Olivier Keravel : « Des évolutions prometteuses pour l’oncologie » - La Semaine Vétérinaire n° 1629 du 09/05/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1629 du 09/05/2015

ENTRETIEN

Pratique canine

L’ACTU

Auteur(s) : Hélène Rose

Notre confrère, qui s’occupe de l’activité scanner et de l’oncologie médicale au sein d’Eiffelvet (Paris), souligne notamment les progrès de l’immunothérapie dans ce domaine.

Comment percevez-vous votre place dans la chaîne de soins ?

À mon sens, le rôle de l’oncologue se situe très en amont dans la prise en charge, car il est le mieux placé pour conseiller sur la stratégie thérapeutique, en l’adaptant aux moyens financiers du propriétaire, à la nature et au stade de la tumeur, et à l’état général de l’animal. Ce qui explique aussi mon intérêt pour les examens d’imagerie, dont la place est essentielle dans une démarche logique. En exagérant un peu, toute masse suspecte devrait entraîner la réalisation d’un scanner… Inciter les propriétaires à financer systématiquement un bilan d’extension me semble primordial : seule une démarche cohérente permet un meilleur traitement, favorise une intervention chirurgicale bien menée, et évite de s’engager dans des actes – et des frais – inutiles pour l’espérance de vie et le confort de l’animal quand la situation est trop évoluée.

L’attitude de la profession dans son ensemble doit-elle évoluer ?

Un des réflexes qu’il faudrait perdre est d’utiliser des corticoïdes en première intention en cancérologie. Les AINS Cox-21 spécifiques sont préférables dans de nombreux cas de sarcomes des tissus mous, de carcinomes mammaires, de fibrosarcomes, pour leurs effets immunomodulateur, anti-inflammatoire et anti-angiogenèse.

D’ailleurs, un changement de paradigme chez nos clients est à encourager : les propriétaires hésitent moins à traiter leur animal pour une maladie cardiaque ou rénale malgré une espérance de vie souvent limitée et une qualité de vie moyenne que lors de cancer, alors qu’agir très en amont permettrait à leur animal de vivre avec un cancer, longtemps et en bonne santé.

Quelles sont les perspectives prometteuses dans le traitement oncologique ?

Récemment, la recherche fondamentale a permis d’améliorer la connaissance du système immunitaire, ce qui a suscité un regain d’intérêt pour l’immunothérapie. Celle-ci soulève beaucoup d’espoir aujourd’hui en médecine humaine, et des applications sont possibles en médecine canine et féline. Il s’agit globalement d’éduquer le système immunitaire à répondre au cancer. Plusieurs approches sont possibles : l’immunothérapie non spécifique avec, par exemple, les cytokines, l’immunothérapie ciblée avec les anticorps monoclonaux ou les inhibiteurs des tyrosines kinases, l’immunomodulation et la vaccinothérapie. À l’avenir, les traitements classiques et les différentes approches d’immunothérapie devraient être utilisés de manière complémentaire. D’ailleurs, la radiothérapie et certaines molécules de chimiothérapie ont un effet immunogène, tout comme certains produits de phytothérapie, d’algothérapie (algues) ou de mycothérapie (champignons). Et les pistes de recherche sont nombreuses. Le jeûne séquentiel, par exemple, diminue les effets secondaires de la chimiothérapie tout en augmentant son efficacité.

Quelles sont les pistes en immunothérapie non spécifique ?

Depuis 2013, des interleukines 2 sont disponibles chez le chat pour le traitement du fibrosarcome. Comme le précise l’autorisation de mise sur le marché (AMM), elles sont à utiliser en complément d’une intervention chirurgicale et de radiothérapie. Les interleukines 2 pouvant agir comme une “bombe immunogène”, je préfère les utiliser lorsqu’il n’est pas possible d’obtenir des marges saines chirurgicalement.

Stimuler l’action des cellules NK (natural killer) est une autre piste de traitement. Celles-ci sont dépourvues de récepteurs aux lymphocytes T régulateurs, qui inhibent l’action des autres cellules du système immunitaire. Un essai clinique de phase 2 est en cours chez l’homme aux États-Unis avec une lignée dite NK92 couplée à un anticorps monoclonal, qui est injectée directement dans un ganglion atteint. Des essais in vitro ont été menés sur des cellules de lymphome canin, mais les chercheurs n’ont pas encore développé de cellules NK canines, pour des essais in vivo chez le chien.

Et pour l’immunothérapie ciblée ?

