LEPTOSPIROSE CANINE : UN CONSENSUS EUROPÉEN - La Semaine Vétérinaire n° 1631 du 22/05/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1631 du 22/05/2015

Dossier

Auteur(s) : Serge Trouillet

La leptospirose est bien connue des praticiens qui s’occupent des animaux de compagnie. Malgré les nombreuses questions qu’elle soulève encore, elle fait aujourd’hui l’objet, en Europe, d’un consensus sur l’épidémiologie, la clinique, les outils de diagnostic, la prévention et les moyens de traitement pertinents. Présentation des principaux aspects de cette maladie zoonotique, plus spécifiquement chez le chien1.

La leptospirose est une maladie zoonotique, dont la distribution est mondiale. Les leptopires sont, en effet, des bactéries cosmopolites auxquelles la plupart des espèces de mammifères sont réceptives. Le chien tient notamment une place particulière dans cette maladie pour deux raisons : il fréquente des milieux hautement contaminés, qu’il soit utilisé pour la chasse ou non, et sa proximité avec l’homme est extrêmement forte. Son potentiel de portage rénal est certes, a priori, inférieur à celui des espèces réservoirs primaires connues, mais il est important, notamment pour le sérovar Canicola, dont il semble être porteur. Sa sensibilité à la leptospirose est élevée et celle-ci, lorsqu’elle est déclenchée, peut s’avérer grave, voire mortelle.

Les formes cliniques sont communes chez les chiens, mais semblent rares chez les chats (encadré page 40). Les uns comme les autres, cependant, peuvent excréter des leptospires dans l’urine et conduire à une exposition humaine. Le contrôle de la leptospirose est donc essentiel, non seulement pour l’animal, mais également pour la santé publique. À cet égard, en écho au consensus établi en 2011 par le collège américain de médecine interne sur cette maladie, les Européens ont publié le leur en mars 20152. Un point de situation partagé, sur les connaissances actuelles, d’autant plus nécessaire que l’épidémiologie et la vaccination ne sont pas semblables en Amérique du Nord et en Europe où, de plus, émerge une forme hémorragique pulmonaire qui semble moins observée ailleurs.

Une grande variété de symptômes

Les leptospires pénètrent chez le chien soit par voie muqueuse (buccale, nasale, etc.), soit par voie cutanée, à la faveur de lésions. Il s’ensuit une phase de leptospirémie : la bactérie emprunte la voie sanguine pour se disséminer dans tout l’organisme et atteindre les organes cibles, notamment le foie et les reins, qu’elle colonise. Elle s’y installe et induit une leptopirurie. D’autres organes peuvent également être touchés : poumon, rate, œil, système nerveux central, tractus génital et digestif, etc. La diffusion de la bactérie est systémique.

L’infection par les leptospires pathogènes conduit à des symptômes variés. Ils peuvent être subcliniques à sévères, parfois mortels. L’infection asymptomatique, voire subclinique, passe parfois inaperçue. À l’opposé, une infection suraiguë mortelle peut apparaître en quelques heures, sans avoir été nécessairement annoncée par des signes précurseurs. Peu de données renseignent sur des formes chroniques, mal connues. La forme la plus classiquement décrite chez les chiens est la leptospirose aiguë. Sa période d’incubation, jusqu’au développement des signes cliniques, est approximativement de sept jours dans les conditions expérimentales, mais elle peut varier selon l’immunocompétence de l’hôte, la dose infectieuse et le sérovar.

Un diagnostic complexe

La leptospirose aiguë se caractérise d’abord par l’apparition de signes généraux, comme une hyperthermie, même si elle est inconstante, une anorexie, une déshydratation, une congestion des muqueuses et une douleur abdominale. D’autres symptômes sont plus spécifiques d’atteintes d’organes, notamment des reins et du foie. Ceux qui prédominent sont incontestablement une insuffisance rénale aiguë et une insuffisance hépatique. Des troubles digestifs sont parfois associés. D’autres signes peuvent accompagner la leptospirose aiguë : fièvre (phase précoce), détresse respiratoire, syndrome hémorragique, pancréatite, manifestations cardiaques, lésions ophtalmiques3.

Une fois les symptômes apparus, l’animal est présenté chez le vétérinaire, mais le diagnostic à poser en pareille situation n’est pas simple ! Les éléments épidémiologiques sont peu spécifiques : les sources de contamination éventuelle du chien sont présentes un peu partout dans son environnement. Les éléments cliniques ne le sont guère davantage : chacun des signes peut être présenté indépendamment l’un de l’autre. Il est donc difficile de confirmer la leptopirose uniquement sur les signes cliniques.

PCR et MAT : deux tests complémentaires

Des examens complémentaires sont donc indispensables. Ils passent, dans un premier temps, par la mise en évidence d’anomalies sanguines et urinaires. La numération et formule sanguines (NFS) permet de révéler une anémie, une leucocytose à tendance neutrophilique et une thrombocytopénie. Les examens biochimiques attestent des perturbations rénales et hépatiques. Quant aux analyses urinaires, elles peuvent indiquer une glucosurie qui n’est pas accompagnée d’hyperglycémie, une protéinurie, etc. Au final, rien non plus de très spécifique, sinon des éléments supplémentaires utiles à la démonstration de l’implication des leptospires dans les signes cliniques observés (encadré page 41).

