L’ANIMAL ÊTRE SENSIBLE : COMMENT CETTE AVANCÉE TOUCHE LA PROFESSION - La Semaine Vétérinaire n° 1629 du 09/05/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1629 du 09/05/2015

Dossier

Auteur(s) : Sophie Komaroff

Même s’ils restent soumis au régime des biens meubles, les animaux ont désormais le statut « d’êtres vivants doués de sensibilité », selon le Code civil. Si l’amendement Glavany ne bouleverse pas la profession vétérinaire ni le droit de l’animal, et a plus une valeur symbolique, il pourrait cependant générer certaines évolutions.

Évidence pour les vétérinaires, nouveauté pour le Code civil : les animaux domestiques sont des êtres sensibles. Ce texte de référence pour les droits des personnes et des biens précise que « sous réserve des lois qui les protègent, les animaux sont soumis au régime des biens. » Voilà qui n’est guère annonciateur d’une révolution pour la profession vétérinaire. « C’est un changement minime, estime Claude Béata, vétérinaire comportementaliste et président d’honneur de l’association Zoopsy. Cette modification de statut ne concernera pas les confrères : les animaux qui sont leurs “patients” sont des êtres sensibles et ils le savent ! Dans un premier temps, cela ne va donc rien bouleverser. »

En superficie, l’amendement Glavany peut être traduit comme une simple harmonisation du Code civil avec les Codes pénal et rural. Depuis 1976, le Code rural reconnaît la sensibilité de l’animal ayant un propriétaire et comporte une multitude d’articles destinés à interdire les mauvais traitements, avec des sanctions pénales à la clé. « C’est le texte qui protège le mieux l’animal et les vétérinaires le connaissent bien », souligne Ghislaine Jançon, du Conseil supérieur de l’Ordre. Le Code pénal suit aussi cette direction : il prévoit que l’animal victime de mauvais traitements soit remis à une association de protection animale, celle-ci pouvant se porter partie civile. « L’amendement Glavany ne fait que renvoyer à des obligations existantes. Pour le vétérinaire, notamment, il n’y en aura donc pas de nouvelles. Cependant, les magistrats, qui connaissent mieux le Code civil, prendront peut-être davantage en compte certaines dispositions des différents codes techniques peu ou pas appliquées », poursuit Ghislaine Jançon. Un point de vue partagé par Laurent Faget, vétérinaire et expert auprès des tribunaux. « L’animal est bien protégé par un arsenal juridique, rarement mis en œuvre, parce que le Code civil, qui reste dans les esprits le navire amiral, le définissait comme un bien meuble. La reconnaissance de la sensibilité de l’animal représente certes une évolution sémantique importante, mais nous ignorons comment les juges la feront vivre. Un temps d’analyse jurisprudentiel est nécessaire. » Avec, au bout du compte, l’espoir d’une meilleure application des Codes pénal et rural et de sensibiliser les hommes de droit à ce qu’est l’animal.

En accord avec l’éthique du care

En ce sens, l’article 515-14 du Code civil ne sera donc pas transparent à l’avenir pour la profession vétérinaire, que ce soit dans le cadre de soins à la clinique ou en élevage, ou encore lors d’actes zootechniques assistés par des praticiens (l’écornage des bovins, par exemple). « Il permettra une meilleure prise en compte de la souffrance, de la sensibilité douloureuse mais aussi psychologique », avance Claude Béata. Ce dernier établit un parallèle entre la notion de sensibilité et l’éthique de la sollicitude et du soin (du care, en anglais), développée en sciences infirmières, puis vétérinaires. L’objectif pour le praticien est, entre autres, de réduire au maximum la souffrance et la peur de l’animal lors de la consultation, par exemple. « Cette disposition renforce clairement notre obligation de moyens, de conseils et de résultats, car nombreux sont les propriétaires à avoir une idée erronée de ce qui est bien ou non pour leur animal, renchérit Vincent Boureau, de la commission bien-être et comportement de l’Avef1. Le vétérinaire devra, en amont, s’assurer que les conditions de vie de l’animal sont en adéquation avec ses besoins. Il sera forcément mis en cause lors d’atteinte au bien-être animal. La formation se révélera nécessaire. »

D’un point de vue purement légal, « il est possible d’imaginer qu’un confrère pris en défaut en termes de gestion de la douleur et de respect dû à l’animal pourrait être sanctionné sévèrement, souligne Laurent Faget. En outre, cette modification des valeurs peut amener à sanctuariser le corps de l’animal et impacter la manière dont sera examiné le préjudice causé à celui-ci. De même, l’erreur médicale pourrait être sous le coup d’une pénalisation plus lourde. Bien entendu, cela reste tout à fait prospectif pour le moment ».

Vers une reconnaissance du préjudice moral ?

