REPÉRER ET GÉRER LES PERSONNALITÉS DIFFICILES - La Semaine Vétérinaire n° 1654 du 11/12/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1654 du 11/12/2015

Dossier

Auteur(s) : Christophe Deforet

Si nous avons chacun des manières qui peuvent irriter les autres, il existe tout de même des personnalités que l’on qualifie de difficiles car les traits de caractère sont trop marqués et figés.

La communication avec l’entourage est alors rendue compliquée. Que ce soit des collaborateurs ou des clients, comment les repérer et ne pas se laisser piéger dans une relation toxique ?

Nous sommes tous confrontés à des personnalités difficiles. Apprendre à les reconnaître et à percevoir leur mode de fonctionnement psychique permet de mieux les appréhender et d’entretenir des relations moins toxiques avec elles. Nous sommes plus dérangés par certains types de personnalités que par d’autres. Un peu d’indulgence vis-à-vis d’eux, comme nous pouvons en avoir par rapport à nos propres défauts, permet de relativiser la difficulté de leur prise en charge. Il est aussi intéressant de se demander si ce qui nous irrite parfois le plus chez les autres, ce ne sont pas, finalement, des traits de caractère que nous ne voulons pas voir chez nous…

Pour évoquer les personnalités difficiles, il est nécessaire de les classer. Cependant, les classifications sont toujours réductrices ; il est vrai que chaque être humain est unique et qu’il existe plus de caractères différents que de catégories pour les répartir. Néanmoins, regrouper les profils dans des cases permet d’y voir plus clair. Il ne s’agit pas de porter de jugement sur les individus, qui souffrent souvent eux-mêmes de leurs comportements marqués, mais de mieux comprendre comment ils fonctionnent afin de ne pas renforcer leurs traits de caractère problématiques et de ne pas entrer dans des rapports qui entraînent de la souffrance.

La personnalité anxieuse

Pour ce type d’individu, tout va nécessairement mal se passer, il craint le pire face à chaque situation. Il possède un véritable radar pour détecter dans son environnement tout ce qui pourrait induire une catastrophe. Comme le soulignent les psychiatres Christophe André et François Lelord1, ces personnes souffrent d’une sorte de réglage trop sensible de leur système d’alarme face aux événements de la vie.

La difficulté principale pour ceux qui sont en contact régulier avec un tel individu est de ne pas se laisser contaminer par son anxiété, car elle est rapidement contagieuse. Prendre du recul est la première des choses à mettre en œuvre. Ensuite, il convient d’essayer de le rassurer ou, du moins, de limiter son inquiétude. Pour ce faire, la formulation positive des propos prend toute son importance. Nous sommes culturellement conditionnés à parler de façon négative, les « Pas de problème » et « Ne vous inquiétez pas » jalonnent notre discours habituel. En fait, diverses études corroborent le fait que notre inconscient gomme les formules négatives pour ne retenir que ce que l’on souhaitait annuler, soit “problème” ou “inquiétez” dans les exemples précédents. Aussi, il est intéressant de s’efforcer d’utiliser des expressions comme « Rassurez-vous », « Tout va bien se passer », si le contexte permet raisonnablement d’être optimiste, ou « Je vais faire le maximum », si l’issue de la situation est incertaine. Cette modification de la formulation est le fruit d’efforts de la part de l’interlocuteur, mais elle en vaut la peine pour ne pas renforcer l’anxiété, qui est pénible à vivre pour les proches de cette personne au quotidien. Par ailleurs, un des éléments qui majore l’anxiété (même si elle n’est pas rationnelle chez ce type de personnalité) est l’inconnu : un client est confronté à une situation qu’il ne connaît ni ne maîtrise, et si, face à lui, le praticien se montre assuré et professionnel, puisque qu’il s’agit de son labeur quotidien, cela œuvrera en faveur d’un certain apaisement du propriétaire anxieux. De même, pour un collaborateur, maîtriser sa communication permet, tant que faire se peut, de limiter son angoisse.

Si l’anxiété se développe massivement, elle peut aboutir au trouble anxieux généralisé, une véritable maladie qui nécessite un traitement, ne serait-ce que parce qu’elle aura des conséquences somatiques (hyperactivité neurovégétative, tension musculaire, insomnies, etc.).

