L’ANIMAL, UNE NOUVELLE AIDE À LA RÉINSERTION ? - La Semaine Vétérinaire n° 1660 du 05/02/2016
La Semaine Vétérinaire n° 1660 du 05/02/2016

Décryptage

Auteur(s) : Chantal Béraud

La Fondation Adrienne-et-Pierre-Sommer a organisé un colloque à Lyon (Rhône) pour faire le bilan des programmes mis en œuvre concernant la médiation animale en milieu judiciaire. Des expériences encore discrètes, peu médiatisées, et pourtant porteuses d’espoir.

La médiation animale constituerait-elle un nouvel outil d’aide à la réinsertion ? C’est ce qu’ose imaginer Alain Bisiach, juge d’application des peines, lors du colloque « Justice et médiation animale » animé, en novembre 2015, par la Fondation Adrienne-et-Pierre-Sommer1. Le tout part d’un constat amer : « Nous sommes confrontés à une surpopulation pénale, fort coûteuse. Or les chiffres montrent que 61 % des personnes qui sortent de prison y retournent dans les cinq ans qui suivent. » Pourquoi la médiation animale permettrait-elle de faire mieux, en qualité ? « Parce qu’elle déclenche parfois chez le détenu une prise de conscience, aboutissant à une projection dans l’avenir, sur la question : “Que vais-je faire de ma vie” La médiation animale permet au prisonnier de mieux se connaître, ce qui semble le passage obligé d’un mieux-être avec soi-même et avec les autres. La capacité du détenu à réintégrer la société dépend d’un long cheminement intérieur, de l’émergence d’un déclic, qu’il convient de favoriser par tous les moyens. La médiation animale en est un, parmi d’autres. Elle joue aussi sur une intéressante interface : dehors-dedans. À la maison centrale d’Arles, via le programme “Des Camargues et des hommes”, c’est un peu de la nature qui arrive derrière les murs grâce aux chevaux. Cette activité procure aussi un changement d’atmosphère bienvenu pour tous (les détenus partageant notamment un déjeuner avec les surveillants). »

Diverses pratiques en prison

Autre témoignage, celui de Christopher Valente, psychologue clinicien : « La médiation animale déjoue les possibilités de conflits entre surveillants et détenus. » Catherine Mercier, psychologue au centre pénitentiaire pour femmes à Rennes, explique que « lorsqu’une détenue travaille avec l’association Handi’chiens à l’éducation d’un animal qui sera ensuite confié à une personne handicapée, elle fait un pas en avant vers sa réparation symbolique. Il m’arrive aussi de montrer sur un film à un prisonnier ses réactions face à un animal. Par ce biais, il peut, par exemple, s’apercevoir par lui-même combien il est dur, rigide dans ses relations. Ce qui débute un travail sur ses perceptions ». Et David Dutreve, moniteur-éducateur au centre éducatif fermé de Sinard (Isère), où des mineurs délinquants récidivistes suivent des activités équestres, d’ajouter : « L’apprentissage avec l’animal redonne confiance, impulse l’envie de faire, d’apprendre, dans le respect de soi et des autres, dans une maîtrise des émotions. »

Quant à Philippe Pottier, il relate une passionnante expérience, menée en tant que directeur du service pénitentiaire d’insertion et de probation (SPIP) de Nouvelle-Calédonie : « Le camp se situe à Nouméa, sur un immense domaine de 17 hectares, bordé de lagons. Durant quatre semaines, nous y avons monté une activité de dressage de chevaux sauvages, en partie dans l’eau, avec des dresseurs professionnels. J’y ai affecté autoritairement les détenus que nous n’arrivions pas à faire progresser par d’autres moyens. Et j’ai observé de réels changements de comportement : un prisonnier mutique s’est ainsi mis à parler ! Certes, la médiation animale n’est qu’une méthode parmi d’autres. Ce n’est pas une baguette magique, mais force est de constater qu’elle est parfois vraiment magique ! »

Un rôle pour les vétérinaires

Bien-être humain, soit. Mais quid du bien-être animal ? Cette question interpelle les médiateurs, qui sont aussi bien souvent des amoureux des animaux… Ce dont témoignent quelques personnes dans la salle : « Lorsque je me suis aperçu qu’une jument, pompeuse d’émotions, déclenchait des coliques, j’ai arrêté de la mettre en présence de gens trop déséquilibrés. » Ou bien encore : « J’ai cessé d’intervenir à l’hôpital avec mon chien, quand j’ai pris conscience qu’il craignait la violence du lieu. » Deux témoignages que vient tempérer Thierry Boissin, psychologue : « Dans les lieux que je fréquente, je suis certain que l’on parvient à combiner le bonheur des enfants et celui des animaux. » Et une psychoclinicienne de renchérir : « C’est une question d’équilibre à trouver. Les personnes qui travaillent avec leurs animaux doivent parvenir à déterminer où se trouvent les limites. À nous aussi de savoir travailler en équipe, pour devenir capables de décoder leurs signaux. » Un rôle d’interface, qui concerne les vétérinaires. Consultante spécialisée en comportement et bien-être animal (Animal Welfare Consulting), notre consœur Dominique Autier-Dérian explique que « savoir décrypter les émotions des animaux est une science nouvelle. Il ne faut pas oublier le point de vue du bien-être de l’animal en médiation ».

