Nouveau scandale médiatique sur l’abattoir - La Semaine Vétérinaire n° 1647 du 23/10/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1647 du 23/10/2015

BIENTRAITANCE ANIMALE

Actu

L’association de défense des animaux L214 a diffusé le 14 octobre dernier des images filmées en caméra cachée à l’abattoir d’Alès. Cette vidéo relance les débats autour des conditions d’abattage et la presse grand public en fait largement l’écho.

Stéphane Le Foll, ministre de l’Agriculture, s’est exprimé sur les ondes d’Europe 1, deux jours après la diffusion par l’association L214, le 14 octobre, d’une vidéo sur les mauvais traitements subis par les animaux dans un abattoir d’Alès, dans le Gard : « Nous devons être d’une fermeté totale par rapport aux activités des abattoirs pour faire respecter le bien-être animal (…) Nous faisons tout, et les services vétérinaires, et les services de l’État sont là pour faire respecter les règles. »

Notre confrère Jean-Pierre Kieffer, président de l’œuvre d’assistance aux bêtes d’abattoirs (OABA), réagit à cette affaire. Ghislaine Jançon, membre du Conseil national de l’Ordre des vétérinaires, qui s’est aussi exprimée dans la presse grand public, livre son point de vue dans nos colonnes.

Jean-Pierre Kieffer : « Le scandale de trop ! »

Comment peut-on encore rencontrer ce type de dérives dans des abattoirs qui sont censés être aux normes en France ?

Les extraits de vidéos diffusés par l’association L214 suscitent l’émotion et la colère dans l’opinion publique et des réponses bien embarrassées des professionnels des abattoirs et du ministre de l’Agriculture. Ces dérives ne surprennent pas l’OABA. Mais c’est peut-être le scandale de trop !

À plusieurs reprises, jusqu’en 2013, des délégués de l’association avaient visité l’abattoir d’Alès, relevé de nombreux dysfonctionnements et saisi à plusieurs reprises les autorités préfectorales du Gard et la sous-direction de la santé et de la protection animale du ministère de l’Agriculture. À l’été 2015, l’OABA avait déposé une nouvelle demande de visite qui lui avait été refusée. Nous comprenons mieux pourquoi…

Une inspection de la direction départementale de la protection des populations (DDPP) du Gard aurait été effectuée le 4 septembre, suivie d’une simple mise en demeure administrative. Le choc des vidéos a eu plus de poids, puisque la fermeture de l’abattoir vient d’être décidée…

Déjà, en février 2012, un reportage en caméra cachée, réalisé avec le concours de l’OABA, avait été diffusé par France 2 dans l’émission Envoyé spécial. Il révélait de graves problèmes sanitaires et de protection animale dans trois abattoirs, dont l’un avait été fermé à la suite du reportage… pour rouvrir peu de temps après. On se souvient des suites médiatiques et politiques de cette diffusion, mais qu’en est-il resté pour améliorer le fonctionnement de ces abattoirs ? Depuis ce reportage, impossible à l’OABA de pénétrer dans plusieurs abattoirs des grands groupes…

Stéphane Le Foll a annoncé la volonté d’une vigilance sur le bien-être animal et l’engagement des services vétérinaires et de l’État. Ces mesures sont-elles suffisantes ? Comment améliorer le système ?

L’OABA dénonce depuis plusieurs années la trop rare présence des inspecteurs vétérinaires au poste d’abattage, pour contrôler les conditions de contention, d’étourdissement et de perte de conscience des animaux. C’est aussi un poste clé pour des raisons sanitaires. Cette présence est également jugée insuffisante, voire inexistante, dans certains abattoirs, selon les rapports les plus récents de la Cour des comptes et de l’office alimentaire et vétérinaire (OAV) de la Commission européenne. Les effectifs des agents de contrôle sont insuffisants sur le circuit des animaux vivants. Le Syndicat national des inspecteurs en santé publique vétérinaire (SNISPV) dénonce régulièrement le manque de moyens humains en abattoir.

La mission sénatoriale d’information sur la filière viande avait identifié ces manquements à l’hygiène et à la protection animale en abattoir. Le rapport final présenté en 2013 par les sénatrices Sylvie Goy-Chavent et Bernadette Bourzai avait préconisé d’imposer des contrôles physiques des vétérinaires au poste d’abattage, pour suivre les incidents d’étourdissement ou d’égorgement. Force est de constater et de regretter que le ministère de l’Agriculture n’a donné aucune suite à ce rapport, en continuant d’ignorer les recommandations de la mission sénatoriale et les demandes des associations de protection animale. Stéphane Le Foll accusait récemment sur Europe 1 la sénatrice Sylvie Goy-Chavent d’avoir pour objectif qu’il n’y ait plus de viande dans nos assiettes. Quelle triste manœuvre pour décrédibiliser une opposante…

La stratégie de la France pour le bien-être des animaux 2015-2020 annoncée par le ministre de l’Agriculture se doit de débuter par un contrôle renforcé de tous les abattoirs. Une modification de la réglementation s’avère également indispensable pour que les violations manifestes et répétées aux textes assurant la protection animale en abattoir ne soient plus sanctionnées, comme aujourd’hui, par de simples amendes.

L’OABA demandera, lors du comité Bien-être animal du Conseil national d’orientation des politiques sanitaires animales et végétales (Cnopsav), à ce que la Brigade nationale d’enquêtes vétérinaires et la mission d’audit sanitaire de la Direction générale de l’alimentation (DGAL) soient saisies aux fins d’inspections dans tous les abattoirs. Faute de mesures concrètes, les dérives continueront dans certains abattoirs, dérives qui seront à nouveau dénoncées par des vidéos volées, jetant le discrédit sur toute une filière.

