La formation vétérinaire vue par les enseignants - La Semaine Vétérinaire n° 1621 du 13/03/2015
La Semaine Vétérinaire n° 1621 du 13/03/2015

Dossier

Auteur(s) : Nathalie Devos

Numerus clausus, cursus, organisation et diversité de la formation, reconnaissance de l’enseignement et de notre diplôme à l’étranger, etc.

La Semaine Vétérinaire a interrogé sur ces thèmes les enseignants des quatre écoles vétérinaires françaises, afin de recueillir leur ressenti, leurs attentes et leurs revendications.

Des débats agitent régulièrement l’enseignement vétérinaire. Ils font suite à des rapports d’instances nationales ou internationales, ou encore étatiques. Ils concernent notamment le numerus clausus (appliqué à notre profession), remis en cause par le rapport de l’IGF, le cursus de formation initiale, pour lequel l’OIE a élaboré des lignes directrices, ou encore la mutualisation des enseignements évoqué dans le rapport “Martinot”.

Rappel de quelques sujets, avec, en exergue, l’avis des principaux intéressés : les enseignants.

NUMERUS CLAUSUS

Le nombre de places ouvertes aux élèves ayant réussi le concours d’admission aux écoles nationales vétérinaires est fixé, chaque année, par le ministère de l’Agriculture, de l’Agroalimentaire et de la Forêt. Tous les ans, les quatre écoles accueillent ainsi de 450 à 550 étudiants, répartis de façon équitable dans chaque école. Ces quotas vont-ils être remis en cause ? Le ministère de l’Économie, des Finances et de l’Industrie a en effet rendu public, en septembre 2014, le rapport sur les professions réglementées, rédigé par l’IGF en mars 2013. Celui-ci préconise de ne plus restreindre l’accès des étudiants à certaines professions (37 au total), dont la nôtre. Ce qui revient à supprimer le numerus clausus. Parmi les arguments avancés, le fait que « ces quotas sont contournés par l’arrivée de jeunes qui se sont diplômés dans d’autres pays (notamment en Belgique, en Espagne ou en Roumanie), dont de nombreux Français ». L’IGF souligne ainsi « que 29 % des nouveaux chirurgiens-dentistes s’inscrivant à l’ordre professionnel en France en 2012 avaient étudié à l’étranger, une proportion montant à 58 % pour les vétérinaires et à 56 % pour les masseurs-kinésithérapeutes ». Les rapporteurs ajoutent, en outre, que « ces professions se distinguent par des niveaux élevés de rentabilité et de revenus ». Interrogé sur le sujet dans nos colonnes en septembre dernier1, Michel Baussier, président du CSO, déclarait : « Comment pourrait-il être autre chose qu’un numerus clausus de formation (dans nos ENV) ? La fonction de limitation de l’accès aux établissements d’enseignement supérieur n’a pas pour objectif de limiter le nombre de personnes en exercice. Il est tout simplement le résultat des moyens dont dispose l’État pour former ses vétérinaires ». Et de rajouter que « ce numerus clausus de formation correspond aussi et surtout au fait de sélectionner à l’entrée les personnes intellectuellement aptes à recevoir cet enseignement et à assumer plus tard les responsabilités attendues d’eux ». Du côté des sondés, si, pour près de la moitié d’entre, ce numerus clausus est « bien tel qu’il est », l’autre moitié est divisée puisqu’environ 12 % pensent qu’il faut l’augmenter et la même proportion qu’il faut le restreindre, contre 20 % qui n’ont pas d’opinion. Le sujet divise donc !

LIGNES DIRECTRICES DE L’OIE

À l’occasion de missions d’évaluation, l’OIE a constaté de grandes disparités concernant la qualité et la diversité de l’enseignement vétérinaire dans le monde. Les vétérinaires sont, en outre, confrontés à de nouvelles menaces (biologiques, climatiques, etc.) et attentes sociétales (bien-être animal, sécurité des aliments, etc.). Aussi, l’OIE a élaboré, en 2013, un modèle de cursus de formation initiale2 afin que les jeunes diplômés acquièrent les compétences minimales attendues pour exercer.

Le document est un guide pour l’élaboration de programmes de formation dans un souci d’harmonisation et d’amélioration qualitative de l’enseignement vétérinaire. Au total, 21 contenus pédagogiques sont recommandés.

