dermatologie, dentisterie, médecine interne et médecine des NAC) a été abordé au travers d’exemples concrets.

L’émergence progressive de résistances chez l’homme et l’animal, associée à l’absence de découverte de nouvelles familles d’antibiotiques depuis 20 ans, oblige à réviser les pratiques en matière d’antibiothérapie pour les rendre plus raisonnées. Tel était l’objectif d’une formation organisée par l’Association française des vétérinaires pour animaux de compagnie (Afvac) Ouest, en collaboration avec le conseil régional de l’Ordre des vétérinaires, le 28 janvier à Cesson-Sévigné (Ille-et-Vilaine)1.

Chirurgie : raisonner l’antibioprophylaxie

Jusqu’à 90 % des plaies opératoires sont contaminées par des bactéries pathogènes, souvent opportunistes, provenant pour 98 % d’entre elles de l’air ambiant et de l’animal lui-même. « Mais contamination ne signifie pas obligatoirement infection », rappelle Olivier Gauthier, de l’unité de chirurgie d’Oniris. Cette dernière ne se développe que selon certains critères (nature de l’intervention définie par la classification d’Altemeier2, sa durée, la nature de la contamination, le statut médical de l’animal). Le risque d’infection postopératoire double pour chaque heure de chirurgie et augmente de 30 % pour chaque heure d’anesthésie ou pour chaque personne supplémentaire présente dans le bloc. Si le respect des principes d’Halsted (asepsie, hémostase, manipulation atraumatique des tissus) et des bonnes pratiques d’hygiène reste le pilier de la lutte anti-infectieuse en chirurgie, l’antibioprophylaxie est répandue en chirurgie vétérinaire (photo et légende page 19). Bien menée, elle diminue de 50 % le risque d’infection du site opératoire, sans favoriser l’émergence d’antibiorésistances. Elle est conseillée pour les chirurgies propres uniquement si l’intervention dure plus de 90 minutes, pour les chirurgies propres-contaminées, et pour les chirurgies contaminées ou sales (et les fractures ouvertes), en association, dans ce cas, à une antibiothérapie postopératoire, et lors d’intervention chez les animaux souffrant d’affections chroniques. L’antibiothérapie postopératoire n’est justifiée qu’en présence d’une infection avérée (identification bactérienne et antibiogramme). La molécule choisie doit être efficace contre cet agent et de spectre le plus étroit possible. En l’absence d’identification de l’agent pathogène et si la mise en place d’une antibiothérapie probabiliste est nécessaire, il est impératif de réévaluer l’animal entre 24 et 72 heures après la chirurgie. Le recours aux antibiotiques locaux doit être évité en chirurgie compte tenu du risque d’irritation locale.

Dermatologie : une cytologie préalable à toute prescription

Les pyodermites canines étant polymorphes, le diagnostic différentiel et la réalisation d’examens complémentaires cytologiques sont indispensables pour distinguer atteintes infectieuses bactériennes et lésion stérile. « Seule la présence objectivée de bactéries justifie la prescription d’antibiotiques. Et encore, uniquement si la probabilité de gérer l’infection par un traitement antiseptique topique seul est faible », rappelle Emmanuel Bensignor, spécialiste en dermatologie vétérinaire3. Les bactéries et les Malassezia ont la capacité de générer des biofilms protecteurs : le recours à un traitement antiseptique topique (après tonte éventuelle) doit donc toujours être une étape obligatoire dans la prescription. L’antibiogramme est indispensable pour certaines affections (les pyodermites ne répondant pas à un anti?biotique classique, les pyodermites à bacilles, les pyodermites profondes) ou lorsque le praticien souhaite mettre en place une antibiothérapie à base de fluoroquinolones ou de céfovécine. Cependant, « l’interprétation des antibiogrammes doit être faite avec précaution, la réponse thérapeutique in vivo n’étant pas toujours corrélée avec les résultats in vitro de l’antibiogramme », prévient-il.