La personnalité dépressive

Le dépressif est pessimiste, il surévalue l’aspect négatif des situations et est habituellement triste, même en l’absence d’événements défavorables. Il s’autodévalorise, il ne se sent pas à la hauteur. Sa triple vision négative, de soi, du monde, du futur, est la “triade dépressive”, définie par le psychiatre américain Aaron T. Beck. En ce qui concerne la clientèle vétérinaire, les individus dépressifs ne sont pas rares, la possession d’un animal étant une source de réconfort pour eux. Cependant, lorsque le compagnon tombe malade, les choses se compliquent, car la principale caractéristique de la dépression est un manque d’estime de soi, et le client dépressif se sentira souvent incapable d’assumer les traitements ou l’évolution de la maladie de son animal. Au praticien de l’accompagner parfois, si cela est possible, en lui montrant comment mettre en place le traitement. Si l’on peut caricaturer le fonctionnement cognitif de l’anxieux en le décrivant comme quelqu’un pour qui le pire est toujours à craindre, pour le dépressif, on pourrait dire que le pire est déjà arrivé. Le vétérinaire se doit d’être réconfortant grâce à des explications professionnelles, mais accessibles, formulées, ici aussi, dans un langage positif. La mesure des indices de négation dans le discours des patients dépressifs est d’ailleurs utilisée pour évaluer leur guérison, c’est dire si la façon de communiquer est importante.

L’autre difficulté, au contact d’une personne dépressive, est, pour certaines d’entre elles, leur propension à exposer leurs malheurs. Si l’empathie (faculté de comprendre ce que l’autre ressent) est de mise, il est nécessaire pour le praticien de bien recentrer l’entretien dans le cadre de ses compétences vétérinaires. En ce qui concerne les collaborateurs, même s’il est, bien sûr, important de rester à leur écoute, nous ne pouvons jouer le rôle de thérapeute. L’idéal étant de les inciter à chercher de l’aide auprès d’un professionnel, mais c’est souvent une démarche délicate qui suppose, pour qu’elle soit bien perçue, qu’il existe déjà une relation de confiance bien ancrée.

La personnalité histrionique

Moins connue que les précédentes, elle pourrait, en simplifiant, être considérée comme “hystérique” au sens commun du terme. Il s’agit d’une personne qui cherche systématiquement à attirer le regard des autres. Elle supporte mal les situations où elle n’est pas l’objet de l’attention générale. Elle dramatise l’expression de ses émotions, souvent rapidement changeantes, et elle a souvent tendance à idéaliser ou à dévaluer autrui sans mesure.

S’il s’agit d’un client, il est souvent difficile de le prendre en charge sans porter sur lui un jugement négatif, a fortiori si le praticien a lui-même un comportement très éloigné. Les clients histrioniques nécessitent que leurs vétérinaires leur portent une attention spécifique puisqu’ils ont besoin d’être reconnus pour se sentir exister, sans toutefois trop valoriser leurs comportements excessifs, qui auront tendance sinon à se renouveler d’autant plus. Il est important aussi de s’attendre, lorsque ce sont des clients habituels, à cette communication excessive et théâtrale. On peut aussi envisager de passer du statut de héros à celui de moins que rien, mieux vaut y être préparé, cela fait moins mal…

En ce qui concerne les collaborateurs, ils sont alors dans l’excessif et la dramatisation, et centrent leurs propos sur l’émotionnel plus que sur le factuel, ce qui, dans le domaine professionnel, peut être préjudiciable. Il faut prendre garde, par ailleurs, aux tentatives de séduction.

La personnalité obsessionnelle

Elle est souvent considérée comme pénible, à cause de l’importance qu’elle accorde aux détails, ce qui pourrait être pris, à tort, pour de la méfiance. Elle est perfectionniste, exagérément attentive aux procédures, au rangement, à l’organisation, souvent au détriment du résultat final. Souvent obstinée, elle insiste pour que les choses soient réalisées comme elle l’entend. Elle est souvent froide, très formelle. Elle peine à prendre des décisions, car elle a toujours peur de commettre une erreur.

En ce qui concerne les collaborateurs obsessionnels, même si leur rigueur peut être appréciée, le côté extrême de leur perfectionnisme n’est pas toujours compatible avec la rapidité d’intervention souvent nécessaire dans le métier de vétérinaire. Comme clients, ils détaillent par le menu les activités de leur animal et ont besoin, pour être rassurés, de précisions extrêmes. Leur côté obstiné pourrait aussi les faire assimiler, à tort, à des dominants. Leur prise en charge coûte beaucoup au praticien en matière de temps et de patience. Les reconnaître en tant que tels permet de ne pas se méprendre sur leur personnalité, qui n’est ni nécessairement méfiante ni nécessairement dominante.