La chronologie des matières à enseigner, telle qu’elle est indiquée dans le cursus de formation initiale vétérinaire, doit également être adaptée aux différents systèmes (qui prévoient un programme dispensé sur des cycles de quatre, cinq ou six ans), ainsi qu’aux prérequis à l’admission dans les établissements vétérinaires (classes préparatoires ou non). En outre, les contenus pédagogiques décrits sont susceptibles d’être proposés sous forme de matières distinctes ou d’être combinés et intégrés à différents cours. Cela dépend des modalités d’enseignement propres à chaque établissement (apprentissage didactique, en laboratoire ou sur le terrain, par petits groupes, etc.).

L’OIE précise que ces lignes directrices sont un socle de base : l’organisation reconnaît l’autonomie des universités et des écoles vétérinaires des États. Chaque établissement pourra donc être amené à compléter ce modèle de cursus de formation initiale pour répondre à ses besoins spécifiques, locaux ou nationaux.

Les personnes ayant répondu à notre enquête ne sont que 39 % à connaître ce document. Parmi celles-ci, elles sont près de 70 % à reconnaître que « c’est une bonne base pour une harmonisation internationale de l’enseignement vétérinaire ».

RECONNAISSANCE DES DIPLÔMES VÉTÉRINAIRES

Dans une interview accordée à La Semaine Vétérinaire en 20143, notre confrère Bernard Vallat expliquait que « depuis 2006, l’OIE réalise, à la demande des pays, des missions d’évaluation de la qualité des services vétérinaires. Celles-ci (plus de 110 États concernés à ce jour) révèlent des disparités importantes en termes de qualité de l’enseignement et de validité des procédures d’enregistrement, d’accréditation et de supervision des confrères. Ces différences sont souvent dues à une législation inappropriée relative aux organismes statutaires vétérinaires. Le lien entre un enseignement de moindre qualité et l’absence ou l’inadéquation du fonctionnement de ces derniers est également fréquemment observé ».

Aujourd’hui, selon notre confrère, la priorité est l’harmonisation mondiale, sur la base des lignes directrices de l’enseignement vétérinaire, publiées par l’OIE. L’organisation développe des programmes de “jumelages” entre les établissements d’enseignement vétérinaire du Nord et du Sud ou Sud-Sud (2013), ainsi qu’entre les organismes statutaires, à des fins d’entraide entre les pays membres. Une vingtaine de projets de ce type sont aujourd’hui soit en cours, soit en prévision. Pour Bernard Vallat, des reconnaissances facilitées de diplômes vétérinaires dans les différents pays du monde pourraient donc découler de ces évolutions.

L’INSTITUT UNIQUE VÉTÉRINAIRE

Stéphane Martinot, directeur de VetAgro Sup, a remis, en juillet 2013, son rapport de mission sur la faisabilité de la création d’un institut unique vétérinaire4 réunissant les quatre écoles françaises, une mission lui étant confiée par la DGER. Le but de cette dernière « relevait du besoin de répondre aux différents enjeux, d’enrichir et d’adapter l’offre et les modalités de formation en adéquation avec les exigences des référentiels internationaux d’accréditation (…) et de développer la force et la visibilité de la recherche en santé publique vétérinaire et de la recherche clinique ». Le rapport prône que « dans le cadre d’une durée du cursus vétérinaire à cinq années en école, la rénovation du référentiel doit s’accompagner de mutualisations renforcées entre les écoles au cours de la formation en tronc commun et de la gestion commune de la cinquième année, internat et spécialisations ». Soit « une mutualisation des projets et des compétences : enseignement, recherche, activités internationales et fonctions supports ».

En d’autres termes, il s’agirait « d’organiser la répartition des programmes dans les écoles en fonction des spécialités présentes ». Pour les détracteurs du rapport, « cela sous-entend que la spécialisation commencerait dès la 5e année. Cela aboutirait à une spécialisation de fait des écoles, avec des répercussions sur le tronc commun, et l’on peut alors imaginer une école des productions animales et une autre de la canine ! »

Le rapport préconise également la création d’un établissement public administratif auquel seraient rattachées les quatre écoles nationales vétérinaires existantes.

PROTOCOLE DE L’ENQUÊTE

L’enquête menée par La Semaine Vétérinaire et l’annuaire Roy a été réalisée par e-mailing, auprès de 287 enseignants des quatre écoles vétérinaires françaises : Alfort (ENVA), Lyon (VetAgro Sup), Nantes (Oniris) et Toulouse (ENVT). Parmi les personnes sondées, directeurs d’école, professeurs, maîtres de conférences assistants d’enseignement et chargés de consultation, 59 ont répondu au questionnaire adressé en octobre 2014. Les taux de réponses sont les plus élevés pour Oniris (23,7 %) et l’ENVT (23,7 %), pour la tranche d’âge 49-55 ans, et parmi les maîtres de conférences (39 %).

