Préserver l’efficacité des antibiotiques, ensemble !

On ne peut plus avoir une vision strictement médicale de l’antibiorésistance ! », a déclaré le P^r Antoine Andremont¹ à l’occasion du colloque sur l’antibiorésistance organisé à Paris conjointement, le 17 novembre, par la Direction générale de la santé (DGS) et la Direction générale de l’alimentation (DGAL). L’importance de l’interface homme-animal-écosystème était au cœur des échanges qui se sont déroulés entre les parties prenantes. Cette année, en effet, les discussions se sont articulées autour d’un thème : « La démarche “une seule santé” appliquée à l’antibiorésistance : le temps des actions ». La Commission européenne et l’Organisation mondiale de la santé (OMS), représentées respectivement par Xavier Prats Monné² et Carmem L. Pessoa Da Silva³, ont réaffirmé que la lutte contre l’antibiorésistance doit se concevoir dans une perspective globale et transversale intégrant la santé humaine, la santé animale, mais aussi son impact sur l’environnement. Les absences des ministères de l’Écologie et de l’Économie ont, à ce titre, été regrettées. Les enjeux de cette problématique devant en effet être appréhendés de façon plus globale.

La colistine sur surveillance

Les critères d’établissement de la liste des antibiotiques critiques ont été détaillés par Gilles Salvat, de l’Agence nationale de sécurité sanitaire (Anses). Il rappelle que ce classement est en cohérence avec les recommandations de l’OMS et de l’Organisation mondiale de la santé animale (OIE). Par ailleurs, les critères pris en compte par l’Anses sont notamment les résistances, portées par des éléments mobiles et transférables, qui ont été observées. Il précise « qu’au-delà des familles d’antibiotiques, il convient de souligner que ce sont les usages inappropriés qui conduisent à la sélection de résistances ».

Par conséquent, le recours à ces familles d’antibiotiques doit être limité à une utilisation curative en seconde intention et après réalisation d’un antibiogramme.

La colistine, quant à elle, ne doit pas être considérée comme critique, car, à ce jour, les mécanismes de résistances observés vis-à-vis de cet antibiotique ne sont pas portés par des éléments génétiques transférables. De même, le taux de résistance constaté reste raisonnable, « ne mettant pas en péril l’efficacité de cette molécule en médecine humaine ». Pour ces raisons, sa criticité n’a pas été retenue. Cependant, l’Anses estime nécessaire de surveiller l’évolution de la résistance à cet antibiotique.

Lien entre usage d’antibiotique et résistances

Une association positive entre la consommation d’antibiotiques et le développement des résistances est montrée dans le rapport conjoint⁴ établi par l’agence européenne des médicaments (EMA), l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) et le Centre européen de prévention et de contrôle des maladies (ECDC). Les données 2011-2012 de consommation et les résistances chez l’homme et l’animal ont été analysées : globalement, plus les antibiotiques sont utilisés, plus le niveau de résistance est élevé, et cela est vrai chez l’homme autant que chez l’animal. Une exception est notée pour l’usage des fluoroquinolones sur les salmonelles, un couple pour lequel aucune corrélation n’a été mise en évidence.

En revanche, déterminer les liens entre l’usage d’antibiotiques et la transmission des résistances entre l’humain et l’animal n’est pas si évident. Jean-Yves Madec (Anses) considère que, sur le plan global, l’existence d’un tel lien est « probable ». La résistance est partout, dans tous les écosystèmes. Statistiquement, plus le taux de résistance est élevé plus il y a de chances que les gènes de résistance de bactéries présentes chez l’animal se transmettent à celles présentes chez l’homme, et inversement. Mais ce n’est pas le cas tout le temps. Aucun élément objectif scientifique ne permet de dire que l’usage d’antibiotiques chez l’animal va générer un clone résistant chez l’homme, et inversement. Par exemple, dans le cas des staphylocoques dorés résistants à la méticilline (Sarm), plus celui du porc devient résistant, plus l’homme devrait être confronté à des clones résistants, mais ce n’est vrai que lorsque l’homme a une proximité importante avec le porc. Inversement, les Sarm diagnostiqués chez le chien sont d’origine humaine, mais leur prévalence (2 %) n’est pas corrélée à la consommation d’antibiotiques chez l’homme. Antoine Andremont est convaincu, lui, que coordonner les actions chez l’homme et chez l’animal ne suffira pas : il faudra, à l’avenir, associer l’environnement aux débats.

• 1 Chef du laboratoire de bactériologie à l’hôpital Bichat-Claude-Bernard (Paris).

• 2 Directeur général de la santé et de la sécurité alimentaire de la Commission européenne.

• 3 Team lead, Antimicrobial Drug Resistance, OMS.

• 4 Rapport conjoint des agences européennes : http://bit.ly/1NDA8zM.