La dérive pathologique du caractère obsessionnel mène au trouble obsessionnel compulsif, qui constitue une vraie maladie invalidante.

La personnalité paranoïaque

Nous considérons bien, ici, un individu à traits paranoïaques, et non une personne souffrant de psychose paranoïaque (il s’agit là d’un tout autre registre).

Deux éléments principaux caractérisent cette personnalité :

– la méfiance : elle reste toujours sur ses gardes, ne se confie pas, est suspicieuse. Elle met en doute la loyauté des autres et les suspecte de mauvaises intentions à son égard. Elle recherche dans les détails la preuve de ses soupçons. Elle est prête à des représailles disproportionnées si elle se sent offensée.

– la rigidité : elle se montre froide, logique et résiste aux arguments des autres. Elle a du mal à exprimer des sentiments positifs, elle a peu d’humour.

Les praticiens ont parfois affaire à ce genre de client très méfiant, qui va chercher dans le détail, non pas à se rassurer, comme l’obsessionnel, mais la preuve de ses soupçons à l’égard du professionnel. Celui-ci va devoir lui démontrer sa bonne foi, et toute hésitation sera propre à confirmer ses doutes. Le risque majeur avec ce type de personnalité, qu’il s’agisse de clients ou de collaborateurs, compte tenu de la propension de ces personnes à développer des représailles disproportionnées, est donc d’engager des procédures juridiques.

Pour éviter les difficultés, il faut exprimer clairement les éléments du problème et amener ce type de client, plus encore que tout autre, à un consentement éclairé. Respecter les formes de politesse, faire référence aux lois et aux règlements permet de se situer dans son référentiel de fonctionnement psychique et de limiter les conflits qui peuvent être lourds de conséquences.

  • 1 Comment gérer les personnalités difficiles, Odile Jacob, 1996.

Gérer une personnalité anxieuse

La bonne attitude

• lui montrer que vous êtes fiable : si la personne arrive à acquérir le sentiment que ce n’est pas de vous que proviendra la catastrophe, elle vous chargera moins de son inquiétude. Il est donc important de tenir ses engagements avec elle, de se montrer prévoyant, de limiter les causes d’incertitudes ;

• l’aider à relativiser : face à une situation qui l’inquiète (arrivée d’un collègue dans l’équipe, nouvelle installation à proximité, etc.), il est recommandé d’explorer les conséquences fâcheuses possibles, leurs probabilités, et de les relativiser.

Évitez

• de vous laisser piéger par son incessante politique de prévention du risque, de vous laisser emprisonner dans son point de vue catastrophiste ;

• de la surprendre ;

• de lui faire partager, si ce n’est pas indispensable, vos sujets d’inquiétude.

Gérer une personnalité dépressive

La bonne attitude

• attirer son attention sur des aspects positifs ;

• lui faire part de votre considération de façon factuelle. Par exemple, préférer une formulation du type : « Vous avez très bien géré ce client difficile ce matin », plutôt que « Vous êtes une très bonne ASV ». Cette dernière remarque, non contextuée, pourrait inciter le collaborateur à penser que vous ne vous rendez pas compte de ses insuffisances, ou alors que vous les percevez, mais cherchez à le consoler.

Évitez

• de lui dire de « se secouer » : cela est inefficace, et la personne se sentira incomprise et dévalorisée ;

• de lui faire la morale (« Vous vous laissez aller à la facilité », « Cela ne sert à rien de voir tout en noir », etc.) ; si la personne était libre de ses choix, elle ne choisirait pas d’être dépressive…

• de vous laisser entraîner dans sa noirceur : les personnes dépressives peuvent nous conduire, si l’on n’y prend garde, à partager leur vision du monde. Respectez votre besoin de liberté et de gaieté.

Gérer une personnalité histrionique

La bonne attitude

• comprendre que ce comportement excessif est son principal mode de communication et qu’elle ne peut en adopter un autre ;

• la laisser jouer un peu son “spectacle” en fixant un seuil à ne pas dépasser : il convient de lui accorder de l’attention, tout en lui exposant les limites. Rejeter systématiquement ses manifestations théâtrales aggrave son comportement.