CE QUE DISENT LES ENSEIGNANTS

Organisation de la formation dans les ENV françaises

• Chaque école a introduit dans son cursus des disciplines qui ne figuraient pas, ou peu, au référentiel de diplôme, s’adaptant ainsi aux besoins sociétaux. Toutefois, l’enseignement reste trop fondé sur des savoirs scientifiques et techniques et pas assez sur des ouvertures à la société, à la gestion de situations complexes mettant en œuvre l’intelligence directe.

• Elle couvre l’ensemble des besoins de la profession, à mon avis.

• La formation ne prépare pas (ou très peu) à la gestion d’une entreprise (administrative, financière, managériale).

• Dans la formation initiale, les disciplines “cliniques” ont été atomisées et on assiste à une inflation concurrentielle de microspécialités pédagogiques issues du dogme de la formation par la recherche. Cette atomisation est faite au détriment des disciplines dites fondamentales ; le risque à terme est de former des vétérinaires “techniciens du bistouri” sans une forte culture scientifique de base. Parallèlement, il manque des disciplines “non cliniques” (sociologie, commerce…).

• Elle est même pléthorique : sept ans d’études, dont moins de la moitié en clinique vraie. La réforme a conduit à multiplier des disciplines d’un intérêt réduit pour les vétérinaires.

• À cause d’une “trop grande” diversité, parfois les matières “de base” ne sont pas acquises.

• La diversité des matières est suffisante, c’est le temps alloué à chacune qui ne l’est pas. Il faudrait personnaliser davantage le cursus afin de fournir aux étudiants des formations plus poussées dans les matières qui les intéressent le plus pour leur projet professionnel (enseignement optionnel).

Reconnaissance du diplôme

• Encore faut-il une harmonisation et des lignes directrices : les moyens pour l’enseignement vétérinaire dans les différents pays européens et, plus largement, dans les pays développés sont très disparates. Des facultés sont reconnues par l’AEEEV alors que les compétences à leur entrée ne sont pas nécessairement garanties…

• La reconnaissance du diplôme de manière internationale devrait être globale pour nos quatre écoles, et non pour les seules écoles ayant entrepris cette démarche (à Lyon et en Amérique du Nord, par exemple).

• Elle est actuellement illusoire sur le plan technique, compte tenu de l’hétérogénéité de la qualité des formations. Cela peut être évidemment une volonté politique…

• C’est un passage obligé. On peut regretter que les standards soient très élitistes (et donc onéreux avec des surenchères normatives).

• A priori, c’est très positif. Néanmoins, nos directions s’appuient sur cette reconnaissance pour maintenir des orientations figées, alors qu’en réalité la reconnaissance par l’AEEEV n’est intéressante que pour les pays “exportateurs” de vétérinaires (comme l’Espagne) et pas particulièrement pour les pays “importateurs”. Le nombre de vétérinaires français (et diplômés en France) s’installant à l’étranger dans l’Union doit être vraiment très faible, aussi la non-reconnaissance par l’AEEEV de nos établissements n’aurait quasiment aucune conséquence… si ce n’est au titre de l’orgueil. S’appuyer sur les critères de l’AEEEV, qui sont “dinosauresques” est donc stupide.

• La reconnaissance devrait passer par une norme type ISO internationale et non pas par continent. Un label a minima semble indispensable, notamment pour identifier les lacunes à combler afin d’obtenir les équivalences.

• Le diplôme français n’est pas reconnu, ni le diplôme d’internat. Seul le board est reconnu au niveau international

• Elle nécessiterait une harmonisation du nombre d’étudiants formés dans les différents pays pour établir une reconnaissance mutuelle de leur diplôme.

Mutualisation de l’enseignement en fin de cursus pour chaque secteur d’activité (canine et NAC, rurale, hors-sol, équidés) dans une seule école

• Il est difficile d’être concis sur la question du regroupement d’enseignement en fin de cursus.

