Mon amie la chèvre

Pour mes 7 ans, mes parents m’avaient acheté une chèvre. Une alpine rousse à poils longs avec de grands yeux ironiques, que j’appelai Rosette. Elle fait partie, avec sa descendance, des grandes figures de mon enfance.

La vérité m’oblige à dire qu’elle fut même le premier être avec lequel j’ai noué quelque chose qui ressemble à de l’amitié. Nous parlions beaucoup tous les deux et, au final, nous avons passé tellement de temps ensemble qu’elle fut certainement l’une des personnes qui m’a le mieux connu.

J’étais un enfant de saint François d’Assise, qui était mon héros. Je connaissais son histoire par cœur et, comme lui, j’étais convaincu que les animaux étaient nos frères et nos sœurs. J’en voyais la preuve tous les jours, dans un environnement peuplé de bêtes domestiques ou sauvages, de perdrix et de garennes en particulier.

Nous habitions une petite maison blanche, au milieu des prés, des bois et des ronces, à Saint-Aubin-lès-Elbeuf, au commencement d’une boucle de la Seine qui serpentait avec un mélange de paresse et de majesté dans un paysage de roches blanches, coiffées d’arbres.

L’après-midi, après l’école, j’aimais me promener le long des berges de la Seine avec Rosette, qui circulait en liberté comme un chien. Je lui apprenais des tours. Quand mes parents recevaient de la famille, le dimanche, elle aimait faire le spectacle. D’un tempérament cabot, elle se cabrait à la demande. Ou bien tournait en rond. C’est elle qui m’a donné la passion des animaux.

Trois ans plus tard, mes parents, bobos bios avant l’heure, ont acheté une ferme, non loin de là, à Bosc-Roger-en-Roumois, sur le plateau du même nom, une terre d’embouche et à viande. Nous vivions là, dans une sorte de zoo agricole, avec des bœufs, parfois une vache avec son veau et des volailles de toutes sortes. J’avais trouvé ma vocation : je serais vétérinaire.

Certes, quelque temps auparavant, à 9 ans très exactement, j’avais décidé que je serais écrivain : je ne voulais pas être président, ni pape, ni policier, ni pompier, encore que les deux dernières professions me fascinaient. Non, je voulais être Victor Hugo. J’adorais déjà raconter des histoires, mais je n’étais pas sûr d’assurer mon manger en écrivant des livres. Il fallait donc que j’exerce un métier qui me permette de vivre et de faire vivre une famille.

Mes pauvres résultats en mathématiques et en physique en ont décidé autrement. J’étais trop nul en sciences pour m’orienter vers des études vétérinaires. J’ai tout fait pour me mettre au niveau. Sans succès. Depuis, cette profession n’a jamais cessé de m’intéresser. Il y a dedans quelque chose de chevaleresque qui correspond à ma philosophie. Je crois que la femme et l’homme ne sont jamais mieux eux-mêmes que lorsqu’ils vivent en harmonie avec le monde du vivant, dont nos sociétés modernes ont tendance à nous retrancher, et je crois que nous devons le respect aux animaux, d’abord parce qu’ils sont beaucoup plus faibles que nous. Comme disait Dostoïevski, « le Christ est avec les bêtes avant d’être avec nous ».