• lui montrer de l’intérêt chaque fois qu’elle adopte un comportement non histrionique : le renforcement positif permettra d’obtenir plus de moments de communication “normale”.

Évitez…

• de vous moquer, même si son attitude peut être risible. La moquerie la blessera encore davantage et elle cherchera à en faire encore plus pour se faire remarquer (crise de larmes, arrêt de travail) ;

• de vous laisser piéger dans ses comportements de séduction : la sexualisation de la relation professionnelle est aussi un moyen pour elle de gagner l’attention ;

• de vous laisser attendrir par ce côté enfantin, ce qui peut vous faire perdre la distance nécessaire avec un collaborateur (ou un client).

En devenant trop proche, on devient un public trop facile pour l’histrionique, qui n’y trouve plus suffisamment d’intérêt et risque de rompre la relation au profit d’une nouvelle “proie”.

Gérer une personnalité obsessionnelle

La bonne attitude

• lui montrer que vous appréciez sa rigueur : si vous la brusquez, elle vous disqualifiera en considérant que vous ne comprenez pas ce qui est important. Cela vaut tant pour le client, qui aura noté avec moult détails les symptômes de son animal, que pour le collaborateur qui jouera de perfectionnisme ;

• respecter son besoin de prévoir et d’organiser. Elle déteste l’imprévu ; il faut donc faire un effort de prévision et de planification avant de lui confier des tâches ;

• lorsque la méticulosité d’un collaborateur est contre-productive, il convient d’émettre des critiques précises et quantifiées pour lui démontrer que sa méthode comporte plus d’inconvénients que d’avantages ;

• se montrer fiable et prévisible : respecter vos engagements, ne pas promettre ce que vous ne pouvez pas tenir ;

• confier des tâches qui bénéficieront de sa rigueur.

Évitez…

• de vous laisser entraîner dans son mode de fonctionnement. Lequel pourrait alors finir par tyranniser toute une équipe avec son sens des procédures ;

• de l’embarrasser par trop de reconnaissance ou d’affection : les obsessionnels sont mal à l’aise avec l’expression des sentiments et, dans leur souci de symétrie, ils se sentent obligés de répondre dans le même registre, qu’ils ne maîtrisent pas. Trop de familiarité ne leur convient guère, une relation suffisamment distante est plus adaptée.

Gérer une personnalité paranoïaque

La bonne attitude

• exprimer clairement vos propositions et vos intentions. Le message doit laisser le moins de place possible à l’interprétation. En cas de critique d’un collaborateur, il convient d’être ferme, clair et précis, et de s’appuyer sur des éléments factuels et circonstanciés ;

• respecter les “formes” : éviter de la faire attendre, veiller aux formules de politesse, répondre aussi rapidement que possible à ses demandes, sans pour autant devenir obséquieux, ce qui attiserait sa méfiance ;

• faire référence aux lois et aux règlements. Elle pourra accepter de s’incliner devant ce qui est réglementaire, mais il est important d’être sûr de ce que l’on affirme dans ce registre, car elle connaît souvent très bien les lois ;

• lui laisser quelques petites “victoires” : comme tout le monde, le paranoïaque a besoin de succès ; en le frustrant complètement, vous risquez d’augmenter sa rage. On peut donc lâcher prise sur des points mineurs, en se fixant une limite infranchissable pour ne pas céder sur l’essentiel ;

Éviter un paranoïaque qui fait partie de vos collaborateurs n’est pas une bonne option ; il pensera que vous complotez contre lui. Il est plus souhaitable de garder un contact aussi fréquent qu’avec les autres membres du personnel, même si l’inverse est bien tentant.

Évitez…

• de renoncer à éclaircir les malentendus : comme ces personnalités sont pénibles, il est tentant de ne pas chercher à s’expliquer après un malentendu, or cela ne fera que renforcer la méfiance de cette personne à votre égard ;

• d’attaquer l’image qu’elle se fait d’elle-même : son attitude déplaisante et sa mauvaise foi peuvent vous inciter à exploser, mais des paroles blessantes ne feraient qu’augmenter sa rage de vous vaincre et confirmeraient ses soupçons concernant vos mauvais sentiments à son égard. Il convient donc d’essayer de garder son calme, avec ce type de personnalité tout particulièrement, pour ne pas s’exposer à des procédures interminables.

En fait, lorsqu’on le souhaite, se débarrasser d’un paranoïaque n’est pas simple…

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