Se regrouper, tout en gardant son indépendance - La Semaine Vétérinaire n° 1623 du 27/03/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1623 du 27/03/2015

Dossier

Auteur(s) : Serge Trouillet

Les regroupements de vétérinaires se développent en France sous des formes diverses, conformes à la directive “services”. Pour autant, le modèle anglo-saxon de chaînes de cliniques, financées par des fonds de pension, n’émerge pas dans notre pays. Le souhait marqué d’indépendance des praticiens libéraux et la rentabilité limitée des structures en sont la principale raison.

L’inévitable expansion des groupes de cliniques vétérinaires en France n’est-elle qu’un fantasme ? Pierre Buisson, président du Syndicat national des vétérinaires d’exercice libéral (SNVEL), estime que ce modèle de développement ne correspond pas, en tout cas aujourd’hui, à celui majoritairement souhaité par les vétérinaires de notre pays : « Les grandes structures grossissent toujours davantage, mais la tendance à conserver des petites entités reste forte. Les deux tiers des vétérinaires travaillent dans des cabinets comprenant deux associés au maximum, et près de 40 % d’entre eux ont choisi l’exercice individuel. Nous voyons même apparaître des modes d’exercice inédits, comme ces cabinets où n’exercent que des libéraux qui effectuent des ouvertures partielles et vivent un temps de travail limité ! »

Avec la mise en œuvre de la directive “services” et depuis le décret d’application de l’été 2010 notamment, les regroupements de vétérinaires ont toutefois été notablement simplifiés. Un praticien a la possibilité d’exercer dans plusieurs sociétés; une société peut regrouper plusieurs cliniques sans limitation du nombre de sites ni de zones géographiques; l’effectif des vétérinaires salariés n’est pas restreint non plus. Thomas Crochet, avocat aux barreaux de Paris et de Toulouse, observe à cet égard que ces dispositions constituent « une ouverture considérable : elles ne se retrouvent pas chez les autres professions de santé ». De nombreuses structures multisites ont ainsi essaimé en France, ces dernières années, toutes activités confondues.

LES TYPES DE REGROUPEMENTS

Ces regroupements de structures vétérinaires peuvent prendre deux grandes formes. La première est capitalistique. Elle consiste, pour un petit nombre de praticiens libéraux, à racheter ou à ouvrir de nouvelles cliniques avec leurs moyens propres. Il s’agit du modèle intégré. Les associés créent alors une entreprise qui irradie généralement autour de leur lieu d’installation. La seconde est participative. Le capital n’est plus concentré dans les mains de quelques-uns, mais réparti dans celles de tous les associés issus des sites rejoignant la structure. Entre ces deux formes, toutes les combinaisons sont possibles (une société détenant la moitié de chaque site d’un groupe, l’autre moitié étant détenue par les vétérinaires qui y exercent, par exemple).

Reste l’épineuse question de l’ouverture du capital aux non-vétérinaires. Avant la directive “services”, la règle était la suivante en France : ce capital extérieur ne pouvait pas peser plus de 25 % de celui des sociétés d’exercice libéral (SEL). La directive “services” impose alors aux États membres de vérifier si les règles applicables en matière de structures vétérinaires sont justifiées par la nécessité de préserver la santé publique. Le gouvernement français, après avoir procédé à cet examen, a conclu que ce capital extérieur pouvait être porté à 49 % de celui de la structure, c’est-à-dire rester minoritaire.

L’OUVERTURE PARTIELLE DU CAPITAL DES STRUCTURES

Cette ouverture partielle est-elle conforme au droit communautaire ? La réponse n’est pas tranchée, selon Thomas Crochet : « La jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, compétente pour statuer sur ces questions, est un peu fluctuante au regard des affaires sur lesquelles elle s’est prononcée. » Et de citer les arrêts où elle indique que le capital peut rester majoritairement détenu par les professionnels. C’est le cas de la pharmacie et de la biologie médicale. Un autre arrêt stipule, à propos des opticiens, que les États membres ne peuvent réserver le capital à ces professionnels. La question sera de savoir, lors de contentieux, si le vétérinaire est plus proche du pharmacien ou du biologiste que de l’opticien. « En suivant le raisonnement de la Cour de justice de l’Union européenne, j’aurais tendance à penser qu’il l’est davantage des premiers, analyse Thomas Crochet. C’est plutôt une question d’impact sur la santé publique. Celui de l’opticien est sans effet : il se contente de suivre les prescriptions de l’ophtalmologiste. Ce n’est pas le cas des autres. Il semble en ressortir que, pour la détention du capital des structures vétérinaires, la législation française est probablement conforme. Je ne suis pas sûr que nous assistions à une ouverture complète de ce capital à très court terme. »