Les praticiens sont déjà sensibilisés à l’utilisation des inhibiteurs des tyrosines kinases, présents sur le marché vétérinaire depuis quelques années pour le traitement des mastocytomes canins. Les anticorps monoclonaux sont une autre piste prometteuse. L’objectif est de trouver des antigènes sélectifs exprimés par les cellules tumorales, puis de développer des anticorps spécifiques. Deux anticorps monoclonaux canins sont actuellement en phase de test, l’un pour le lymphome B, l’autre pour le lymphome T, avec des premiers résultats encourageants. Ils pourraient arriver sur le marché dans les cinq ans à venir. La limite au développement de ces thérapies ciblées chez les animaux est leur coût. Le prix de vente doit rester abordable pour que les laboratoires rentabilisent leurs recherches, et c’est une vraie problématique.

Un autre essai en cours vise à coupler des anticorps monoclonaux spécifiques de lymphome B avec une molécule radioactive, pour la transporter au plus près des cellules tumorales. Cette possibilité de radio-immunothérapie suscite de l’espoir.

Comment fonctionne l’immunomodulation ?

Nous utilisons quotidiennement à Eiffelvet des protocoles dits immunogènes, qui associent de la chimiothérapie métronomique, des inhibiteurs des tyrosines kinases, des AINS Cox-2 spécifiques, de la phytothérapie, de l’algothérapie, de la mycothérapie, etc. Il existe peu de données cliniques chez les carnivores domestiques, mais pas mal de données théoriques. L’idée est d’aider un animal à contrôler son cancer en limitant au maximum les effets secondaires. En fait, ces protocoles agissent en grande partie via une régulation négative des lymphocytes T régulateurs, surexprimés lors de cancer et à l’origine d’un blocage de l’immunité cellulaire justement efficace contre le cancer.

Par ailleurs, la découverte et l’utilisation clinique récente en médecine humaine des checkpoint inhibitors en cancérologie semblent apporter un plus aux thérapeutiques immunomodulatrices existantes. Il s’agit de lever les freins à la réponse immunitaire cellulaire, particulièrement efficace contre le cancer mais systématiquement effondrée au sein de l’environnement microcellulaire tumoral et péritumoral. Ces freins sont repérés et débloqués via des anticorps monoclonaux ciblant tel ou tel récepteur, intervenant au moment de la phase de présentation de l’antigène ou lors du contact entre les lymphocytes activés et la cellule tumorale. Des AMM ont été délivrées chez l’homme contre le mélanome métastatique notamment, depuis 2011 et très récemment encore en 2014. Il s’agit d’une petite révolution qui, en association avec les autres techniques d’immunothérapie, permettra vraisemblablement, à court terme, de guérir les patients auparavant réfractaires aux nouvelles thérapies ciblées en particulier, soit près de 70 % des patients actuellement. Malheureusement, il n’existe pas à ce jour de checkpoint inhibitor pour les carnivores domestiques.

Qu’en est-il de la vaccination ?

Outre le vaccin autorisé aux États-Unis pour le traitement des mélanomes buccaux, des recherches sont en cours pour le développement d’un vaccin contre la télomérase, une enzyme qui répare et entretient les télomères des chromosomes. Dans 90 % des cancers chez le chien comme chez l’homme, une sous-unité Tert2 de la télomérase, immunogène – c’est-à-dire susceptible d’entraîner une réponse immunitaire – est surexprimée, alors qu’elle l’est peu dans les cellules normales. La cellule tumorale devient en quelque sorte immortelle : le champ d’application d’un tel vaccin pourrait être très vaste, à savoir un vaccin quasi universel contre le cancer ! Des recherches chez le chien portent actuellement sur le moyen le plus efficace de faire pénétrer de l’ADN vaccinal jusqu’aux cellules du système immunitaire. Une équipe italienne a travaillé sur l’électroporation en intramusculaire, mais cette technique n’est pas très satisfaisante car le muscle contient peu de cellules immunitaires. Avec la société Invectys, nous travaillons à l’injecter dans le derme, riche en cellules de Langerhans, présentatrices d’antigènes, ce qui semble une piste prometteuse. Chez l’homme, un essai de phase 1 est en cours. L’idée serait de vacciner des individus en bonne santé, suffisamment tôt pour que leur système immunitaire soit encore compétent. Cela relève d’ailleurs d’une idée directrice en immunothérapie du cancer, à savoir : vivre avec son cancer sans nécessairement le détruire mais en le contrôlant.

  • 1 Anti-inflammatoires non stéroïdiens inhibant la cyclo-oxygénase 2.

  • 2 Telomerase reverse transcriptase.

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L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

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