Comment la microflore digestive se met-elle en place chez le poulain ?

Chez le cheval adulte, les micro-organismes présents dans le gros intestin (cæcum et gros côlon) jouent un rôle majeur dans la digestion des constituants fibreux de la ration en nutriments énergétiques. Cette microflore, constituée en grande majorité de bactéries, s’implante dans le tractus digestif du poulain dès sa naissance selon un processus séquentiel. Toute altération de la mise en place de la microflore intestinale pourrait avoir des répercussions négatives en termes de nutrition mais aussi de santé et ce, jusqu’à l’âge adulte. Une meilleure connaissance du processus de colonisation chez le poulain permettra à terme de proposer des stratégies nutritionnelles dès le plus jeune âge afin d’optimiser les performances et la santé du cheval une fois adulte.

Les premiers travaux scientifiques internationaux sur la mise en place de la microflore digestive chez le poulain ont été initiés à Dijon dans les années 1990. Récemment, une thèse universitaire conduite à Agrosup Dijon a étudié les séquences d’implantation de la microflore digestive dans les fèces du poulain. Plusieurs méthodes ont été utilisées pour ce suivi : dénombrement des principaux groupes bactériens fonctionnels, dosage des produits terminaux de la fermentation, quantification de souches bactériennes spécifiques par quantitative polymerase chain reaction (qPCR), etc. Ces différentes approches ont permis de déterminer à la fois la cinétique d’implantation des bactéries et la mise en place de l’activité microbienne.

Implantation de la microflore digestive chez le poulain

À sa naissance, le poulain se trouve en contact avec une multitude de micro-organismes présents dans son environnement. Dès lors qu’ils sont ingérés, ils peuvent coloniser son tractus digestif.

Chez le poulain nouveau-né, la colonisation du gros intestin par les bactéries est un phénomène extrêmement précoce et rapide. En effet, la population bactérienne totale retrouvée dans les fèces passe de 102 à 1 010 au cours des deux premiers jours de vie (^figure). À partir du cinquième jour, la concentration bactérienne des fèces commence à diminuer pour tendre vers des niveaux proches de ceux retrouvés chez l’adulte. En parallèle, la diversité des espèces bactériennes rencontrées augmente.

À partir de l’âge de 1 mois, aucune modification majeure n’est observée et les proportions entre les différents groupes bactériens deviennent stables, suggérant que la communauté bactérienne du gros intestin est établie.

L’établissement des bactéries commensales au cours du premier mois de vie du poulain permet la mise en place de “l’effet barrière” de l’intestin, indispensable dans la lutte contre l’implantation des agents pathogènes. Il favorise également le développement et l’activation du système immunitaire associé à l’intestin, première ligne de défenses locales du poulain.

Mise en place de l’activité fermentaire

Parmi les différentes populations bactériennes se mettant en place, les bactéries cellulolytiques responsables de la dégradation des constituants fibreux de la ration s’implantent à partir du milieu de la première semaine de vie. Auparavant, la présence d’oxygène dans l’environnement intestinal ne permet pas leur survie dans le gros intestin. Ces bactéries atteignent des niveaux comparables à ceux mesurés chez l’adulte dès 1 mois d’âge (^figure).

L’activité fibrolytique démarre à la fin de la deuxième semaine de vie et est stable dès 2 mois : à partir de cet âge, le poulain devient un herbivore capable de tirer parti des constituants fibreux qu’il ingère. Les glucides pariétaux (cellulose et hémicelluloses notamment) représentent alors une nouvelle source énergétique en complément du lait maternel. Ceci est indispensable, dans la mesure où, à partir de 2 mois et demi, la production laitière de la jument ne permet plus de couvrir la totalité des besoins du poulain.

Enfin, dès lors que le poulain a eu accès à une alimentation solide dès son plus jeune âge, le sevrage réalisé à 6 mois n’a pas d’impact majeur sur sa microflore digestive.

Origine des bactéries

L’origine des bactéries s’implantant dans le tractus digestif du poulain est peu connue. À la naissance, l’environnement microbien du poulain est largement dominé par les bactéries maternelles. Celles-ci se transmettraient au poulain via différents modes de contamination :

– bien qu’il ait longtemps été considéré que le tractus digestif du poulain était stérile à la naissance, plusieurs travaux récents ont rapporté la présence de bactéries dans le méconium, premières fèces du poulain formées pendant son développement in utero. Il n’est pas impossible que les microorganismes présents proviennent d’une contamination environnementale ayant eu lieu à la naissance. Néanmoins, sur la base d’une hypothèse actuellement développée chez l’humain, il serait possible qu’un transfert de matériel génétique bactérien existe entre la mère et son fœtus pendant la gestation. Les microorganismes transmis par la mère in utero pourraient alors servir d’inoculum pour le tractus digestif du poulain ;

– le comportement de coprophagie observé dès les premiers jours de vie a longtemps été considéré comme une des principales sources de microorganismes chez les équidés. Par des méthodes de biologie moléculaire, il a été démontré que le colostrum puis le lait auraient également un rôle essentiel à jouer dans l’origine des bactéries qui s’implantent dans les tout premiers jours de vie. La coprophagie semble avoir un impact plus tardif, probablement en lien avec l’implantation des bactéries cellulolytiques au cours de la première semaine de vie.