LA GARANTIE DE L’INDÉPENDANCE

Ces règles de capital sont toutefois assez faciles à contourner, du fait de mécanismes juridiques complexes. Le secteur de la biologie médicale, où les contraintes sont encore plus fortes que chez les vétérinaires, en offre de nombreux exemples. Le basculement décisionnaire en faveur des actionnaires non professionnels poserait alors la question de l’indépendance des choix éthiques qui seraient faits au sein d’une clinique. « Imaginons une structure avec plusieurs associés et 49 % de capitaux extérieurs, illustre Pierre Buisson. Il suffit que les détenteurs de ces derniers convainquent l’un des associés d’adhérer à leur projet et les autres n’ont plus qu’à se soumettre ou se démettre. Ce n’est pas une vue de l’esprit. »

La loi “pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques” propose l’extension de cette ouverture du capital à d’autres professions, mais pas, pour l’heure, aux entreprises vétérinaires. Pierre Buisson reste circonspect : « Rien ne nous garantit que ce qui vaut aujourd’hui vaudra demain. Le gouvernement pense que davantage de libéralisation apportera plus de concurrence, et que c’est indispensable à la compétitivité. Mais c’est un déni des raisons pour lesquelles nos professions sont réglementées. Elles le sont parce que nos clients n’ont pas les compétences pour juger réellement de ce que nous leur proposons. L’État doit leur garantir notre professionnalisme et notre indépendance dans l’exercice de notre métier. »

LE CONTEXTE ÉCONOMIQUE ET JURIDIQUE

Les vétérinaires français intéressent-ils les investisseurs ? Pour l’heure, cela ne semble pas être le cas. Les marges dégagées aujourd’hui leur paraissent insuffisantes. En Grande-Bretagne, pourtant, de grands groupes de cliniques vétérinaires, détenues par des fonds extérieurs à la profession, affichent une rentabilité convaincante. « À quel prix ?, interroge Pierre Buisson. Des vétérinaires salariés ont intégré un grand syndicat parce que les problèmes relationnels avec leurs employeurs étaient tels qu’ils ne pouvaient plus être traités en interne, dans leur branche. J’interprète cela comme une situation peu enviable. »

Les vétérinaires français restent viscéralement attachés à leur indépendance. Lors de projet de regroupement, il leur est donc hautement recommandé de s’entourer de toutes les précautions et de consulter des spécialistes (avocats, experts-comptables, fiscalistes, etc.) pour choisir le statut juridique le plus pertinent, l’ouverture envisagée du capital ou l’organisation interne de la structure. Quelques chaînes embryonnaires, telles que Mon Véto ou Familyvets (voir ci-après), émergent ainsi depuis quelques années dans le paysage vétérinaire français, en toute indépendance. « Le contexte économique n’est pas forcément propice parce que la rentabilité n’est pas gigantesque, mais le contexte juridique permet ce développement », souligne Thomas Crochet.

Jacques Guérin, vice-président du CSOV

Ce qu’est le vétérinaire en exercice

L’Ordre considère avant tout que les conditions d’une réelle indépendance du vétérinaire dans l’exercice de sa profession doivent être garanties. La règle que le législateur a instituée, selon laquelle 51 % du capital et des droits de vote doivent être détenus par les vétérinaires en exercice au sein de la société, constitue à ce titre une valeur intangible. Notre position a été très tôt sans ambiguïté. Sa reprise dans la transposition terminale induite par la loi portant diverses dispositions d’adaptation au droit de l’Union européenne dans le domaine du développement durable (Ddadue) du 16 juillet 2013 ne pouvait que recueillir notre assentiment. Il reste toutefois à définir ce qu’est réellement un vétérinaire en exercice dans une société, dans un domicile professionnel d’exercice (DPE) en particulier. Selon les textes qui s’y réfèrent, les variantes de cette définition sont source d’interprétations par les juristes.