Deux autres examens complémentaires sont nécessaires : la sérologie et la polymerase chain reaction (PCR). Le test de microagglutination (MAT), pour déceler la présence d’anticorps spécifiques dans le sérum, et la PCR, qui détecte une partie du génome de l’agent pathogène, sont utilisés de façon courante comme outils diagnostiques4. Chacun de ces tests a ses avantages et ses limites. Leur performance dépend de différents facteurs, comme l’étape de l’infection ou le traitement antibiotique antérieur. Il est conseillé de combiner les deux approches, avec une sérologie MAT, en confrontation avec le passé vaccinal, et un test PCR réalisé à la fois sur le sang et sur l’urine, avant un traitement antibiotique.

Une mortalité élevée

Dans la quasi-totalité des cas, la leptospirose aiguë nécessite une hospitalisation avec la mise en place, avant même le diagnostic définitif, d’un traitement spécifique. Les auteurs du consensus européen recommandent d’utiliser un traitement avec de la doxycycline, 5 mg/kg toutes les 12 heures ou 10 mg/kg par 24 heures, pendant 14 jours. En présence de signes intestinaux, qui pourraient conduire l’animal à mal supporter ce traitement, il faut d’abord utiliser un dérivé de pénicilline (ampicilline à la dose de 20 à 30 mg/kg toutes les 6 à 8 heures, ou pénicilline G, 25 000 à 40 000 unités/kg toutes les 6 à 8 heures, ou amoxicilline, 20 à 30 mg/kg toutes les 6 à 8 heures). Dès que le chien retrouve ses fonctions intestinales normales, il convient de repasser à la doxycycline, qui permet d’éliminer le portage.

Il est important, parallèlement à ce traitement spécifique, de lutter contre les symptômes en soutenant l’organisme et les organes défaillants (antiémétiques, perfusion, diurèse, voire hémodialyse, etc.). Le pronostic est variable en fonction des signes cliniques observés, mais globalement la mortalité est élevée, avec des taux qui peuvent atteindre 50 %.

De nombreuses inconnues

La valence leptospirose est aujourd’hui incluse dans les protocoles classiques de la vaccination des chiens, laquelle constitue la seule arme de prévention (encadré page 38). Maladie zoonotique, elle peut se développer chez l’homme après une incubation de deux à 20 jours. Dans la majorité des cas, cela se traduit par un syndrome fébrile. Chez un petit pourcentage, une infection multiorganique est détectée, avec une insuffisance rénale et hépatique, avec ou sans hémorragie pulmonaire. Toutes les personnes en contact avec les animaux, l’eau ou la terre, sont exposées à ce risque. Celui relatif à l’exposition des humains avec les chiens affectés est, cependant, méconnu. Une étude récente, menée dans une équipe vétérinaire confrontée à beaucoup de cas de leptospirose canine, montre que la séropositivité aux leptospires5 a été rare chez les personnels soignants et les clients. S’il est généralement considéré que la leptospirurie cesse après les premiers jours du traitement antibiotique, des précautions sont à respecter lors de la manipulation d’un chien suspecté de leptospirose (encadré page 39). Les collectivités canines doivent aussi y être sensibles et prendre des mesures supplémentaires (dératisation, utilisation de conteneurs de nourriture spécifiques, etc.). La maladie recèle de nombreuses inconnues. Des progrès sont attendus en matière de diagnostic, de prise en charge et de prévention, grâce à une approche multidisciplinaire, seule à même de proposer des solutions efficaces.

  • 1 Dossier rédigé d’après :

    – Schuller S., Francey T., Hartmann K. et coll. European consensus statement on leptospirosis in dogs and cats. J. Small Anim. Pract. 2015;56:159-179.

    – La journée sur la leptospirose, organisée par le laboratoire des leptospires de VetAgro Sup Lyon et l’Entente de lutte interdépartementale contre les zoonoses (Eliz), qui s’est tenue à Clermont-Ferrand le 13 mars 2015.

  • 2 Voir étude de la note 1.

  • 3 Lire page 24 de ce numéro.

  • 4 Lire pages 42 et 43 de ce numéro.

  • 5 Barmettler R. et coll. Assessment of exposure to leptospira serovars in veterinary staff and dog owners in contact with infected dogs. J. Am. Vet. Med. Assoc. 2011;238:183-188.

  • 1 Rodriguez J. et coll. Serologic and urinary PCR survey of leptospirosis in healthy cats and in cats with kidney disease. J. Vet. Intern. Med. 2014;28:284-293.