Toujours au mode interrogatif, cette évolution du statut inscrite dans le Code civil entraînera-t-elle des changements concernant la valeur de l’animal ? Les vétérinaires sont en droit de se poser la question pour tout ce qui touche à leur responsabilité lors de mise en cause et aux éventuels dédommagements. « Cette reconnaissance de la sensibilité de l’animal pourrait constituer une protection pour le vétérinaire, selon Laurent Faget. Certes, dans la pratique, le remboursement des frais relatifs aux animaux de compagnie ne se limite pas à la valeur vénale de ceux-ci. Néanmoins, dans le cas d’un cheval d’une valeur de 5 000 € victime de fracture ayant reçu pour 15 000 € de soins, l’assureur s’est retourné contre le confrère pour avoir prodigué des soins supérieurs à la valeur vénale de l’équidé. »

La question de la valeur sentimentale est également soulevée, puisque l’amendement Glavany repositionne le lien homme-animal en reconnaissant sa valeur affective. Le préjudice moral pour le propriétaire lors de perte de son animal sera-t-il désormais considéré par les magistrats ? Ce point fait bien entendu débat : qu’en est-il de la sincérité des sentiments compensés par une somme d’argent ?

Si de nombreuses questions restent en suspens, il est possible d’avancer que la reconnaissance de la sensibilité de l’animal par le Code civil s’accompagnera d’une meilleure lisibilité des dispositions protégeant les animaux, y compris par le grand public. « Les vétérinaires peuvent également en tirer de la fierté vis-à-vis de leur travail, conclut Claude Béata. De nombreux confrères connaissent le burn-out ou se posent des questions sur l’utilité de soigner des animaux. Il importe de se rappeler que le lien homme-chien, par exemple, est extrêmement ancien, et le vétérinaire en est le gardien. La loi considère que l’animal est un être sensible et le vétérinaire est chargé de le protéger. Cela remonte le moral et accroît le plaisir d’exercer ce métier. C’est mieux que de se dire : “Je répare des biens meubles” ! »

  • 1 Association vétérinaire équine française.

  • 1 Association vétérinaire équine française.

  • 1 Ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt.

  • 2 Organisations non gouvernementales.

  • 3 Conseil national d’orientation de la politique sanitaire animale et végétale.

  • 4 Société nationale des groupements techniques vétérinaires.

ENTRETIEN AVEC VINCENT BOUREAU
« Le vétérinaire se retrouvera au centre de la problématique du bien-être animal »

Vincent Boureau Think tank Équi-Ethic, commission bien-être et comportement de l’Avef1.

Quel sera l’impact de l’amendement Glavany sur le bien-être des équidés ?

Il n’est plus possible de considérer le cheval comme un simple animal de rente, comme c’était le cas dans le passé. Hybride, son statut le rapproche davantage de l’animal de compagnie. Le vétérinaire se retrouvera au centre de la problématique du bien-être. L’impact sur l’animal de rente prendra la forme d’un travail sur les conditions d’élevage et d’abattage. Concernant celui de compagnie, il s’agira de la manière dont les propriétaires pourront garder et utiliser leurs chevaux. La mise en place de certaines contraintes ne représente pas seulement des obligations réglementaires mais constitue aussi une optimisation : un équidé qui développe des troubles liés à un état de mal-être n’est plus utilisable, donc plus rentable. Tout le monde est gagnant si le cheval est utilisé le plus longtemps possible et dans les meilleures conditions. Il ne s’agit pas de sombrer dans l’excès, mais de travailler dans le respect des besoins inhérents au bien-être animal.

Cette disposition du Code civil aura-t-elle des conséquences sur la gestion de la fin de vie des équidés ?

Il n’est plus possible, ni d’un point de vue sociétal ni sur le plan éthique, de considérer le cheval comme un animal dont l’homme use et qui est envoyé à la boucherie lorsqu’il n’est plus utile. Les responsabilités de la fin de vie des équidés ne doivent pas reposer sur leurs seuls propriétaires, d’autant que le phénomène des unwanted horses commence à émerger en France. Composé de confrères, de membres d’associations de protection animale et de chercheurs, le think tank Équi-Ethic a pour credo d’élaborer des réponses ou des propositions utilisables par les acteurs politiques. Une piste consisterait à responsabiliser l’ensemble des acteurs de la filière en faisant contribuer ceux qui en tirent profit : PMU, sociétés de courses, syndicats, fédérations sportives, etc. Cela permettrait de financer les retraites des chevaux, grâce à la mutualisation d’un petit pourcentage prélevé sur les bénéfices commerciaux générés au sein de la filière équine.

ENTRETIEN AVEC GHISLAINE JANÇON
« Positionner le vétérinaire comme sentinelle du bien-être animal »

La reconnaissance de la sensibilité de l’animal par le Code civil entraînera-t-elle une évolution en termes de déontologie vétérinaire ?