Des animaux intra-muros ?

C’est parce que le pari était de faire vivre harmonieusement trois chevaux, en permanence, au sein de l’hôpital lyonnais Saint-Jean-de-Dieu que Patricia Faure a justement pris conseil auprès de nos consœurs Dominique Autier-Dérian et Christine Filliat (vétérinaire conseil en élevage et ostéopathe équin). « Je suis responsable de l’espace Météore à l’hôpital et présidente de l’association de médiation équine Équi-Liance2, indique-t-elle. Ces chevaux travaillent au contact de patients psychiatriques. Pour leur éviter toute souffrance (boiterie, mal de dos, stress), nous avons donc pris conseil en matière de rythme de travail, d’abri, de type de selle… Les soignants ont aussi suivi une formation pour mieux connaître ces animaux et reconnaître les signes de tension, même très fins, qu’ils expriment. » L’initiative de faire vivre en permanence des animaux à l’intérieur des hôpitaux ou des prisons (les institutions en devenant propriétaires) démarre donc sur des pattes de velours, car ce peuvent être des solutions pratiques, moins chères et intéressantes du point de vue thérapeutique. Mais l’idée ne fait pas que des adeptes, même dans des structures qui accueillent déjà régulièrement en leur sein des animaux visiteurs. C’est le cas du centre de détention pour femmes de Rennes, où l’association Handi’chiens aimerait que des chiots puissent vivre à demeure. « Cela pose des questions de sécurité aux surveillants, commente son directeur, Yves Bidet. Ils se demandent par exemple comment faire de nuit face à un chien. Il faudra y aller de manière très progressive, argumenter… » Un conflit se crée aussi parfois entre le personnel favorable à la médiation et celui qui juge que « la prison n’est pas un lieu où l’on s’amuse avec un animal, mais où l’on purge sa peine ».

  • 1 Pour en savoir plus : www.fondation-apsommer.org.

  • 2 Pour en savoir plus : www.equi-liance.fr.

  • 1 L’IAHAIO (International Association of Human-Animal Interaction Organizations) propose, tous les trois ans, une conférence internationale concernant la médiation animale. Pour en savoir plus : www.iahaio.org. Inscription dès le 1er mars 2016.

L’EXEMPLE ITALIEN

• C’est pour faire face à un développement anarchique, ainsi qu’à des interventions en médiation animale parfois mal menées que le ministère de la Santé en Italie a créé par décret, en 2009, le Centre national de référence (CNR) pour les programmes associant les animaux. Son directeur, Luca Farina, vétérinaire, explique que « des règles ont été instaurées pour modéliser les interventions. Cas unique au monde, l’Italie a donc réglementéla pratique des thérapies par l’animal via un agrément entre le gouvernement italien et les administrations régionales, approuvé le 25 mars 2015 ». Les Italiens s’intéressent également à « comment évaluer le degré de satisfaction de l’animal, en cours de médiation. Petit à petit, des méthodes non envahissantes sont développées, comme l’observation de la température, sans recourir à des paramètres sanguins ».

• Parmi les autres missions du CNR s’inscrivent également la recherche et le renforcement des partenariats entre les médecines humaine et animale (One Health). « En Italie, estime Luca Farina, ce rapprochement est facilité par le fait que les vétérinaires sont placés sous la tutelle du ministère de la Santé, et non du ministère de l’Agriculture, comme c’est le cas en France. » Et c’est grâce à une collaboration resserrée entre les deux médecines que se déroule actuellement un projet pilote à Padoue, dénommé “Thérapie des détenus sous addiction (alcool et drogue) et médiation canine”. Quatre chiens, accompagnés de leurs propres meneurs, rencontrent ainsi 24 patients chaque lundi. « Les vétérinaires ont évalué les chiens du point de vue sanitaire et comportemental au début du programme », commente Luca Farina. Un médecin pharmacologue, un psychothérapeute et un psychologue complètent cette équipe de professionnels et d’animaux associés. « Un court métrage sera réalisé en fin de projet. Les premiers résultats de cette étude seront communiqués au Congrès international de l’IAHAIO1, qui aura lieu à Paris du 11 au 13 juillet prochains. »

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