ENTRETIEN AVEC GHISLAINE JANÇON

Les dérives pointées par le reportage de l’association L214 vous surprennent-elles ? Comment sont-elles possibles dans des abattoirs censés être aux normes en France ?

Ghislaine Jançon : De telles images surprennent et révoltent, alors que la réglementation est très élaborée en ce qui concerne le respect du bien-être animal dans les abattoirs. Le règlement européen de 2009 a notamment apporté beaucoup d’éléments. Il vient homogénéiser les réglementations et faire en sorte que la lecture effectuée par tous les États soit identique. Il prévoit aussi l’étourdissement préalable obligatoire de l’animal, sauf dérogation pour les abattages rituels, ainsi que la vérification de son efficacité. Il responsabilise les opérateurs des abattoirs, qui doivent mettre en œuvre des mesures spécifiques (mise en place du contrôle de l’étourdissement, planification de modes opératoires normalisés, choix d’un personnel formé, maintenance du matériel d’immobilisation et d’étourdissement, etc.). Il incite les États à mettre en place des guides de bonnes pratiques.

Par ailleurs, ce règlement met en place le dispositif de “responsable du bien-être des animaux”, qui est sous l’autorité directe de l’exploitant de l’abattoir. Ce référent doit avoir effectué une formation dédiée et obtenu un certificat de compétence pour l’ensemble des opérations réalisées dans l’abattoir dont il est responsable. Il doit tenir un registre répertoriant les mesures prises pour améliorer le bien-être animal.

En France, dès 1964, le décret dit “humanitaire” a pris en compte les conditions d’abattage et imposé l’étourdissement préalable à la saignée pour les animaux « de boucherie et de charcuterie ». Aujourd’hui, le Code rural décline les dispositions essentielles de protection animale en abattoir. L’article L.214-1 précise en préalable la nature sensible de l’animal ; les articles R.214-63 et suivants détaillent l’ensemble des dispositions à observer pour la mise à mort des animaux. L’article R.214-65 stipule en particulier que « toutes les précautions doivent être prises en vue d’épargner aux animaux toute excitation, douleur ou souffrance évitables pendant les opérations de déchargement, d’acheminement, d’hébergement, d’immobilisation, d’étourdissement, d’abattage ou de mise à mort ». C’est pourquoi les images du reportage en question laissent perplexe.

La réglementation semble en effet bien construite mais encore faut-il qu’elle soit appliquée. Chaque image de telles vidéos prise séparément est insupportable et montre que la réglementation n’est pas respectée. Un contrôle de l’Administration est prévu, il n’a cependant pas lieu en continu. La mise aux normes de l’ensemble des abattoirs s’est faite de manière très hétérogène, avec certainement plus de dérives dans les petits établissements, car elle nécessite des moyens à la fois financiers et humains.

Les dérives visualisées ici concernent surtout l’immobilisation : l’animal doit être bien contenu pour éviter toute blessure et afin que l’étourdissement soit correctement réalisé (le matériel de contention doit donc être adapté au gabarit de l’animal) ; la saignée doit être effectuée rapidement, avant une reprise de conscience ; l’animal ne doit jamais être suspendu en état de conscience, contrairement à ce que montrent certaines de ces images. Lors d’un abattage rituel, où l’étourdissement préalable n’est généralement pas réalisé, conformément à la dérogation, un procédé de contention adapté et efficace doit être prévu (mécanique, est-il précisé pour les ruminants) ; l’animal doit ensuite être maintenu tant qu’apparaissent des signes de conscience ; la perte de conscience doit être vérifiée avant de libérer l’animal de la contention et, si celle-ci tarde à venir, un étourdissement complémentaire est prévu.

Est-il suffisant et pertinent que le référent en bien-être animal soit sous l’autorité directe du responsable de l’abattoir ?

G. J. : Ma première critique vis-à-vis de ce dispositif est qu’il n’est pas prévu pour tous les abattoirs, mais seulement pour les plus importants (plus de 1 000 unités gros bétail, plus de 150 000 oiseaux ou lapins à l’année). Les petits abattoirs ne bénéficient donc pas de cet encadrement, ce qui implique un risque accru de dérives.

Ma deuxième critique concerne effectivement le rapport hiérarchique et financier qui existe entre le référent et l’exploitant : le référent est théoriquement en capacité d’exiger de la part du personnel certaines mesures correctives, mais si celles-ci viennent à trop perturber les cadences, on peut se demander s’il sera en capacité de le faire réellement.

D’une manière générale, le dispositif réglementaire de la protection des animaux en abattoir est élaboré, mais repose énormément sur les opérateurs eux-mêmes.

Comment améliorer le système ?

G. J. : Au niveau de l’abattoir, le contrôle ante-mortem est effectué par un vétérinaire (recherche de maladie contagieuse, animal blessé qui sera alors écarté de la chaîne d’abattage, etc.). En post-mortem, ce sont les techniciens qui vont effectuer ce contrôle et informer le vétérinaire s’ils constatent des anomalies. Malheureusement, entre ces deux étapes, les vétérinaires sont peu présents. Il faudrait plus de confrères aux postes d’étourdissement et de saignée pour contrôler la qualité de ces actes. Il serait également pertinent que le vétérinaire puisse contrôler le sacrificateur. Le référent bien-être animal a des missions, des responsabilités, mais dans quelle mesure peut-il effectuer ses missions en toute indépendance alors qu’il est sous l’autorité de l’opérateur ? Un conflit d’intérêts est indéniable.

PROPOS RECUEILLIS PAR MARINE NEVEUX

Retrouvez l’intégralité de l’interview sur http://bit.ly/1W4iIAA.

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