Les banques de sang, un service émergent en France

ENTRETIEN AVEC FRANÇOISE ROUX « Nous avons 20 ans de retard »

Vous avez créé les banques de sang de Maisons-Alfort et d’Oniris. Pourquoi un tel intérêt pour cet outil ?

Les urgentistes-réanimateurs sont toujours confrontés à des besoins importants de sang. La banque de sang est la seule réponse pertinente pour faire face à des situations de pénurie de produits sanguins. Sans doute ma résidence aux États-Unis, où j’ai suivi une spécialisation en urgences et soins intensifs, m’y a-t-elle sensibilisée. Il n’y en avait pas en France : nous avions 20 ans de retard, notamment sur les États-Unis !

Quelles sont les caractéristiques d’une banque de sang ?

Il s’agit en premier lieu d’une banque, où sont stockés des produits sanguins. Nous préparons ainsi des culots globulaires (des poches très concentrées en globules rouges), que nous conservons 31 jours au maximum à + 4 °C, ainsi que du plasma frais qui peut être conservé pendant un an à - 20 °C. Le sang frais total peut également être conservé 31 jours à + 4 °C, mais il perd rapidement certains composants utiles, tels que les plaquettes. Il nous arrive également de produire du concentré plaquettaire au cas par cas, mais nous ne le stockons pas. Cette banque est approvisionnée par des donneurs. Ces derniers nous permettent aussi de procéder aux transfusions extemporanées, en cas de rupture de stock ou lorsque l’utilisation de sang frais total non stocké est intéressante pour l’animal.

Quel type de gestion cela impose-t-il ?

Une gestion extrêmement rigoureuse, en flux tendu. En effet, nous recherchons en permanence une adéquation entre nos besoins habituels et les dons que nous organisons. Il s’agit de ne pas stocker trop, pour ne pas jeter, ni de manquer. La gestion de la liste de donneurs est à cette mesure. Tout est informatisé. Nous savons à tout instant qui a donné, quand, le volume prélevé et à quel moment il sera possible de le faire à nouveau. Le volume sanguin d’un chien est d’environ 90 ml par kilo. Il peut en théorie donner 20 % de son volume sanguin toutes les trois semaines. En pratique, les volumes prélevés sont moins importants, et les prélèvements ont lieu au maximum quatre fois par an. Par principe, nous essayons de ne pas prélever le même donneur plus de deux fois par an.

Comment assurez-vous la collecte de sang ?

Notre école vétérinaire est en milieu semi-urbain et la plupart des étudiants possèdent un chien. Nous avons ainsi la chance de disposer d’une clientèle de donneurs fournie et motivée. Notre collecte s’apparente à un système d’entraide, de civisme?: une véritable culture d’école ! Une simple affiche suffit pour que les volontaires se manifestent et nous envoient par courriel les caractéristiques de leur animal. Nous procédons alors sur rendez-vous, dans une salle dédiée, et nous préparons les produits selon une démarche rationnelle.

À quelles obligations êtes-vous soumis ?

Nos obligations sont de nature professionnelle, déontologique, mais aucunement réglementaire. Nous ne vendons ni ne fournissons de produits sanguins aux vétérinaires, comme cela peut se faire en Grande-Bretagne. Nous ne les utilisons que pour notre usage interne. Nos confrères référents nous adressent leurs clients directement lors?qu’une transfusion est nécessaire. Par ailleurs, il n’existe pas d’organismes de contrôle de nos pratiques pour notre banque du sang. Elles s’appuient sur celles qui prévalent en médecine humaine et sur des recommandations publiées dans des revues de médecine vétérinaire¹. Elles sont sous ma responsabilité, a fortiori sous celle d’Oniris.

ENTRETIEN AVEC BENOÎT SIMIAN-SALVAY « Créer un maillage en France »

Pourquoi avoir créé une banque de sang ?

Lorsque nous avons décidé de créer une clinique vétérinaire dans l’objectif d’un passage rapide en centre hospitalier vétérinaire, en janvier 2013, nous étions dédiés à accueillir les urgences et les référés de confrères 24 heures sur 24. Il nous semblait alors essentiel de proposer un service opérationnel de transfusions en urgence pour les chiens. Nous avions été trop souvent confrontés à cette problématique dans nos deux autres cliniques marseillaises pour ne pas y apporter de réponse suffisante dans notre CHV. Nous avions les donneurs ; il nous restait à nous équiper pour préparer et conserver les produits sanguins en quantité suffisante pour répondre à nos besoins internes et pour dépanner, le cas échéant, d’autres cliniques.

Comment avez-vous mis cette banque en place ?

Nous nous sommes d’abord rendus sur le site marseillais de l’Établissement français du sang. Nous avions opté pour un traitement optimal du sang, afin d’optimiser à la fois la sécurité pour le receveur et la conservation des produits sanguins. Aussi avons-nous défini nos procédures sur le modèle de cet organisme. La poche de sang frais total qui est prélevée sur le donneur est ainsi déleucocytée par filtration avant sa centrifugation, laquelle nous permet d’obtenir une poche de concentré globulaire et une poche de plasma frais congelé. Cette étape est plus coûteuse, mais elle limite le risque de réactions fébriles.

Comment motivez-vous les propriétaires de chiens donneurs ?

Nous communiquons en ligne, sur notre site. Nous mettons en avant les chiens donneurs, en publiant par exemple la photo de celui du mois. Nous expliquons à quoi a servi la poche de sang qu’il a fournie. Il s’agit de trouver un sens au don. Les avantages constituant la contrepartie de cette démarche ne sont pas tout. Certes, chaque propriétaire apprécie l’examen clinique systématique et la recherche sérologique annuelle effectués sur son animal, ou encore le sac de croquettes voire la remise sur une assurance santé, grâce à nos partenaires. Cependant, nous avons d’abord affaire à des clients attachés à la santé de leurs compagnons, et conscients de leur contribution à la prise en charge des autres chiens malades.

Quel est votre objectif ?

Nous avons entre 20 et 25 donneurs réguliers, prélevés tous les trois mois. En transfusant deux animaux en moyenne par semaine, nous utilisons pleinement notre stock. Notre objectif est de développer cette activité, avec l’espoir que cette démarche séduise d’autres confrères en France. Cela nous permettrait d’échanger entre nous, d’améliorer nos procédures, d’être plus efficaces. Pourquoi ne pas imaginer un maillage sur notre territoire, avec un point d’accès centralisé, un site commun de commandes en mesure de répondre en urgence, le cas échéant, à toute demande, où qu’elle soit !

• 1 Wardrop K. J. et coll., Acvim consensus statement : canine and feline blood donor screening for infectious disease. J. Vet. Intern. Med. 2005;19:135-142.