Un vétérinaire a-t-il la possibilité d’ouvrir un DPE en se déclarant en exercice dans cet établissement, et en n’y venant qu’une heure par semaine ou par mois ? Le Code de déontologie interdit la location de clientèle. Hormis quelques situations particulières, un vétérinaire ne peut pas faire gérer de façon permanente un DPE par un confrère ou y faire assurer un service de clientèle, le titulaire n’étant présent que virtuellement, sur le papier. Un vétérinaire ne peut dissocier les fonctions de gestion de son entreprise et d’exercice de la médecine et de la chirurgie. Pour autant, nous voyons apparaître, ce qui n’était pas le cas jusqu’à présent, des profils de gestionnaires très accessoirement praticiens. Il s’agit d’une notion nouvelle sur laquelle nous allons devoir apporter quelques éléments de doctrine.

Deux voies possibles

L’enjeu est là aujourd’hui. C’est un débat de fond que nous pouvons rapprocher de celui relatif à la place du médecin dans les cliniques humaines il y a 20 ans. Deux voies sont possibles : soit la gouvernance reste vétérinaire et il faut s’en donner les moyens, soit elle n’a plus d’intérêt à le demeurer et elle peut être le fait de tout le monde. Dans ce cas-ci, le praticien n’a plus de fonction de gestion au sein de l’entreprise. Il faudrait alors lui garantir l’indépendance dans tous les actes liés à son exercice, se rapprochant ainsi du modèle anglo-saxon. Ce dernier, qui ne se préoccupe nullement de la personne morale, fonde les règles éthiques et déontologiques sur le vétérinaire personne physique. En France, le choix est, pour l’instant, différent, dans un équilibre subtil et indissociable entre le fait de gérer et le service à la clientèle. Il pose donc de facto la question de l’indépendance du professionnel en exercice dans son rapport à l’entreprise. Nous devrons préciser ce point. Il s’agissait de ne pas brouiller les messages, avant la sortie du nouveau Code de déontologie. Il régira notre profession pendant une dizaine d’années. Mais une fois celui-ci lancé, il nous faudra réfléchir à des applications qui permettraient de prendre en compte cette dimension entreprise. La structure des entreprises vétérinaires se renforce, leur taille augmente, les problèmes liés au vivre-ensemble font l’objet de débats dans la profession. La problématique est complexe. Il n’est pas simple de poser les règles d’une entreprise, en particulier avec un esprit libéral.

Formations e-Learning

Nouveau : Découvrez le premier module
e-Learning du PointVétérinaire.fr sur le thème « L’Épanchement thoracique dans tous ses états »

En savoir plus

Boutique

L’ouvrage ECG du chien et du chat - Diagnostic des arythmies s’engage à fournir à l’étudiant débutant ou au spécialiste en cardiologie une approche pratique du diagnostic électrocardiographique, ainsi que des connaissances approfondies, afin de leur permettre un réel apprentissage dans ce domaine qui a intrigué les praticiens pendant plus d’un siècle. L’association des différentes expériences des auteurs donne de la consistance à l’abord de l’interprétation des tracés ECG effectués chez le chien et le chat.

En savoir plus sur cette nouveauté
Découvrir la boutique du Point Vétérinaire

Agenda des formations

Calendrier des formations pour les vétérinaires et auxiliaires vétérinaires

Retrouvez les différentes formations, évènements, congrès qui seront organisés dans les mois à venir. Vous pouvez cibler votre recherche par date, domaine d'activité, ou situation géographique.

En savoir plus


Inscrivez-vous gratuitement à nos Newsletters

Recevez tous les jours nos actualités, comme plus de 170 000 acteurs du monde vétérinaire.

Vidéo : Comment s'inscrire aux lettres d'informations du Point Vétérinaire

Retrouvez-nous sur
Abonné à La Semaine Vétérinaire, retrouvez
votre revue dans l'application Le Point Vétérinaire.fr