Dentisterie : des antibiotiques lors de lésions profondes

La plaque dentaire est un biofilm hébergeant un équilibre bactérien fragile de bactéries pionnières aérobies gram+ évoluant en une flore anaérobie gram-, responsable d’halitose et de maladies parodontales. L’antibioprophylaxie peut être utilisée en dentisterie lors d’interventions “sales” (fractures, interventions sanglantes) ou chez les animaux à risque (immunodépression, maladies métaboliques, cardiaques, etc.). « En revanche, elle est généralement inutile pour des interventions plus bénignes, comme un simple détartrage », explique Florian Boutoille, spécialiste en dentisterie. En effet, même si une bactériémie est systématique à la suite de toute intervention buccale, celle-ci est transitoire, le système réticulo-endothélial éliminant les bactéries en 15 à 30 minutes chez un chien sain. L’antibiothérapie curative est uniquement indiquée lors de lésion profonde, de stomatite, d’ostéomyélite, de fracture, de traumatisme alvéolodentaire, de parodontite agressive et chez un animal immunodéprimé. L’utilisation seule des antibiotiques ne peut soigner une infection dentaire, qui requiert un traitement étiologique, et l’utilisation pulsée pour lutter contre l’halitose est à proscrire. L’antibiothérapie doit être faite avec une molécule de première intention (amoxicilline-acide clavulanique, métronidazole-spiramycine, clindamycine, doxycycline), voire de seconde intention (pradofloxacine, céfovécine, etc.), au spectre d’action large, active habituellement sur les germes impliqués dans les parodontites (anaérobies gram-). Le recours à un anti-biogramme n’est pas nécessaire de par la diversité de la flore buccale. Le traitement est généralement de courte durée : 5 jours ou jusqu’à disparition des signes cliniques pour une infection odontogène (2 à 3 semaines pour une stomatite).

Médecine interne : justifier et raisonner l’antibiothérapie

Notre consœur Élise Mercier, spécialiste en médecine interne, a rappelé que, dans cette discipline, la première question à se poser est : « Dois-je utiliser un antibiotique dans ce cas-là ? » Afin de répondre à cette question, la Federation of European Companion Animal Veterinary Associations (Fecava) propose un arbre décisionnel4. Il met notamment l’accent sur l’importance d’effectuer des prélèvements en vue d’antibiogrammes ultérieurs et, si une antibiothérapie empirique est instaurée, elle s’appuie sur les résultats d’un examen cytologique. Le médecin vétérinaire doit faire un choix entre une antibiothérapie dirigée (à privilégier) et une antibiothérapie probabiliste mais raisonnée. Dans le premier cas, le choix repose sur la mise en évidence de l’agent infectieux par des examens complémentaires adaptés et une connaissance approfondie des critères d’interprétation de ces tests et de la pharmacologie des molécules utilisables. La prescription probabiliste est une étape obligatoire en pratique vétérinaire canine. Dans ce cas, malgré une prescription tout de même raisonnée, il est impératif d’informer le propriétaire des risques (échec thérapeutique, antibiorésistances, etc.). En cas d’affection de l’appareil urinaire, la mise en évidence de l’infection bactérienne (cytologie au minimum), en particulier chez le chat, et sa localisation (appareil urinaire bas ou haut) sont indispensables avant la mise en place de l’antibiothérapie. En cas d’affection de l’appareil respiratoire, l’interprétation des prélèvements bactériologiques doit tenir compte de l’existence d’une flore bactérienne commensale. Ainsi, la mise en évidence d’une bactérie ne signifie pas nécessairement la présence d’une infection.

NAC : des animaux différents mais une démarche identique

Notre confrère Sylvain Larrat s’est penché sur la problématique de l’antibiothérapie chez les NAC. Il insiste sur le fait que pour éviter le mésusage des antibiotiques chez ces animaux aux taxons variés, il faut connaître les dominantes pathologiques, hiérarchiser le diagnostic différentiel et avoir recours à une démarche scientifique rigoureuse en passant par des examens complémentaires adaptés (frottis, identification bactérienne) permettant de justifier une antibiothérapie ciblée en parallèle de la gestion impérative des causes sous-jacentes. Les spécificités des antibiotiques selon les espèces doivent être maîtrisées (toxicité, efficacité). Par exemple, l’enro-floxacine n’agit pas sur les bactéries anaérobies (comme les pasteurelles), l’utilisation systématique d’antibiotiques ou un mauvais choix perturbe l’écosystème bactérien local et favorise ainsi le développement de l’aspergillose chez les oiseaux et augmente le risque de dysbiose chez le lapin. Les difficultés de prescription dans ces espèces reposent sur la rareté des autorisations de mise sur le marché, le conditionnement inadapté des spécialités pharmaceutiques et le manque de données scientifiques fiables.

  • 1 Voir La Semaine Vétérinaire n° 1661, page 21.

  • 2 Quatre classes de contamination sont établies selon la chirurgie : propre, propre-contaminée, contaminée, sale.

  • 3 Le Gedac propose aux praticiens une catégorisation des antibiotiques pour une prescription raisonnée en dermatologie canine : http://bit.ly/1Xlf4bu.

  • 4 http://bit.ly/1R9UzZa.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr