LA TERRE DES PAYSANS

En 1967, la publication de La Fin des paysans, le livre d’Henri Mendras, a fait l’effet d’une bombe. Le sociologue y prédisait la disparition en France d’un monde millénaire, le remplacement des paysans par des agriculteurs-producteurs n’obéissant plus qu’aux règles de la technique et de l’économie. Un changement de paradigme désormais acté dans nos campagnes : la paysannerie – société de transmission-assignation où l’on naissait, travaillait et mourait paysan – n’existe plus. Dans les décennies qui ont suivi l’intense remembrement des années 1960, des agriculteurs ont continué cependant de vivre comme leurs ancêtres, perpétuant des savoir-faire périmés à l’égard de la productivité. Situées généralement sur les “mauvaises terres” (beaucoup de régions montagneuses), ces enclaves paysannes et leurs pratiques ont été immortalisées, remarquablement, par l’objectif de Serge Chevallier entre 1979 et 2000. Les trois cents clichés sélectionnés pour le livre (accompagnés de légendes très précises du photographe) témoignent clairement de l’apport de cette relation séculaire aux bêtes et à la nature pour l’entretien des terroirs comme d’une biodiversité domestique. Les textes de Philippe Jacques Dubois (introduisant chaque chapitre dont plusieurs sont consacrés à la relation hommes-animaux) confirment que ce patrimoine culturel négligé est moins exhumé ici par nostalgie que pour méditer sur l’avenir du monde rural, maintenant que le modèle productiviste est à son tour en crise.

Les Derniers Paysans de Philippe Jacques Dubois et Serge Chevallier, Delachaux et Niestlé, 20 x 22 cm, 288 pages, 25 €.