Seule arme de prévention, la vaccination

Même avec la vaccination, la protection n’est que partielle. L’intégralité des sérovars présents sur le terrain n’est pas couverte, même si des recherches sont actuellement menées pour trouver des éléments communs qui permettront la création de vaccins avec un large spectre de protection. Compte tenu de la présence répandue de la leptospirose en Europe chez les chiens qui ont été vaccinés avec un vaccin bivalent, l’utilisation de vaccins quadrivalents est recommandée pour augmenter le spectre de la protection. Le seul vaccin quadrivalent actuellement sur le marché en France est le Nobivac® L4, de MSD (sérogroupes Canicola, Icterohaemorrhagiae, Australis et Grippotyphosa).

Malgré cette protection partielle, l’objectif de la vaccination est triple. Il s’agit de :

– réduire voire prévenir, dépendamment de la performance du vaccin, la bactériémie (l’infection) ;

– réduire ou prévenir les signes cliniques ;

– réduire ou prévenir le portage rénal ainsi que l’excrétion urinaire, ce qui est essentiel dans le cadre de la prévention de la zoonose et de la contamination du milieu.

D’une manière générale, le protocole vaccinal se réalise en deux injections, en primovaccination, suivies de rappels annuels, puisque les durées d’immunité peuvent dépasser un an pour la protection contre la leptospirose. Le rappel annuel sera d’autant plus efficace s’il est effectué au printemps, avant la période la plus à risque. Lorsque les chiens n’ont pas été vaccinés pendant 18 mois, il est nécessaire de recommencer la primovaccination. Le consensus européen est en faveur d’une revaccination d’un chien une fois guéri, compte tenu du fait que l’immunité, même après maladie, est de durée limitée (a priori) et, surtout, spécifique du sérogroupe en cause.

Recommandations pour les mesures d’hygiène dans les cliniques vétérinaires

– Commencer un traitement antibiotique chez l’animal avec de la doxycycline aussitôt que possible, afin d’interrompre l’élimination urinaire des leptospires.

– Utiliser des désinfectants courants, rapidement et correctement, sur les surfaces contaminées par l’urine. De nombreux produits conviennent : sels d’ammonium quaternaires, peroxyde d’hydrogène, désinfectants iodés, eau de Javel diluée au 1/32.

– Placer des logos sur les cages pour indiquer la présence d’animaux malades.

– Limiter les mouvements des chiens infectés.

– Promener les chiens dans des aires qui peuvent être facilement désinfectées, si un cathéter urinaire n’est pas mis en place.

– Laisser en place un cathéter urinaire (préférable aux sondages intermittents), si l’élimination urinaire doit être mesurée.

– Éviter les contacts entre les chiens suspects et les femmes enceintes ou les personnes immunodéprimées.

– Se laver les mains correctement avant et après avoir manipulé les chiens.

– Porter des gants, un masque et des lunettes lors du nettoyage des cages.

– Placer les déchets dans des sacs de déchets de soins.

– Inactiver l’urine avec un désinfectant (eau de Javel diluée).

– Considérer tous les fluides corporels des chiens comme des déchets médicaux.

– Informer toute l’équipe en contact avec les animaux suspects, ainsi que le personnel de laboratoire en charge des échantillons.

Leptospirose chez le chat

Le rôle de la leptospirose comme une cause d’insuffisance rénale chronique chez les chats et les chiens nécessite plus d’études. Les premiers peuvent être infectés par les leptospires, mais les signes cliniques sont rares. Aucune différence significative n’est notée entre le taux d’anticorps chez les chats malades et chez les chats sains. Toutefois, une étude1 récente montre que les chats atteints d’insuffisance rénale, aussi bien aiguë que chronique, sont plus souvent séropositifs aux leptospires et excréteurs de leptospires dans leur urine, comparés aux sujets sains. Cela peut indiquer un lien entre l’infection par les leptospires et les maladies rénales chez le chat. Un portage urinaire chez des sujets sains vivant à l’extérieur a aussi été démontré. Le rôle des chats sains comme réservoirs et celui de la leptospirose chez cette espèce ont ainsi pu être sous-estimés par le passé.

Éléments cliniques de suspicion de leptospirose appelant une confirmation par des tests

Syndromes cliniques ou conditions qui doivent conduire à rechercher une leptospirose :

– insuffisance rénale aiguë,

– isosthénurie associée à une glucosurie sans hyperglycémie,

– hépatopathie aiguë associée plus ou moins à un ictère,

– détresse respiratoire associée plus ou moins à une hémoptysie d’origine incertaine avec, en plus, des anomalies radiographiques.

Syndromes cliniques ou conditions pour lesquels la leptospirose doit être incluse dans le diagnostic différentiel (sans forcément induire tout de suite des tests complémentaires) :

– gastroentérite hémorragique aiguë non due à un parvovirus,

– syndrome fébrile,

– uvéite ou hémorragie rétinienne.

Éléments renforçant une suspicion clinique de leptospirose :

– thrombocytopénie, anémie,

– sédiment urinaire anormal (pyurie, hématurie, protéinurie, cylindres urinaires),

– saignements sous-cutanés, troubles de la coagulation,

– anomalies échographiques (néphromégalie, épanchement périrénal, hyperéchogénicité de la médullaire rénale, pyélectasie),

– éléments épidémiologiques (baignades, contacts avec des rats sauvages).

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