ANESTHÉSIE EN CANINE : QUOI DE NEUF ? - La Semaine Vétérinaire n° 1662 du 19/02/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1662 du 19/02/2016

Dossier

Auteur(s) : Charlotte Devaux

Fonctions : Sources : entretiens avec Luca Zilberstein et Maud-Aline Chesnel et conférences de Patrick Verwaerde, Stéphane Junot, Gwenola Touzot-Jourde, Luca Zilberstein et Maud-Aline Chesnel, présentées au congrès de l’Afvac à Lyon, en novembre 2015

Comment mieux gérer la douleur opératoire ? Que penser des nouvelles molécules ? Quid du risque anesthésique ? Quelles sont les nouvelles pratiques à adopter pour offrir toujours plus de confort et de sécurité à l’animal ? Panorama des nouvelles tendances préconisées par les anesthésistes vétérinaires.

L’anesthésie est souvent une affaire d’habitude et de recettes. Mais quelles sont les informations données par les dernières études et les spécialistes pour perfectionner ses routines et mieux gérer ses anesthésies ? Focus sur les avancées les plus marquantes, à chaque étape de la procédure anesthésique.

Jeûne préanesthésique

L’objectif du jeûne préanesthésique est d’éviter une fausse déglutition, ainsi que le reflux gastro-œsophagien, qui peut être responsable d’une sténose de l’œsophage. Cependant, un jeûne trop prolongé augmente l’acidité gastrique, diminue le tonus du cardia et accroît donc le risque de reflux1. Il convient donc de veiller à ce que le volume de l’estomac ne soit pas trop important pour se prémunir des régurgitations, en gardant à l’esprit qu’il ne se vide jamais complètement, et que l’acidité ne soit pas trop grande. Le meilleur rapport volume de l’estomac/acidité est obtenu pour un jeûne de trois à huit heures, en donnant le dernier repas à demi-dose et sous forme humide. « Il faut éviter le plus possible les jeûnes prolongés de 12 à 15 heures, surtout lors de chirurgie dans l’après-midi ou sur les animaux sujets aux hypoglycémies comme les jeunes de 3 à 4 mois, les races toy et les nouveaux animaux de compagnie (NAC). Un jeûne de six heures chez le chien et le chat est un bon compromis », préconise Maud-Aline Chesnel, anesthésiste au centre hospitalier vétérinaire Atlantia (Nantes).

Analgésie

Dans un contexte anesthésique, l’effet analgésique le plus intéressant provient des anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS), car la douleur postopératoire est en partie d’origine inflammatoire. « Il n’existe pas, aujourd’hui, de consensus sur le moment idéal pour administrer les AINS », indique Maud-Aline Chesnel. Les injecter avant la chirurgie devrait permettre d’atteindre leur effet maximal au moment du traumatisme, cependant, une étude récente2 montre que leur effet analgésique pourrait être au moins aussi bon lorsqu’ils sont administrés après. Les possibles effets secondaires sont rarissimes chez un animal en bonne santé, il convient néanmoins d’éviter d’administrer un AINS chez un animal déshydraté ou hypovolémique. « Si les AINS ne sont pas administrés avant la chirurgie, le protocole devra impérativement comporter des morphiniques pour éviter la douleur au réveil », prévient-elle. « D’autres molécules que les opioïdes et les AINS sont impliquées dans la nociception », précise de son côté Luca Zilberstein, maître de conférences en anesthésiologie à l’École nationale vétérinaire d’Alfort. Il a, par exemple, été mis en évidence que 1 mg/kg de maropitant a le même effet analgésique que 0,5 mg/kg de morphine lors d’une ovariectomie de chienne3 (utilisation “hors autorisation de mise sur le marché” dans cette indication).

Molécules

« Les nouveaux produits attirent car on pense qu’ils sont plus perfectionnés et présentent moins de risques, or ce sont justes d’autres produits avec d’autres avantages… mais aussi d’autres inconvénients ! », souligne Luca Zilberstein. Par exemple, le sévoflurane présente un intérêt car il n’a pas d’odeur et est moins irritant que l’isoflurane, mais ses effets cardiovasculaires sont tout à fait similaires. « Il est très utile pour endormir les nouveaux animaux de compagnie au masque, mais il n’a pas été prouvé qu’il entraîne moins de mortalités que l’isoflurane dans ces espèces, poursuit-il. De plus, il nécessite d’investir dans un deuxième vaporisateur et il s’avère considérablement plus cher que l’isoflurane, du fait du pourcentage de vaporisation double. »

« La méthadone, quant à elle, permet d’éviter de devoir choisir entre avoir mal ou vomir ». Elle possède la même puissance et les mêmes indications que la morphine (qu’elle remplace donc dans la cascade), mais offre plus de confort à l’animal (grâce à l’absence d’effets secondaires digestifs) et permet de diminuer les vomissements préanesthésiques. Elle est très intéressante pour les animaux qui ne mangent pas sous morphine. « La méthadone est aussi plus sédative et permet de diminuer les besoins en anesthésiques », ajoute Maud-Aline Chesnel.