Les mutualisations n’ont, en France, jamais entraîné d’économies budgétaires. Actuellement, il règne une omerta sur les bilans pédagogique, scientifique et économique, cinq après les fusions Oniris et VetAgro Sup. De plus, les exemples en place aujourd’hui restent d’un impact modéré (maladies contagieuses avec référentiel plus ou moins commun, par exemple). En fin de cursus, qui correspond à une prépondérance des activités cliniques d’une part, de recherche d’autre part, il pourrait être très profitable de mettre en place, pour chacune de ces activités, un véritable “apprentissage” de terrain avec, respectivement, les vétérinaires libéraux et les établissements d’enseignement et de recherche et les partenaires industriels. Là, on réaliserait de véritables économies et on atteindrait un très haut niveau de compétences. En définitive, je ne peux pas répondre oui à cette proposition. Mais si les écoles restent telles qu’elles sont, elles vont, à relativement court terme, devenir des écoles professionnelles de techniciens.

• La politique de formation de spécialisation (résidanats) et de formation continue doit être définie et mise en œuvre à l’échelle nationale. La création de réseaux entre universités à l’échelle européenne doit être envisagée également.

• Notre diplôme est un diplôme généraliste. La spécialisation ne peut venir qu’après la fin du cursus initial.

• Pourquoi ne pas valoriser les débouchés et leurs visibilités dans les domaines autres que les sempiternels “canine et NAC, rurale, hors-sol, équidés”. Vétérinaire n’est pas synonyme de clinicien. La recherche, l’industrie, la santé publique, l’enseignement, etc. sont des secteurs d’activité négligés depuis longtemps.

Les problématiques qu’ils souhaiteraient vouloir soulever

• Globalement : quand nous alignerons-nous sur le reste de l’Europe du point de vue des recrutements dans les ENV, des cursus, des structures ?

• Nous devons réfléchir à la suppression des classes préparatoires dans leur format actuel et à les remplacer par des préparations intégrées comme chez les ingénieurs et en première année de médecine.

• Nous créons un numerus clausus serré d’une façon incompréhensible puisque nous réimportons 40 % de vétos étrangers, pas toujours bien formés. Quel autre pays fait former ces professionnels à l’étranger, en ne contrôlant rien ?

• Les instances concernées devraient d’abord essayer de permettre aux écoles de mettre en œuvre les programmes. Les réductions de budget (pratiquement moins 20 % en cinq ans) et l’augmentation du nombre d’étudiants (plus 30 par an depuis deux ans) vont entraîner un appauvrissement de la formation. Avant tout, il est nécessaire de dresser un bilan objectif et honnête des dernières réformes du cursus vétérinaire, avant d’en lanscer une nouvelle, et d’évaluer, a priori, les conséquences que celle-ci entraînerait. Si cela avait été fait, nous n’aurions pas connu deux réformes en deux ans (2005 et 2007).

• Il me semble que la question de l’orientation des étudiants vers la pratique rurale est insuffisamment approfondie. Mais les moyens donnés à cet enseignement dans les écoles vétérinaires sont trop faibles pour développer un enseignement attractif pour les étudiants. Y a-t-il une politique de la DGER pour appliquer cette volonté ?

• La diversité des parcours doit être abordée Il n’y a pratiquement plus de vétérinaires dans les administrations centrales, les cabinets ministériels, les établissements publics à caractère scientifique (comme l’Inra, l’Inserm, le CNRS, etc.) ou encore dans la recherche industrielle, même sur les vaccins vétérinaires. En tant que spécialistes de la pathologie comparée, nous n’avons donc plus rien à faire dans ces organismes ? Si l’on forme des vétos pour soigner des chiens et des chats, que l’on privatise les écoles! Si le monde vétérinaire a de l’ambition, que l’on pousse certains de nos étudiants dans des filières où ils seront visibles et influents.

• Pourquoi se lancer aujourd’hui dans l’enseignement et la recherche dans des écoles vétérinaires françaises ? La motivation seule n’est pas suffisante. L’exigence de plus en plus de diplômes pour être recruté et le salaire (faible) en regard d’autres institutions européennes ou américaines pourront, à terme, poser des difficultés de recrutement.

GLOSSAIRE

AEEEV : Association européenne des établissements d’enseignement vétérinaire

CNRS : Centre national de la recherche scientifique

CSO : Conseil supérieur de l’Ordre des vétérinaires

DGER : Direction générale de l’enseignement et de la recherche

ENV : École nationale vétérinaire

IGF : Inspection générale des finances

Inra : Institut national de la recherche agronomique

Inserm : Institut national de la santé et de la recherche médicale

OIE : Organisation mondiale de la santé animale

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