De façon tout à fait déconnectée de l’amendement Glavany, le nouveau Code de déontologie renforce les obligations des confrères en matière d’éthique vétérinaire vis-à-vis des animaux, ainsi que la prise en compte de leur souffrance. Il précise notamment que « le vétérinaire respecte les animaux » (R. 242-33, alinéa 8). Cela peut sembler court et lapidaire mais le message est simple, surtout au regard de l’article 2 de la version de 1992 du code (« le vétérinaire ne doit pas méconnaître le respect dû à l’animal »). Cet alinéa à part entière représente un affichage volontairement fort. De plus, au chapitre des devoirs fondamentaux, l’alinéa 3 de l’article R. 242-48 dispose que « le vétérinaire doit prendre en compte les relations affectives existant entre l’animal et son maître ». L’alinéa 4 précise que le vétérinaire fait en sorte d’atténuer la douleur d’un animal en péril et d’informer le propriétaire. Le code exprime donc clairement que chaque confrère doit considérer la souffrance animale. Enfin, l’article R.242-44 souligne que la prescription vétérinaire est guidée par « le respect de la santé publique et la prise en compte de la santé et de la protection animales ». Cela va donc bien au-delà de la santé.

La protection animale ne figure pas dans les missions de l’Ordre et est plutôt déléguée aux associations dédiées, tout en étant largement assumée aussi sur le terrain par les vétérinaires eux-mêmes. Celui-ci entend simplement mettre en évidence l’implication des confrères sur ce sujet. Le vétérinaire garantit le bien-être animal, même s’il n’en est pas le seul responsable, et aide la société à faire en sorte qu’il soit respecté.

Où en est le travail de concertation mené par l’Ordre en région autour de la question du bien-être animal ?

Le Conseil de l’Ordre est souvent interpellé sur des cas tels que le massacre des requins à la Réunion, la corrida ou sur le statut de l’animal. Il ne peut rester silencieux. Une cellule de travail au niveau supérieur, baptisée pôle profession vétérinaire et animal, a donc mené une réflexion sur l’éthique vétérinaire vis-à-vis de l’animal. Puis les conseils régionaux ont été sollicités pour nommer un référent éthique. Le 13 janvier dernier, ceux-ci se sont réunis et il leur a notamment été demandé d’interroger chaque élu ordinal pour savoir si l’Ordre pouvait prendre la parole sur des sujets d’éthique, dans les domaines où intervient le vétérinaire : élevage, transport, abattage, expérimentation animale, sports et loisirs, etc. Le 24 novembre prochain, l’Ordre essaiera de répondre à ces questions lors d’un colloque destiné à la société civile, puisque les élus, les journalistes, les chercheurs et tous nos partenaires y sont conviés. Nous avons la volonté de positionner le vétérinaire comme sentinelle du bien-être animal, sans pour autant évincer les autres acteurs.

La reconnaissance de la sensibilité de l’animal aura-t-elle un impact sur la levée du secret professionnel lors de maltraitance ?

Le vétérinaire est déjà délié du secret professionnel dans certaines circonstances. L’article L. 203-6 du Code rural impose au vétérinaire sanitaire de signaler aux autorités administratives les actes de maltraitance ou les mauvais traitements. Il s’agit d’une obligation législative. Le secret professionnel ne doit plus brider les confrères, par ailleurs freinés de peur de voir le lien entre leurs clients et eux s’altérer. La réorganisation du mandat sanitaire (encadré) devrait rendre plus facile le signalement de ces cas-là.

DGAL : une stratégie en faveur du bien-être animal

« Le bien-être animal est l’un des facteurs à prendre en compte dans une approche d’agriculture durable, estime Jérôme Languille, chef du bureau de la protection animale à la Direction générale de l’alimentation (DGAL). La reconnaissance de la sensibilité de l’animal est un élément de contexte dans la démarche du Maaf1, qui souhaite organiser une action en coconstruction avec les professionnels, les ONG2 et les scientifiques au sein du Cnopsav3. » Cinq axes prioritaires ont été identifiés à ce jour pour l’action publique :

– la connaissance et l’innovation en termes de bien-être animal ;

– la responsabilisation des acteurs ;

– l’évolution des pratiques d’élevage, d’abattage et de transport ;

– la maltraitance ;

– la prévention et la réaction rapide face aux phénomènes de maltraitance.

C’est dans le deuxième point que s’inscrit une évolution relative au vétérinaire habilité sanitaire. « La formation continue de ces praticiens inclut le bien-être animal, poursuit Jérôme Languille. L’objectif est de faire en sorte de créer un plan d’intervention lors de maltraitance et de s’organiser préalablement aux crises, en définissant les responsabilités de chacun. L’idée est que le signalement intervienne dans la phase préalable à la situation de maltraitance. »

Le vétérinaire mandaté, agissant pour le compte de l’État, pourrait voir, quant à lui, élargir le champ de son mandat à l’expertise et au contrôle vétérinaire pour estimer si la maltraitance est avérée ou non. « Pour le moment, les modalités de désignation et de restitution d’expertise ne sont pas définies, indique Jérôme Languille. Toutes les discussions restent à conduire avec l’Ordre, la SNGTV4, les représentants des éleveurs, les syndicats, etc., sur le mandatement. L’idée étant de développer cela assez rapidement. »

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