Concernant les AINS “nouvelle génération” tels que les coxibs, « ils n’ont pas encore fait preuve d’une indéniable supériorité vétérinaire par rapport aux anciennes molécules, or c’est sur celles-ci que nous avons le plus de recul (en positif et en négatif), explique Luca Zilberstein. Il semble donc judicieux d’utiliser en première intention les molécules les mieux connues, comme le méloxicam ou le carprofène, en se rappelant qu’un échec de la prise en charge de la douleur par un AINS ne signe pas un échec de tous les AINS. Dans ce cas, le praticien changera alors de molécule jusqu’à trouver celle qui fonctionne le mieux. »

Nouvelles associations

« À défaut de disposer de nouvelles molécules anesthésiques révolutionnaires, la nouveauté est à chercher dans de nouvelles associations utilisables pour l’induction, telles que le “kétofol” (kétamine-propofol) ou le “zoléfol” (zolétil-propofol) », souligne Luca Zilberstein. Elles permettent de lisser les effets secondaires de chaque molécule prise séparément en augmentant l’inotropie et en diminuant les apnées et l’hypotension, tout en diminuant les doses totales nécessaires. Le mélange se compose de 9 ml de propofol pour 1 ml de kétamine 1 000 (ou 1 ml de Zolétil® 100), à préparer à la dose de 0,1 à 0,2 ml/kg et à administrer à la demande pour l’induction avant un relais gazeux. Le mélange MLK – association d’un opioïde (morphine), agissant sur la douleur nociceptive, d’un inhibiteur des canaux sodiques (lidocaïne), qui augmente la stabilité des membranes et agit comme anti-arythmique, et de la kétamine antagoniste des récepteurs NMDA (acide N-méthyl-D-aspartique), qui empêche le développement de la mémoire de la douleur – est maintenant additionné de dexmédétomidine pour une plus grande stabilité et une analgésie très puissante, qui permet de réduire de façon importante les doses d’anesthésique. Pour cela, il convient, par exemple, de mélanger, dans un flacon de 500 ml de chlorure de sodium (NaCl), 60 mg de morphine, 500 mg de lidocaïne et 60 mg de kétamine, pour en administrer ensuite 1 à 2 ml/kg/h. « Avec ce protocole, une intervention peut être pratiquée avec une concentration d’isoflurane expiré de seulement 1 % dans le meilleur cas », explique Luca Zilberstein. Attention, l’utilisation des ·α-2 agonistes est contre-indiquée lors de souffle cardiaque et le MLKD peut provoquer une bradycardie à 50-60 bpm.

Équipement

Le monitoring électronique nécessite un matériel spécifiquement vétérinaire. En effet, les moniteurs en médecine humaine ont notamment un algorithme de pression artérielle qui n’est pas adapté pour la prise en charge des animaux, de même les électrocardiogrammes pour les humains ne montent pas tous à 300 bpm et ne seront pas utilisables chez certains NAC, par exemple. « Le masque laryngé, de distribution vétérinaire récente, est surtout utile chez le lapin, très difficile à intuber, mais aussi chez le chat, en option, dans les cas où le praticien n’aurait pas forcément intubé », explique Maud-Aline Chesnel. Il couvre le larynx, sa mise en place est aisée, et il ne nécessite pas une profondeur d’anesthésie aussi importante que pour une intubation.

Fluidothérapie

« Bien qu’il soit appelé liquide “physiologique”, le NaCl 0,9 % n’a rien de physiologique : il contient beaucoup trop de chlore et peut entraîner une hyperchlorémie et une acidose nocive. On lui préférera, en général, le Ringer lactate », prévient Maud-Aline Chesnel.

Les débits de perfusion préconisés durant l’anesthésie ont été revus à la baisse : 3 ml/kg/h chez le chat et 5 ml/kg/h chez le chien. Une perfusion en débit continu est inefficace pour augmenter la pression artérielle : en cas d’hypotension, un bolus rapide de 10 à 20 ml/kg est préféré pour remplacer les pertes volumiques, mais surtout une réduction de la concentration d’isoflurane, très vasodilatateur, est indiquée. Si nécessaire, l’ajout d’une faible dose d’un anesthésique dénué d’effet vasodilatateur, tel que la kétamine (0,5 à 1 mg/kg), permet de maintenir la profondeur d’anesthésie.

  • 1 Savvas I., Rallis T., Raptopoulos D. The effect of pre-anaesthetic fasting time and type of food on gastric content volume and acidity in dogs. Vet. Anaesth. Analg. 2009;36:539-546.

  • 2 Pelligand L., King J. N., Elliott J. Benefit-risk evaluation of pre-emptive administration of meloxicam and robenacoxib for cat spay : analgesia comparison. World congress of veterinary anaesthesiology, septembre 2015, Kyoto (Japon).

  • 3 Marquez M., Boscan P., Weir H. et coll. Comparison of NK-1 receptor antagonist (maropitant) to morphine as a pre-anaesthetic agent for canine ovariohysterectomy. PLoS One 2015;10.

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